A.2.3- Le droit

L’objet sida ne s’est pas constitué une fois pour toutes. Il s’agit d’un processus évolutif qui loin d’être à son terme. Dans ce cheminement, ce sont les sciences médicales qui ont constitué le sida comme objet. En cela les sciences médicales se fondent sur la compétence que leur reconnaissent les autres disciplines et tous les acteurs de la communication sur le sida. Mais les sciences médicales elles-mêmes se caractérisent, comme l’affirme Michel FOUCAULT par la polémique, la perméabilité à des options philosophiques et par une certaine malléabilité par des politiques. Ce caractère polémiste et cette perméabilité aux influences extérieures, amène les sciences médicales ou biologiques à recourir à l’arbitrage du droit. La découverte du virus du sida a été revendiquée à la fois par le Français Luc MONTAGNIER et l’Américain Robert GALLO.

L’arbitrage de la polémique autour de la paternité de la découverte du virus du sida va influencer d’une certaine manière, la manière de nommer. L’activité de recherche s’accompagne toujours d’un principe juridique de protection de la découverte. Il ne s’agit pas exclusivement de la protection des principes scientifiques mais aussi, de la protection des noms donnés aux découvertes réalisées. Dans la fin des années 80, le Comité d’intégrité scientifique du National Institute of Health déclare le Dr Robert GALLO coupable de fraude scientifique5 accusation qui sera lavée selon les mêmes sources grâce à un bureau d’avocats. Il apparaît, à travers ce cas, que la manière de désigner, de nommer ou d’instaurer le sida comme objet a fortement été influencé par le droit.

Les instances de validation scientifiques apparaissent d’ailleurs comme de véritables institutions juridiques, dotées du pouvoir de censure. En effet, ni le nom de LAV proposé par le professeur Luc MONTAGNIER, ni celui de HLTV3 suggéré par son homologue et rival Robert GALLO n’ont été adoptés pour désigner le virus présenté comme cause du sida. C’est plutôt celui de VIH imposé par le Comité international de taxonomie des virus qui a été adopté. Il ne s’agit pas d’une intervention accidentelle mais d’une compétence institutionnelle qui révèle la permanence d’une telle action.

L’action juridique va au-delà du règlement des conflits entre homme de science et de la désignation ou de la protection des découvertes scientifiques. Les politiques, au niveau des Etats ont recours au droit pour tenter de contenir la propagation du sida. Au Cameroun, le test dit de sida est prescrit de manière systématique et quasiment obligatoire dans les examens prénataux et préopératoires. Ce test a été institué par certains Etats comme condition d’obtention d’un visa d’entrée.

Certains articles de Cameroon Tribune révèlent cette forte intervention du droit dans les discours sur le sida. Dans l’édition du 05 septembre 1985 nous pouvons lire sous le titre Le rôle de l’information est essentiel selon l’OMS la phrase suivante :

‘« Le SIDA provoque des remous dans les prisons belges où les personnes incarcérées dénoncent l’insuffisance des mesures de protection sanitaire contre cette maladie »’

Cet article soulève le problème du droit à la protection des personnes vivant ensemble, en milieu carcéral certes, mais aussi dans le reste de la société. Le même problème s’était posé plus tard dans les stades de football où les joueurs se blessent régulièrement, laissant ouverte la possibilité de contacts sanguins entre différents joueurs durant le match. Dans l’édition du 17 novembre 1986, l’article intitulé Le directeur régional de l’OMS préside une réunion sur le sida dit :

‘« Cela ne met cependant pas à l’abri les autres groupes notamment les hétérosexuels à multiples partenaires changeants, et le SIDA peut même faire des victimes innocentes parmi les bébés nés de mères porteuses du virus ou ceux qui ont subi une transfusion de sang infecté ». ’

Le terme « innocents » évoqué ici soulève le problème de la responsabilité (pénale) dans la transmission du sida. Le procès des infirmières Bulgares et du médecin Palestiniens accusés d’avoir « volontairement » contaminé des enfants libyens par le virus du sida est resté mémorable tellement les médias en ont fait écho.

De ce qui précède, il apparaît que le droit est une instance de délimitation qui contribue à départager ce qui doit être admis de ce qui doit être rejeté. C’est le rôle joué par les institutions scientifiques à vocation juridique et les institutions de protection des découvertes (brevets). Le droit intervient également en tant qu’instance de délimitation en abordant la transmission de la nouvelle affection (sida) dans une perspective morale qui oppose l’innocent au coupable.

Notes
5.

John GREWDSON, Chicago Tribune, 19 novembre 1989 in La plus grande escroquerie <http:/perso.orange.fr/sida-santé/journal/jouescr.htm. du 19/07/2007