A.1.1- Les milieux médicaux

Par milieux médicaux, nous associons, les hôpitaux, les laboratoires, d’analyses médicales, les administrations publiques en charge des questions de santé. Le sida est apparu au Cameroun comme un problème de santé. C’est donc vers les milieux médicaux que l’information s’est orientée prioritairement. Il était question de former le personnel médical à l’identification de cette affection et à la sensibilisation du public pour la prévention.

Contrairement à la psychopathologie où il n’est pas aisé de comprendre comment s’est faite la typification des comportements classés comme constitutifs de la maladie mentale, dans le cas du sida cette typification s’est faite à travers les campagnes d’information organisées par l’organisation mondiale de la santé (OMS). Il y a ainsi une émergence première, interne aux milieux médicaux. Cette émergence interne offre à ces milieux les outils normatifs qui, plus tard ont permis à ces milieux de typifier les symptômes et autres caractéristiques du sida. Notre référence à Cameroon Tribune l’unique quotidien qui paraît au Cameroun à cette période, permet de repérer ce cheminement historique.

Sur dix huit articles retenus dans notre corpus, entre 1984 et 1986, onze portent sur les séminaires organisés par l’OMS ou sur les données épidémiologiques publiées par cette institution. Sur les sept autres qui ne se réfèrent pas de manière explicite à l’OMS, trois publient les statistiques épidémiologiques mondiales que seule l’OMS publiait. Un des quatre restants est un billet c’est-à-dire un article d’humeur n’ayant pas l’information comme préoccupation majeure. Les trois derniers rapportent les actions nationales de lutte en France, en Italie et au Japon. Le relais de l’action d’information de l’OMS est pris par les spécialistes camerounais à partir de 1987. Le premier article de Cameroon Tribune abordant cette action nationale paraît le 6 mars 1987. Il est intitulé Le sida est là, il tue ; et le chapeau souligne : « Le Pr KAPTU E entame une campagne d’information ». A cette date, le Pr Lazare KAPTUE « spécialiste d’immunologie et des maladies du sang » est le président du Comité national de lutte contre le sida au Cameroun.

Au-delà de l’émergence de l’information sur le sida, les milieux hospitaliers apparaissent comme une surface première d’émergence des diagnostics. En effet, c’est à l’hôpital central de Yaoundé qu’est diagnostiqué le premier cas de sida au Cameroun en 1985. Le diagnostic, parce qu’il permet de visualiser ou d’entendre les malades, propose un contenu substantiel au discours. Avant le diagnostic du premier cas, le sida apparaît comme le mal des autres. Dans Cameroon Tribune, les articles relatifs au sida paraissent dans le page étrangère comme pour signifier qu’il s’agit d’une maladie qui ne sévit qu’à l’Etranger. C’est dans le n°3725 des 16 et 17 novembre 1986 que paraît le premier article abordant le sida en pages nationales. Neuf jours plus tard, le 26 novembre 1986, paraissait le deuxième article dans la même rubrique « société » réservée aux nouvelles nationales. Cette insertion du sida dans les « faits de sociétés » est d’autant plus significative que les deux sujets ne se rapportent pas à des évènements tenus au Cameroun. Le premier, porte sur une réunion tenue sur le sida tenue à Brazzaville au Congo, sous la présidence du directeur régional de l’OMS pour l’Afrique. Le deuxième, intitulé, Le boom des préservatifs relate l’augmentation de la consommation des préservatifs aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Les statistiques du Cameroun n’y apparaissent pas. Dès le mois de juin 1987, la fréquence des articles traitant du sida augmente dans la rubrique « société », comme un indicateur de l’acceptation du sida comme une réalité au Cameroun.

Le laboratoire d’analyse médical apparaît comme une autre surface d’émergence de l’objet sida. En effet, après la découverte du virus présenté comme cause du sida, il était désormais admis qu’on pouvait et qu’on devait se faire tester pour connaître sa sérologie car plus vite on découvre qu’on est porteur du virus mieux on peut se prendre en charge et plus on peut retarder l’échéance fatale. Les symptômes ne sont plus suffisants pour identifier les cas de sida il faut désormais les tests. Avec l’incitation au test sérologique, le laboratoire d’analyses médicales cesse progressivement, le statut d’institution de consultation. On peut en effet se rendre directement au laboratoire pour un test de vih sans prescription médicale. Les laboratoires d’analyses médicales vont ainsi établir des diagnostics et « révéler » le sida au public. La logique à la base est que tout contact entre un organisme humain et le vih conduit inéluctablement au sida qui lui-même conduit à la mort. Tout résultat positif à un test de vih était donc de manière transitive considéré comme révélateur de la mort prochaine du patient.

Le rôle du laboratoire d’analyses médicales est perceptible à travers les articles de Cameroon Tribune. Dans un article intitulé Des informations erronées sur le sida dans notre pays (édition du 16 avril 1987) on peut lire : « Le temps fort de la soirée a été à n’en pas douter le point sur les MST dont le SIDA au Cameroun » par le Pr. GARRIGUE, directeur du Centre pasteur de Yaoundé. Le Centre pasteur de Yaoundé est, à cette époque (jusqu’aujourd’hui) le laboratoire d’analyses médicales le plus performant. Les propos que rapporte Cameroon Tribune dans cet article ont été tenus lors d’un symposium international sur les maladies sexuellement transmissibles et le sida, qui a eu lieu à Yaoundé le 13 avril 1987.

Le 04 février 1988, le Pr. GARRIGUE accordait une interview à Cameroon Tribune pour confirmer que « le virus et le danger de contamination existent au Cameroun ». L’article précédent et cette interview révèlent l’importance du laboratoire d’analyses médicales dans l’émergence du sida aussi bien en tant qu’objet de discours, que dans la perception de cet objet comme une réalité figée et palpable. S’il est vrai que l’objet en question (le sida) n’est pas perceptible en lui-même, la perception sensible des personnes présentées comme victimes du sida se substitue à celle de l’objet sida. Le sida existe parce qu’il y a des personnes présentées comme victimes du sida. Les victimes du sida sont révélées par le laboratoire d’analyses médicales.