A.1.3- Les médias

Les médias sont des lieux où ont émergé les éléments caractéristiques du sida. Le rôle des médias, en tant que surface d’émergence du sida, est évoqué autant par les chercheurs dits dissidents que par les médias eux-mêmes. La thèse de doctorat de Jacques NOYER (op.cit) relève le rôle majeur joué par les médias dans la construction de l’objet sida. Dans une démarche similaire à celle d’Eliséo VERON (op.cit), il démontre comment les médias (la presse française), à travers les choix des énoncés à diffuser, la densification dans le temps des informations sur le thème sida, le relais accordé à des polémiques, etc. procède. Il déclare à cet effet : « si la mobilisation a été importante dans le milieu journalistique, comme elle le fut parmi les chercheurs, se sont en quelque sorte les racines de ce parallélisme que nous souhaitons mettre à jour » (1994, 114).

Nombre de chercheurs dissidents mettent en exergue le rôle prépondérant des médias dans l’émergence du sida ; les médias dans cette perspective sont perçus aussi bien comme acteurs, émetteurs de messages, que comme lieu d’émergence des objets et concepts qui ont permis de parler du sida. Etienne De HARVEN à cet effet dit :

‘« Dominée par les médias, par des groupes de pression et par les intérêts de plusieurs compagnies pharmaceutiques, la recherche officielle cherchait à contrôler la maladie… » ’

Dans le même sens, le Dr Harvey BIALY présenté comme éditeur scientifique du journal Biotechnology dit :

‘« La plupart des médias ainsi que la majorité des scientifiques impliqués dans la recherche biomédicale ont souvent souscrit sans discrimination à l’hypothèse selon laquelle un virus appelé Hiv est la cause du syndrome appelé SIDA ».’

Ces deux citations et bien d’autres, laissent admettre que les médias ont permis l’émergence de l’idée selon laquelle, il existe une maladie appelée sida et que cette maladie est causée par un virus appelé vih. Notre préoccupation n’étant pas d’en apprécier la pertinence, nous retenons que les médias apparaissent ici comme le lieu d’émergence de cette conviction, qu’elle soit fondée ou non.

Les médias eux-mêmes n’ont pas marqué de relever le rôle qu’ils ont joué et qu’ils continuent de jouer dans la formation des thèmes développés dans la construction des convictions établies sur le sida. Différents articles de Cameroon Tribune relèvent cette importante action médiatique dans l’émergence du sida. Dans l’édition du 05 décembre 1985, celui intitulé Le rôle de l’information est essentiel selon l’OMS souligne l’importance de l’information « du personnel médical, des sujets à risque et du grand public ». Il apparaît dans l’esprit de cet article, que les trois catégories évoquées sont toutes ignorantes par rapport à cette infection. Or c’est le personnel médical qui plus tard, devra expliquer le sida. L’information dont il est question ici passe certes par des rencontres institutionnelles (conférences, colloques, tables ronde, séminaires, etc.) mais aussi à travers les articles et interviews des spécialités ou les compte rendus deces travaux. Le billet publié le 03 janvier 1986 et intitulé La psychose du sida dit : « …la virulence du mal et les médias aidant, le sida a tôt fait de devenir une maladie du siècle ». Les médias sont évoqués ici comme véhicules des informations sur le sida selon cet article, l’information véhiculée n’est pas toujours sincère puis plus loin il souligne : « Grâce à une manipulation flagrante et déplorable de l’opinion, le sida est présenté ici ou là comme provenant de l’Afrique centrale notamment » un autre billet intitulé Sida-ci, Sida-là souligne : « ravages dans la presse : aucune dépêche concernant le sida ne va à la poubelle. Les "Une" et les "Der" des journaux le portent comme une écharpe à tous les numéros analyses, entrefilets, interviews, communiqués … On en déjeune, on en soupe. Un chroniqueur a l’air inculte qui n’en disserte pas ». L’article relève ici, outre le phénomène de saturation dû aux informations en provenance des sources supposées compétentes, mais aussi celui des élaborations propres des rédacteurs (« chroniqueur »).

Il apparaît ici, qu’à la différence des milieux hospitaliers et les institutions universitaires qui essayent de reproduire les messages des acteurs compétents, les médias font intervenir une diversité d’acteurs non compétents dans la communication sociale. Il en est ainsi des musiciens et des poètes dont les productions sont régulièrement publiées dans la presse camerounaise. L’édition de Cameroon Tribune du 09 juin 1987 publie le texte de la chanson gagnante lors du concours de la meilleure chanson sur le sida. Ce texte acquiert ainsi une crédibilité certaine puisqu’il est homologué par les institutions en charge de la lutte contre le sida. L’édition du 15 juin 1987 dans le même sens, publie six poèmes consacrés au sida. Ces différents poèmes présentent le sida tantôt comme un mal ou une maladie, tantôt comme un virus. Dans ce dernier cas, virus et maladie sont perçus comme synonymes. L’un de ces poèmes, intitulé, Hymne à la vie dit : « Qu’est-ce que le sida ? Le sida est un virus qui, à travers le monde est cause d’hécatombes. » Tous ces textes, pour le lecteur, ont la même valeur que ceux des autres rédacteurs, qu’ils soient produits par des spécialistes ou des journalistes.