Chapitre III.
Dynamiques scientifiques

Nous sommes convenus dans le chapitre précédent que le concept de sida se prête à différentes représentations qui sont des constructions symboliques. Par construction, avons entendu, à l’image de l’architecture, un processus à travers lequel des éléments différents dans leur nature et dans leur forme sont agrégés, sédimentés pour donner une forme et même une nature, différentes de celles des éléments du départ. L’éclairage du constructivisme nous révèle que la construction de la réalité sociale est constituée d’acquis du passé, ce que Michel FOUCAULT appelle pré-constructions. Il nous est apparu ; dans les chapitres précédents, que dans la construction de la réalité du sida, les connaissances théoriques et pratiques accumulées dans le domaine de la santé, ce que nous avons appelé le regard médical ; les discours sur la sécurité individuelle et collective ; les discours religieux sur le sexe et sur la santé (le regard religieux) ; les discours des cultures nationales sur la santé et la vie (les regards africains) etc. ; sont autant de pré-constructions.

Ces savoirs et savoirs-faires, ce que Alfred SHÜTZ appelle des allants de soi, ont pour corollaire, la typification du monde social ; typification qui entre en jeu dans la perception des actions et des fonctions sociales. Pour Alfred SHÜTZ, les typifications de l’environnement social suscitent certaines attentes normées, standardisées. En d’autres termes, ces attentes seront :

‘« Habituellement élaborées en vertu de certains types, faisant en sorte que les significations octroyées aux typifications acquièrent un caractère relativement commun qui s’impose dans certains milieux »11

L’on pourrait se demander comment se fait l’élaboration des attentes. S’agit-il d’une opération externe effectuée par les acteurs de la communication selon leurs logiques propres ou s’agit-il d’une dynamique structurée par ces attentes elles-mêmes ? Pour Michel FOUCAULT :

‘ « …il est légitime en première instance de supposer qu’une certaine thématique est capable de lier, et d’animer comme un organisme qui a ses besoins, sa force interne et ses capacités de survie, un ensemble de discours » (1969, 50).’

Savoirs et savoirs-faires apparaissent comme des matériaux que les acteurs sociaux utilisent, selon une dynamique imposée par différentes thématiques, pour construire d’autres savoirs et savoirs-faires, ce nous appelons ici les réalités sociales. Reste à déterminer la manière dont ces savoirs et savoirs-faires sont agencés les uns par rapport aux autres pour produire les nouvelles réalités.

Notre objectif dans ce chapitre est d’analyser comment, à travers les savoirs et savoirs-faires acquis (les allants de soi), les acteurs scientifiques de la communication sociale parviennent : à établir des certitudes sur le sida, à constituer des faits scientifiques. Parlant justement de « la construction sociale des faits scientifiques » Philippe CORCUFF affirme :

‘« Plus largement, la genèse historique d’un fait est jalonnée de controverses scientifiques, de stratégies diverses, de publications incluant des formes rhétoriques de persuasion, de liens établis avec des organismes financeurs ou de logiques de carrière, comme elle se façonne dans les activités quotidiennes au sein du laboratoire, par exemple dans les conversations informelles. La construction d’un fait scientifique ne renvoie donc pas seulement à un travail intellectuel et discursif, mais elle mobilise tout un ensemble d’autres pratiques ainsi que des techniques et objets qui sont des matérialisations des débats antérieurs ». (2002, 70).’

Les développements antérieurs montrent que la genèse historique du sida est effectivement jalonnée de controverses scientifiques ; qu’elle a mobilisé comme stratégies : des formes de rhétorique de persuasion, des publications, des liens avec des structures de financement, des logiques de carrière et même des actions politiques. Nous allons examiner comment ces stratégies ont permis d’une part la conservation, d’autre part la transformation et enfin la réinvention de nouveaux savoirs et savoirs-faires. Nous prendrons pour base d’analyse les hypothèses du docteur Michael GOTTLIEB.

Notes
11.

Alfred SHUTZ, survol thématique de son œuvre,21/08/2008 http://fr.wikipedia.org.le23/08/2008