E.2.3- Les messages des masses

Nous avons relevé plus haut, qu’un important nombre de messages dominés soit 23% tendent à nier l’existence du sida qu’ils considèrent comme affabulation. Cependant, bien d’autres admettent l’existence du sida, que ce soit en tant qu’invention ou réalisation des Blancs, en tant qu’action de Dieu ou des sorciers ou simplement comme une affection ordinaire. Sur les soixante onze messages dominés retenus dans notre requête, cinquante quatre (76,05%) reconnaissent l’existence du sida malgré les différences de perception de cette affection.

Par rapport à l’action de lutte à mener, douze soit 16,90% des soixante onze du corpus, proposent une action précise d’évitement. Sept de ces douze proposent une action sociale alors que six orientent cette action sur le plan religieux. Un de ces messages, celui qui dit : « Le sida existe. Protégeons-nous et prions Dieu pour qu’il nous en préserve » aborde les deux aspects à la fois. Il importe cependant de relever que certains autres messages définissent le sida par rapport à ses modes de contamination. Dans cette perspective, ils suggèrent ainsi de manière allusive, l’action d’évitement à mener. Le message qui, par exemple dit : « Le sida est une maladie créée par Dieu pour punir les vagabonds sexuels » laisse admettre qu’en évitant « le vagabondage sexuel » on évite le sida. Nous en avons compté treize de ce type et nous les considérons comme messages de prévention.

Au-delà des messages axés directement sur la prévention, il y en a qui tendent plutôt à relativiser les méthodes de préventions émises par les messages dominants. C’est le cas du message qui dit : « Le condom est contre nature » ou de celui qui dit : « Il y a des aiguilles utilisées pour le test qui sont déjà contaminées ». Nous les incluons dans la rubrique prévention, non pas parce qu’ils permettent d’éviter le sida, mais parce que, fondamentalement, nous leur reconnaissons une prétention à la problématisation des messages dominants de préventions qui disent le contraire. En problématisant les messages dominants de prévention, les messages dominés suscitent des attitudes et des actions particulières d’évitement du sida, différentes de celles suggérées par les messages dominants.

Au total, il apparaît que les messages dominés de prévention considèrent globalement que le sida est une maladie liée à l’activité sexuelle. Parce que l’activité sexuelle dans la plupart des cultures camerounaises fait l’objet d’une réglementation rigoureuse, elle est abordée avec beaucoup de pudeur. La forte influence des religions abrahamiques, notamment l’Islam et le christianisme, considère tout rapport sexuel hors mariage comme un péché donc condamné par Dieu lui-même. Il en résulte que l’activité sexuelle est régie par la loi divine. L’on comprend pourquoi certains messages dominés considèrent le condom comme « contre nature ». L’on comprend également pourquoi certains autres messages dominés estiment qu’en se conformant à la volonté de Dieu c’est-à-dire la fidélité pour les mariés et l’abstinence pour les non mariés, on évite le sida. Cette logique est globalement partagée, même par ceux qui considèrent le sida comme une maladie naturelle. Il existe cependant d’autres messages qui estiment que le sida se transmet par la voie sanguine. La transmission mère-enfant est abordée mais par très peu de messages.

De ce premier travail d’arrangement des messages de notre corpus, il apparaît que les similitudes primaires qui s’en dégagent se rapportent à la définition du sida à son origine à l’épidémiologie et à la lutte. Chacun de ces types majeurs laisse apparaître en son sein une divergence typologique opposant ce que nous avons appelé : les messages dominants aux messages dominés. Chacun de ces deux types à son tour laisse apparaître d’autres sous-types. Ces similitudes constituent les discours de base dont nous allons maintenant observer la tenue dans le temps.