A.2.2- L’autorité religieuse

L’autorité religieuse intervient en deuxième ressort dans la désignation, la nomination et l’instauration du sida comme objet. En effet, comme nous venons de le voir, ce sont les sciences médicales qui ont assemblé en première instance : les symptômes, certaines caractéristiques sociales et les données immunologiques des patients, pour constituer l’objet sida. Toutefois, l’action des sciences médicales s’est retrouvée encadrée par la morale religieuse. Entre multiples caractéristiques de la vie humaine, l’attention des médecins s’est focalisée sur celles qui sont condamnées par la morale religieuse. En effet, l’homosexualité, la toxicomanie et la prostitution qui sont les critères explicatifs de la nouvelle maladie, sont présentées par les principales religions monothéistes comme des péchés, c’est-à-dire les infractions à la volonté divine.

L’homosexualité est le principal péché reproché aux habitants de Sodome et Gomorrhe dans la Bible (Genèse 19 : 4-5). Le même péché se retrouve à Guibéa, une ville Benjamite (Juges 19 : 22). Dans un cas comme dans l’autre, ce péché a entraîné une destruction massive du peuple. Ce fut la destruction des deux villes jumelles par le feu et le souffre descendus du ciel, alors que dans le cas de Guibéa les Benjamites furent presqu’exterminés par le reste de leurs frères israélites. L’acte par lequel un homme s’accouple avec un autre homme ou avec une femme par la voie anale porte désormais le nom de sodomie par référence à Sodome. Au total, il reste attaché à la sodomie ou à l’homosexualité, la peur de la destruction massive. L’Islam aussi considère l’homosexualité comme une abomination.

Avec la convocation de l’homosexualité dans l’explication de ce qui n’est encore qu’une nouvelle maladie, juste caractérisée scientifiquement par l’immunodéficience, le sida bascule dans le domaine de la morale fortement influencé par l’autorité religieuse. Ce basculement dans la morale va s’accentuer à mesure que les explications scientifiques vont convoquer d’autres critères tels que la prostitution et la drogue. L’action de l’autorité religieuse va se déployer à deux niveaux : au plan scientifique elle entraîne les explications vers un registre moral. Au niveau populaire, la nouvelle maladie est perçue comme une affection spirituelle résultant comme le feu et le souffre de Sodome et Gomorrhe, de la colère divine. Ces deux niveaux participent de deux ordres de construction de la réalité sur lesquels nous reviendrons en détail. Toutefois, la double perspective de l’intervention de l’autorité religieuse situe le sida à la fois dans le champ scientifique et dans le champ spirituel. Dans le premier cas il résulte de la mutation d’un virus du fait d’une sexualité anormale ou contre nature. Par rapport à la deuxième perspective, le sida est une maladie spirituelle qui peut se guérir, par des prières ou par des rites d’expiration. L’analyse de l’influence de l’autorité religieuse dans la manière de désigner, de nommer, de partager ce qui entre en compte ou ce qui est rejeté dans la construction du sida comme objet, laisse apparaître d’autres instances non scientifiques en plus de l’autorité religieuse. Il en est ainsi du droit.