C1-2 Au plan économique

Les années 80 connaissent en Afrique une conjoncture économique difficile. Au début de la décennie, le continent est soumis à une sécheresse sévère. Il s’en suit une grande famine au milieu des années 80. Les gouvernants perçoivent cette conjoncture sous l’angle de l’insécurité. L’Afrique n’est pas cependant seule à subir cette onde de chaleur ; l’Asie et l’Amérique latine sont elles aussi touchées. Dans l’édition de Cameroon Tribune du 31 juillet 1983, figure un article intitulé : Brésil : 2000 femmes affamées envahissent une bourgade du Nord-est. Il s’agit des femmes d’AguasBelas, dans le Nord-est du pays. Dans le corps de l’article on peut lire :

‘« La localité d’AguasBelas est située dans l’Etat de Pernambouc au Nord-est du Brésil où sévit depuis cinq ans une sécheresse qui a pratiquement détruit son économie essentiellement agricole, envoyant des centaines de milliers de travailleurs agricoles en chômage ».’

Dans l’édition du 18 mai 1985, apparaît un autre article intitulé La famine en Afrique : la campagne lancée par 45 chanteurs américains a déjà rapporté près de 25 milliards de francs. Il s’agit d’une campagne visant à collecter des fonds pour venir en aide aux pays de l’Afrique de l’Est frappés par la sécheresse. Cet article paraît quatre mois après le lancement de ladite campagne. La sécurité alimentaire apparaît comme l’un des plus grands centres d’intérêt de Cameroon Tribune dans la décennie 80. Différentes expressions sont utilisées pour en parler. Tantôt ce thème est abordé sous l’expression « famine », tantôt sous celle de « sécurité alimentaire », tantôt encore sous celle de « malnutrition ». Il s’agit d’un fléau à éradiquer que le discours de cette époque présente comme « un ennemi à combattre ».

La famine n’est pas le seul aspect de la menace économique perçue en Afrique dans les années 70-80. Dans son édition du 27 et 28 octobre 1985, Cameroon Tribune publie un article intitulé ; Egypte : les difficultés économiques aggravées par une démographie galopante. Cet article met en exergue un thème récurrent dans les médias camerounais des années 80 ; il s’agit de la démographie. Le problème posé est celui de la maîtrise d’une population jugée en croissance excessive. L’expression « démographie galopante » de l’article précédent en est une illustration. Dans l’édition du 02 novembre 1987, nous retrouvons un autre article intitulé : Séminaire sur la parenté responsable : maîtriser la procréation. L’édition du 11 juillet présentait déjà un dossier visant à montrer que la population mondiale a franchi « le seuil de l’intolérable ». Il apparaît dans l’un des articles de ce dossier que, malgré l’exode subi du fait de la traite négrière, l’Afrique connaît une « explosion démographique sans pareil ».

La logique des articles de Cameroon Tribune est celle de Malthus qui postulait que la population croit à un rythme exponentiel alors que les ressources croissent à raison arithmétique, ce qui, à terme pose un problème d’adéquation entre les deux quantités. Comme justement le préconise Malthus, Cameroon Tribune opte pour la « maîtrise » de la population, une autre manière de dire la limitation des naissances. Le discours sur la limitation des naissances semble cependant n’avoir pas trouvé l’adhésion de l’opinion nationale. A travers la rubrique « les petits desseins du sourire » qui, comme les billets publiés dans ce journal, se caractérise par une grande liberté de ton, se trouve un article intitulé : Vous, les concepteurs des contraceptifs. Il s’agit d’une épitaphe surplombant un cimetière. On peut y lire :

‘« Ne faites pas attention à cette tombe : il n’y a personne dedans. L’homme qui aurait dû y être n’a pu exister, un contraceptif violent s’étant interposé ».’

La désapprobation du discours sur la maîtrise ou la limitation des naissances semble avoir poussé les officiels à changer les concepts utilisés dans leur campagne de sensibilisation. Ainsi apparaissent les concepts de parenté responsable et de planning familial. Dans un article publié le 9 septembre 1987 dans Cameroon Tribune on peut lire : Planning Familial : la méthode billings se répand chez nous. Il s’agit d’une méthode contraceptive. Dans l’édition du 4 novembre 1987 paraît un autre article intitulé : Séminaire sur la parenté responsable : de nombreux problèmes vécus à l’étude.

Ces articles laissent admettre que la menace qui pèse sur l’humanité c’est la pression démographique. Par rapport à ce thème, il apparaît deux sons discordants entre d’une part le discours dominant, celui des officiels qui militent pour la limitation des naissances et d’autre part, le discours des masses qui pensent qu’il est bon de faire beaucoup d’enfants. Entre les deux types de discours, il n’y a pas un cadre formel d’échange ; l’échange n’est pas direct, les acteurs de chaque logique reçoivent en différé, les messages de la logique adverse.

L’échange que nous pouvons qualifier ici d’informel entre le discours dominant et le discours dominé au sujet de la limitation des naissances (parenté responsable, planning familial, contrôle des naissances) révèle un type de fonctionnement de la communication sociale au Cameroun. Ce type est fonctionnel lorsque le sujet de la communication est problématique ; c’est-à-dire quand il heurte les conceptions culturelles locales. Nous allons analyser comment le thème sida s’inscrit dans ce type de fonctionnement de la communication sociale dans le chapitre IV de la troisième partie.