C.1.2- Les groupes à risque

Par rapport aux caractéristiques des groupes à risque, il y a eu aussi une grande dynamique du discours dominant. Quand apparaît l’épidémie au début des années 80, il y a trois principaux groupes à risque : les toxicomanes et les homosexuels, catégories peu connues au Cameroun (du moins à cette époque) et les prostitués. Par la suite, le discours dominant va dans un premier temps considérer que tout le monde est exposé de la même manière au sida : « tout le monde peut attraper le sida mais chacun peut l’éviter ». Plus tard, les femmes et les enfants seront présentés comme groupes à risque. Suivra alors un autre ciblage qui va identifier les groupes à risque sur le plan professionnel. Ainsi, les transporteurs routiers, les soldats, les professionnels du sexe (prostitués) les étudiants seront visés dans les messages de sensibilisation. Ce ciblage s’appuie sur la présomption d’activité sexuelle de ces groupes. Les transporteurs routiers, parce qu’ils parcourent de grandes distances (parfois d’un pays à un autre) et qu’ils sont amenés à passer une longue période en voyageant donc hors de leurs familles, ont une présomption d’infidélité. Du fait de cette présomption d’infidélité, ils sont susceptibles de contracter et propager le sida.

Pour les mêmes raisons, les soldats qui sont souvent amenés à effectuer de longues missions hors de leurs familles et qui de plus vivent désormais dans les casernes mixtes, sont susceptibles d’entretenir des relations sexuelles extraconjugales. Dans le cas des étudiants, la promiscuité des campus favorise les relations amoureuses et celles-ci aboutissent souvent à des relations sexuelles.

Il apparaît ainsi que ce ciblage est basé sur la contamination sexuelle. C’est dans le même sens que s’inscrit le ciblage qui évoque, au plan culturel les funérailles, les mariages précoces et les « relations sexuelles  transgénérationnelles », le sororat et le lévirat.

Par ailleurs, les discours dominants ont pris pour groupes à risque les personnes qui se font coiffer chez des professionnels (les coiffeurs). Le fait ici est que les coiffeurs utilisent les mêmes appareils pour tout le monde. Ces appareils sont susceptibles de transmettre le virus d’un « client » à l’autre. Le mode de transmission ici est la voie sanguine. C’est la même qui explique le ciblage vers l’excision, les scarifications, la circoncision et autres réalisées chez des praticiens traditionnels. La logique est que dans toutes ces activités, les instruments sont communs et souvent non stérilisés.

Certaines autres catégories ont été évoquées sans une grande insistance. C’est le cas par exemple des hémophiles. Ces cas n’ont pas fait l’objet d’une sensibilisation particulière. C’est également le cas de certaines pratiques culturelles (excision, circoncision, scarification, funérailles, etc.).

Au total, il apparaît que les discours dominants ont présenté des données épidémiologiques tellement fluctuantes qu’il en a résulté, non pas une meilleure compréhension de la pandémie mais plutôt des interrogations non élucidées.