E- La musique

La musique est intervenue assez tôt dans la communication sur le sida en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Hilarion NGUEMA le Gabonais et Alpha BLONDY l’Ivoirien sont les deux artistes africains qui vont marquer d’un sceau rouge le milieu des années 80. Il s’agit des deux compositions musicales les plus diffusées et les plus appréciées par le public camerounais. Les artistes camerounais prendront le relais avec un succès moins éclatant. Certaines de ces compositions évoquent clairement le thème du sida d’autres n’abordent que certains aspect de ce thème.

Au Cameroun, le milieu des années 80 marque en même temps l’arrivée du sida comme problème de santé ou mieux problème social et une focalisation des artistes musiciens sur la sexualité. A l’exception de quelques uns, la majeure partie des musiciens camerounais évoque le sexe dans leurs chansons. Le professeur Gervais MENDOZE alors directeur général de la CRTV va qualifier cette tendance de « déviances ». Le professeur Hubert MONO NDZANA, philosophe et enseignant à l’université de Yaoundé I parlera « des chansons de Sodome et Gomorrhe » en référence aux deux villes bibliques détruites par le feu de Dieu, du fait de leur sexualité excessive et déviante.

Du fait de la tendance à la sexualité, les chansons camerounaises vont aisément évoquer l’usage du condom, d’autres vont se contenter d’évoquer les modes de transmission du sida tels que dictés par les discours dominants. Toutefois, contrairement à l’allocution, au prêche ou sermon, l’image ou au théâtre qui ont épousé presque fidèlement le discours dominant, la musique a relayé à la fois le discours dominant et les discours dominés. En effet, si Alpha BLONDY en chantant « sida, le sida est là, sida, le sida tue » épouse la logique dominante de l’époque, le Gabonais Hilarion NGUEMA, après avoir défini le sida comme « le mal du siècle maladie d’amour, maladie du sexe » « le mal du siècle, maladie d’amour, maladie du sang » poursuit en disant que dans tous les cas, on finit par mourir de quelque chose. Si on ne meurt pas de sida, on mourra d’accident ou de n’importe quoi. Il y a là, dans la même chanson, un discours contradictoire : la définition du sida donnée en début de la chanson rentre dans la logique dominante alors que la suite de la chanson épouse les discours dominés. Plusieurs chansons camerounaises suivent la même logique libérale.

Au-delà des musiques librement inspirées et composées sans prescription, plusieurs chansons ont été composées à la commande des autorités publiques en charge de la lutte contre le sida. Il s’agit, d’une part des spots : le cas de celui qui, au milieu des années 80 disait. « Le sida ne pardonne pas » d’autre part, il s’agit des concours de musiques. Dans son édition du 09 juin 1987, Cameroon tribune publie un dossier intitulé : le gala de la meilleure chanson sur le sida. Il ressort de cet article que dix sept candidatures ont été retenues pour ce concours. S’il est vrai que seules trois de ces compositions ont été primées, l’on remarque tout de même que les quatorze autres chansons n’ont pas été interdites, elles ont d’une manière ou d’une autre été diffusées et écoutées. La stratégie des compétitions a permis la composition de plusieurs morceaux de musique sur le sida.

Les primes accordées aux chansons gagnantes des concours ont donné l’impression aux artistes que toute belle chanson sur le thème du sida peut rapporter de l’argent. Cette idée est soutenue par l’opulence affichée par les autorités en charge de la lutte contre le sida et les responsables des ONG œuvrant dans ce secteur. La musique est ainsi apparue comme une des procédures d’énonciation qui ont contribué à rendre les discours sur le sida accessibles aux masses. Toutefois, parce qu’il s’agit en fin de compte de la création des artistes, que cette création soit librement inspirée ou orientée par une commande, la musique comme procédure d’énonciation contribué à véhiculer aussi bien des discours dominants que les discours dominés.

Si les autorités en charge de la lutte contre le sida ont eu recours à la musique, c’est sûrement parce qu’elles considèrent ce mode d’expression comme suffisamment efficace pour véhiculer les messages qu’elles ont pour mission de faire passer dans l’opinion.

En somme, les différentes procédures d’énonciation ci-dessus abordées contribuent, chacune à sa manière, à façonner la perception que les différents publics ont du sida au Cameroun. L’allocution, parce qu’elle rentre dans le rituel du pouvoir fait admettre pour vrai, ce que l’allocuteur a déclaré. Dans une allocution à la nation, le président camerounais Paul BIYA disait: « la vérité vient d’en haut ». Le disant, le président camerounais faisait admettre à ses compatriotes que la vérité est liée au pouvoir (le haut). Le prêche ou sermon (selon la confession religieuse concernée), procède du même principe de pouvoir. Ici c’est le pouvoir sacré, le pouvoir divin qui est évoqué. A ce titre, le prêche ou sermon fait appel à la foi, donc à l’obéissance. L’image, (qu’elle soit fixe ou en mouvement), du fait de l’identification, ou de la vraisemblance, a une force de persuasion que lui contestent peu d’autres procédures d’énonciation. Dans le cas de la lutte contre le sida, le discours officiel, en lui accolant des textes d’accompagnement grâce aux interviews et autres commentaires de journalistes, a renforcé cette capacité de persuasion de l’image. Enfin, le théâtre et la musique permettent la simplification des discours savants pour les rendre accessibles aux masses. Par ailleurs, l’effet de mémoire, propre à ces arts, favorise la fixation des idées et construit les convictions que les uns et les autres ont sur le sida.