D- La gestuelle

Par gestuelle, nous voulons entendre : l’ensemble des gestes expressifs utilisés dans la communication. A ce titre, les gestes prennent la valeur de signe. Car ils sont porteurs de signification. Les gestes, en tant que signes, sont des conventions au même titre que les mots. Il s’agit des codes qui doivent être maîtrisés autant par l’émetteur que par le récepteur. Certains de ces gestes ont une portée universelle tandis que d’autres sont plus limités a des cultures restreintes. Ainsi le geste du bras tendu avec les doigts qui se referment une ou plusieurs fois sur la paume de la main signifie « viens » dans presque toutes les cultures du monde. Cependant, le hochement de tête peut avoir une signification contraire quand on passe de la culture Boschiman à celles des Bantous voisins en Afrique Australe. Ce cas est assez bien montré dans le film intitulé les dieux sont tombés sur la tête. A la question du juge « reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ? » le héros du film un Boschiman qui ne parle et ne comprend pas l’anglais répond après traduction par un hochement de tête de haut en bas pour dire « non » mais le juge interprète ce geste par « oui ».

Cet exemple soulève le problème de la polysémie des gestes malgré les conventions. Il en est de même des gestes non intentionnels mais qui sont décodés par les récepteurs comme porteurs de messages. Lors de l’une de ses allocutions télévisée le président Paul BIYA, faisant allusion aux sacrifices consentis par les fonctionnaires et autres agents de l’Etat après les mesures imposées par le plan l’ajustement structurel, a dit :

‘« Voici le moment est venu de récolter les fruits ».’

Le disant, il accompagnait sa parole d’un mouvement de mains réunies qu’il a ouvertes par la suite. Ce geste dans certaines cultures camerounaises (si non toutes) signifie « il n’y a rien ». Ainsi, on s’est retrouvé dans une situation où oralement le Président disait une chose alors que le geste disait le contraire. Ce cas de figure est régulier dans nombre de situations de communication. A cet effet, Daniel BOUGNOUX estime que les messages : « Sont polyphoniques, envoyés sur plusieurs canaux ou selon plusieurs codes à la fois, ce qui les garantit contre le bruit, l’entropie ou la perte d’information durant le voyage » (2001, 25).

Une concordance symbolique est nécessaire entre ces différents canaux et ses différents codes pour que le message soit protégé contre le bruit. En effet, une contradiction symbolique peut être génératrice de bruits. Plus loin, il poursuit : 

‘« Normalement, ces signaux analogiques, c’est-à-dire moins codés que ceux de la langue (…), sont redondants par rapport au message verbal : la relation corporelle ou visuelle de nos gestes prépare, soutient et achemine le contenu verbal du message ; la marge (du comportement analogique) cadre le texte (de l’énoncé digital) et le confirme. Mais ce qui converge dans une transmission saine peut toujours se mettre à diverger» (2001, 25) ’

La gestuelle est abondamment utilisée dans le cadre de la communication sur le sida au Cameroun. Elle ne constitue pas une procédure spécifique d’énonciation mais elle se retrouve dans toutes les procédures à la fois. En effet, la gestuelle se retrouve dans des procédures orales telles que l’allocution, le dialogue, le prêche ou sermon. De même, la gestuelle se retrouve dans le théâtre, et le cinéma. Elle y intervient comme un additif aux codes oral et visuel. Certains orateurs auraient de la peine à exprimer leurs idées s’il leur était interdit de faire des gestes dans leur expression. La seule expression du visage exprime assez explicitement le sentiment d’une personne.

La sensibilisation sur l’usage du préservatif comme méthode de prévention du sida à connu beaucoup d’obstacles selon les communicateurs engagés dans cette opération parce qu’une certaine partie du public ne comprenait pas comment des préservatifs qu’on leur donnait sous forme de pastilles pourraient prévenir le sida. Il a fallu passer par la démonstration de l’usage du préservatif, la démonstration permettait de rompre plus facilement les tabous que ne l’aurait permis les mots. Il était plus aisé aux vulgarisateurs d’utiliser un phallus artificiel que d’en parler de manière descriptive. Dans le vieux nègre et la médaille, Ferdinand Léopold OYONO montre les limites de la communication verbale souvent censurée par une certaine pudeur que seule la gestuelle parvient à contourner aisément. Le catéchiste, pour faire la cour à une femme, évite de décrire ce qu’il veut, parce que, prétend-t-il, sa bouche est sacrée. Pour contourner la difficulté et éviter que sa bouche sacrée ne prononce de mots obscènes, il dit : « celui-ci veut celle-là ». En le disant il accompagnait la parole d’un geste du doigt montrant les emplacements des objets ou mieux des parties de l’anatomie ainsi désignées.

En somme, dans un contexte comme celui de la culture camerounaise où la pudeur est assez forte et le vocabulaire pauvre, la gestuelle apparaît comme une procédure énonciative importante.