B.3- Le regard juridique

Analysant la naissance de la clinique, Michel FOUCAULT affirme :

‘« Mais là encore, il a fallu abandonner cette hypothèse de départ et reconnaître que le discours clinique était tout autant un ensemble d’hypothèses sur la vie et la mort, de choix éthiques, de décisions thérapeutiques, de règlements institutionnels, de modèles d’enseignements, qu’un ensemble de descriptions ». (69, 47)’

Les expressions « règlements institutionnels » et « les modèles d’enseignement » révèlent l’aspect normatif du discours clinique que nous appelons ici le discours des sciences médicales. La norme nous renvoie tout de suite à un principe de droit. Peut-on et doit-on sortir de la norme ? Il ne s’agit pas simplement d’un questionnement sur les décisions thérapeutiques ou sur les choix éthiques, l’aspect normatif va s’appliquer à la gestion de la maladie à la fois par le malade et par le soignant. C’est ici qu’apparaît par exemple le problème de l’euthanasie. Peut-on se donner la mort ou doit-on donner à un malade incurable ? Se pose aussi le problème de la gestion des maladies contagieuses en société. Peut-on divorcer pour éviter de contracter la maladie du partenaire ? Doit-on révoquer un employé qui risque de contaminer ses collègues dans une entreprise ?

Le regard juridique, parce qu’il cherche à percevoir ce qui peut être fait et ce qui ne le peut pas, ce à quoi on peut s’attendre et ce à quoi on ne peut pas, se prête à un type particulier de formulation des discours sur la maladie. Cette formulation s’articule autour des notions de droits et devoirs. C’est dans ce sens qu’on parlera du droit à la vie, du droit à la santé. Le médecin, pour entrer en fonction prête serment acceptant ou mieux se donnant publiquement le devoir de rechercher la guérison du malade avant toute autre considération. Ce principe ouvre la voie à la formulation des discours tendant à apprécier l’action des médecins par rapport au serment d’Hippocrate. Ce sont des discours du genre « les médecins se préoccupent beaucoup plus de leur enrichissement que de la guérison des malades » ou « le médecin s’occupe mieux des malades dans sa clinique privée plutôt que dans l’hôpital public où il exerce ».

Le regard juridique amènera également à formuler des discours fondés sur le type de propriété des formations médicales. Ainsi, les coûts élevés de traitement seront jugés normaux ou acceptables dans des formations hospitalières privées mais condamnés dans des formations hospitalières publiques.

Le regard juridique ne se bornera pas seulement à distinguer les actions médicales dans les institutions publiques par rapport aux institutions privées ou à déterminer ce qui peut être fait ou ce qui ne le peut pas dans le domaine médical. Le regard juridique a également tendance à déterminer ce qui doit entrer dans le domaine de la santé. C’est dans cette perspective que certains soins ou même certains résultats de la recherche médicale peuvent être frappés d’illégalité et voués à l’interdit.

Au total, le regard juridique offre différents modèles de pensée qui permettent la formulation de certains types de discours en rapport avec la santé et la maladie. Ces discours ne varient pas en fonction de l’affection mais ils peuvent varier avec le temps, suivant une dynamique interne au discours juridique lui-même. En d’autres termes, le regard que pose le droit sur la maladie reste constant quelle que soit la maladie ; ce regard peut toutefois changer si de nouvelles préoccupations apparaissent par rapport à la perception que le droit a sur les relations sociales en général. Ces nouvelles préoccupations pourront à nouveau se transposer sur les questions de santé.