B.2.3- Les discours des masses

A la différence des discours dominants qui ont affiché une certaine réserve par rapport au thème de l’origine du sida, les discours des masses apparaissent comme ceux qui ont le plus alimenté la polémique sur ce thème.

Les messages dominés retenus dans notre corpus définissent le sida tantôt comme une idée américaine, tantôt comme une invention occidentale. De cette définition, il apparaît clairement que pour les émetteurs de ces messages, l’origine du sida est en occident et souvent confondue avec la race blanche.

Ces messages apparaissent comme une réplique aux messages qui situent l’origine en Afrique. Deux des articles de Cameroon Tribune évoqués antérieurement (la psychose du sida et première banque d’échange internationale pour les recherches) participent de cette logique. Bien que publiés dans un journal gouvernemental, ces articles rentrent dans la logique non officielle parce qu’il s’agit des billets c’est-à-dire des articles d’opinion. Le premier réagit contre ce qu’il considère comme « une manipulation flagrante de l’information » pour relever que ce sont les occidentaux qui localisent l’origine du sida en Afrique centrale. Le second, tout en marquant sa surprise par rapport à l’importance que les Occidentaux (une fois de plus) accordent à l’expansion du sida en Afrique, observe qu’il y a comme un tâtonnement dans cette recherche de l’origine du sida. De l’avis de l’auteur de cet article ; cette recherche tatillonne, ne semble s’orienter que vers la communauté noire : « … certains ont pointé du doigt Haïti puis le Zaïre, la République Centrafricaine et même l’Ouganda ». Haïti, n’est pas dans le continent africain et n’a pour seul lien avec les trois autres pays cités que la race noire de sa population.

Par rapport à cet aspect géographique de l’origine, les discours des masses sont variés. Les uns situent cette origine au Etats-Unis singulièrement, d’autres en occident en général et une troisième catégorie évoque l’origine africaine mais pour appuyer la thèse d’un « complot occidental » pour « décimer » la population africaine.

Au-delà de cette sourdine querelle sous fond de racisme qui transparaît à travers l’origine du sida, il faut souligner le rôle majeur de la genèse du sida en tant qu’ensemble des éléments qui ont contribué à le produire. Nous avons relevé plus haut que certains estiment que le sida résulterait d’une mutation génétique d’un virus simiens qui serait passé du singe à l’homme. D’autres par contre soutiennent que le sida aurait été produit en laboratoire. Ces deux positions majeures semblent avoir conditionné les avis des uns et des autres sur l’origine, en tant que lieu d’émergence, du sida. Il s’agit des positions variées et statiques, chaque groupe maintenant sa position de départ.

Edward HOOPER estime que le sida résulterait de l’échec d’une opération vaccinale menée dans la région des grands lacs (Afrique centrale) par une équipe de recherche américaine. Il s’agit d’une logique complexe combinant à la fois l’idée de genèse anthropique et d’un lieu d’émergence éclaté qui est l’Afrique, en tant que point d’apparition des premiers cas, et lieu d’application du vaccin (forme synthétique de la maladie) qui lui-même est réalisé aux Etats-Unis. La même logique vaccinale est évoquée par Louis de Brouwer dans l’Ere nouvelle. Il affirme que le sida serait le résultat d’un échec vaccinal réalisé en Afrique Centrale, au Brésil et à Haïti. Dans ce dernier cas le lieu de conception reste les Etats-Unis et celui d’émergence, l’Afrique Centrale, le Brésil et à Haïti présenté comme le canal qui aurait conduit l’épidémie aux Etats-Unis.

Dans l’ensemble, la question de l’origine du sida à travers les discours dominés est statique. D’aucuns situent l’origine du sida en Occident, certains autres en Afrique et une troisième catégorie estime que l’origine du sida est mystique c’est-à-dire que le sida serait le produit des forces occultes (Dieu ou les sorciers). Dans nos travaux antérieurs, il nous est apparu que la conception du sida comme une affection d’origine mystique exprime l’impasse face à l’incapacité des hommes de science à donner une explication cohérente et consensuelle sur l’origine du sida.