A- L’allocution

Il s’agit d’une procédure de pouvoir, réservée aux annonciateurs investis d’une autorité. L’allocution est une procédure d’énonciation fortement ritualisée. Elle est préalablement annoncée et suscite de ce fait une attente. Au Cameroun, l’allocution du président de la République, ou celle de certaines autres personnalités publiques de haut rang, est annoncée à la radio, à la télévision et dans la presse écrite. Souvent les médias spéculent sur le contenu de cette allocution. Les contextes social, économique ou politique apparaissent comme les principaux axes d’analyses qui orientent de telles spéculations. Les attentes suscitées par une allocution peuvent être satisfaites ou non.

Parce que l’allocution est une procédure de pouvoir réservée aux allocuteurs investis d’une autorité, elle suscite une grande crédibilité. Cette crédibilité n’est pas liée à la possibilité de coïncidence avec les attentes. En d’autres termes on n’accorde pas du crédit à l’allocution du Ministre ou du président de la République parce que la probabilité de satisfaction des attentes est élevée, mais simplement parce qu’il s’agit du Ministre ou parce que c’est le président de la République.

Dans le cadre de la communication sur le sida, les allocutions ont été abondamment utilisées. Elles sont le fait des personnalités publiques nationales autant que des autorités internationales. Au milieu des années 80, le directeur régional de l’organisation mondiale pour la santé (OMS), le professeur Gottlieb MONEKOSSO apparaît comme un des principaux allocuteurs ayant abordé la question du sida. Il est relayé dans ce rôle par des experts.

La presse, du fait de ses techniques narratives, apparaît comme un amplificateur de crédibilité des allocutions. En effet, le public reçoit aussi bien l’annonce de l’allocution que l’allocution elle-même par les médias. De même, après l’allocution, les médias en font des commentaires en exploitant certains extraits comme appui ou soutien à leur discours. Il y a ici une double démonstration, mieux, une superposition discursive. Au discours du média se superpose l’allocution dont le rôle se trouve renforcé par son usage d’appui ou de soutien au discours du média. Quand les médias utilisent un extrait sonore, textuel ou une image, ils s’en servent comme preuve de réalité, comme indice de fiabilité du récit médiatique. Par ce principe, cet indice, cette preuve acquiert un caractère véridique ou réel, conférant à l’allocution dont il est tiré le même caractère véridique.

Daniel BOUGNOUX (2001) analyse dans un sens conflictuel cette interaction entre le discours des médias, ce que d’une part, il appelle « les communicateurs » et, d’autre part, ce qu’il appelle « les énonciateurs des communicateurs (au niveau de l’information) ». Les communicateurs font circuler une communication qui n’est pas la leur puisqu’elle provient des sources et elle se trouve ainsi neutralisée par les sources. Par contre, parce que les énonciateurs se retrouvent à l’intérieur du discours des communicateurs, ils en sont otages donc neutralisés et Daniel BOUGNOUX en conclut qu’il y a ainsi double neutralisation.

Tout en partageant cette analyse nous voulons relever toutefois que si les communicateurs intègrent dans leur discours les énonciateurs, c’est parce qu’ils en attendent un effet valorisant. En le faisant, ils valorisent eux-mêmes les énonciateurs. L’énonciateur dans cette interaction apparaît comme le gage de la crédibilité du communicateur. Dans le cas de la communication sur le sida l’allocution offre aux médias l’occasion et le moyen de crédibiliser leurs discours tout en les crédibilisant eux-mêmes.

Parce que l’allocution est annoncée et préparée, elle crée elle-même, les conditions d’une transmission optimale du message tant à la source, au niveau du canal qu’à celui de la réception. A la source, l’allocution est pensée, les idées sont mises en ordre avec usage des effets (silence, ton montant, ton bas, etc.) dans le but de mieux capter l’attention et la sensibilité des récepteurs. Il y a théâtralisation de l’allocution. En effet, les emplacements occupés par l’allocuteur par rapport à l’allocutaire sont des emplacements de dominance (sur une estrade, seul face à la masse). Dans une transmission orale, la diction est travaillée pour réduire au minimum les bruits. Les hommes politiques prennent généralement beaucoup de temps à préparer leurs allocutions. Des spécialistes sont souvent sollicités pour corriger tous les défauts perceptibles, défauts qui, dans l’analyse shannonienne sont appelé bruits. Ainsi dépouillée des bruits, l’allocution délivre, au niveau de la source, un message propice à une réception satisfaisante.

Au niveau du canal, un soin similaire est apporté à la transmission du message contenu dans l’allocution. La technologie du son est de plus en plus sollicitée même en milieu rural (haut-parleurs). Au Cameroun, un soin particulier est apporté aux émetteurs et à tout le circuit de transmission (son et image) de la CRTV, chaque fois que le président de la République doit prononcer une allocution. Il s’agit, à travers ces soins, de rendre la transmission du contenu de l’allocution le plus efficace possible.

L’allocution place le processus de l’émission et de réception des messages dans un contexte psychologique particulier. En effet, parce qu’il s’agit d’un moment attendu, d’un rendez-vous, le récepteur accorde le maximum d’attention au message émis. Généralement on n’écoute pas une allocution en menant une autre activité. Bien au contraire, on suspend toute autre activité pour écouter une allocution. Au cours de la première décennie de pouvoir du Président Paul BIYA, les rues des villes camerounaises se vidaient à chacune de ses allocutions radio-télévisées, chacun voulait l’écouter dans un cadre propice (chez un parent ou un ami afin de partager le message reçu) soit tout seul afin de ne pas être perturbé. Souvent les enfants bruyants étaient chassés et renvoyés loin des parents pour éviter toute distraction.

Bien sur, toutes ces dispositions, tant au niveau de la source, du canal que des récepteurs, varient en fonction du statut de l’allocuteur, mais il n’en demeure pas moins que de manière générale, l’allocution suscite des dispositions particulières favorisant l’émission, la transmission et la réception du message. La communication sur le sida en a bénéficié et continue d’en bénéficier.