III.3. Des images à un imaginaire de la gémellité en Afrique de l’Ouest

Les doubles portraits gémellaires, loin d’être une restitution du réel, traduisent une certaine idée de la réalité et ressemblent tout autant aux dogmes de croyance, aux modes de pensée qu’à un imaginaire partagé. S’ils écrivent sans conteste quelques pages de l’histoire des populations d’Afrique occidentale, témoignant d’une volonté des individus de s’inscrire dans leur temps et d’y apporter les images de leurs personnalités complexes, nous aurions tort cependant de les inféoder à un seul cadre historique et social. En effet, les dédoublements et fragmentations suggèrent tout autant une conception de soi - en images indépendantes des fluctuations du monde réel -. Les doubles portraits sont bien sûr liés à des contextes familiaux et à la variété des propositions artistiques des studios, dans une période stimulée par les succès de la photographie et par la découverte de soi dont ils sont prometteurs. Il faut pourtant considérer ces images gémellaires dans une dimension plus vaste car elles réactualisent des fondements culturels liés aux jumeaux : mythes des origines, croyances anciennes, parfois des superstitions, dont elles sécularisent finalement l’aspect religieux au point de produire une iconographie moderne et populaire de la gémellité, sans précédent.

Recueillant, créant et fixant les images de la gémellité en Afrique de l’Ouest, cette iconographie ne peut toutefois s’ancrer dans les seules sources formelles et historiques des représentations de jumeaux. Ces images s’inscrivent dans un contexte où l’imaginaire de la gémellité, loin de se cantonner à des objets concrets et à des représentations visibles, imprègne tous les aspects de la vie, des plus prosaïques aux plus poétiques, des plus religieux aux plus banalement quotidiens. Et bien qu’elles semblent mettre en valeur les caractéristiques gémellaires les plus propices à l’élaboration d’images idéales, elles suggèrent, tant dans leur création que dans leur réception, un imaginaire ambivalent reflet de l’ambiguïté inhérente à la gémellité. En conséquence, on pourra considérer ces modestes doubles portraits de studios - images séculières et stéréotypées déclinant un prototype divin gémellaire - comme des représentations concrètes d’individus exposant leurs images mentales, comme les fruits mais aussi les germes d’un imaginaire collectif de la gémellitéinnervant nombre de cultures d’Afrique de l’Ouest, comme des images, enfin, situées dans une circulation ou dans une palpitation entre le visible et l’invisible.