7. Violences conjugales et vulnérabilité des femmes:

On va aborder la question de l’acte de violence en tant que symbole, le court-circuit pulsionnel à la place de la médiation de la parole, l’image inconsciente du corps, la répétition et la logique de la violence.

La violence suscite toujours une forte émotion, on distingue ce qui relève du fait et ce qui relève du vécu en formulant l’hypothèse que la violence est un vécu qui repose sur un acte. On abordera ensuite celle-ci sous l’angle de l’approche descriptive, pulsionnelle puis subjective. La violence est une réalité incontournable, elle est plurielle dans sa nature et dans les affects générés et ne saurait se limiter à l’acte physique.

Ainsi, si la violence verbale est la plus fréquente, la violence psychique la plus grave, par contre la violence psychologique qui est le résultat de toutes les autres violences est la plus épuisante et les violences institutionnelles les plus intolérables. Malgré cette classification, subsiste la difficulté de déterminer ce qui fait qu’un acte est qualifié de violent. « Il y a violence, quand, dans une situation d’interaction, un acteur agit de manière directe ou indirecte, massée ou distribuée, en portant atteinte à un autre, à des degrés variables, soit dans son intégrité physique, soit dans son intégrité morale, soit dans ses participations symboliques et culturelles.» (Morasz, in Violence, agressivité, pulsion de mort…, 2002).

L’action violente peut donc se concevoir presque comme un traumatisme, soit une action défensive ou expressive quand il a le désir de s’exprimer par la violence.

Au-delà de la violence verbale et du rejet affectif, il n’est pas rare que des comportements sadiques et dévalorisants associent des mauvais traitements physiques aux sévices psychologiques.

Le but de l’emprise est de dominer l’objet par la force. Vue sous cet angle, la maltraitance psychologique est essentiellement le fait des pervers narcissiques.

‘« Le pervers narcissique est une sorte de vampire. Comme les vampires, il a besoin de se nourrir de la substance de l’autre, de s’approprier le narcissisme gratifiant de l’autre. La perversion narcissique consiste en la mise en place sur une personnalité narcissique d’un fonctionnement pervers, elle est définie comme : une organisation durable ou transitoire caractérisée par le besoin, la capacité et le plaisir de se mettre à l’abri des conflits internes et en particulier du deuil, en se faisant valoir au détriment d’un objet manipulé comme un ustensile ou un faire-valoir.» (Hirigoyen, 1998, p. 54). ’

Comme tous les pervers, le pervers narcissique ignore la culpabilité, la compassion, le respect d’autrui. Il est insensible à la souffrance qu’il inflige. L’objet ici est traité comme déshumanisé. Sa fragilité n’inspire aux yeux du pervers narcissique aucun sentiment de responsabilité éthique.

Hirigoyen s’est aperçue que des personnes culpabilisées au départ, se trouvent réellement en situation de faiblesse lorsqu’elles croisent un « harceleur ». Le harcèlement moral se passe fréquemment sur le lieu de travail mais peut survenir à l’intérieur du cercle privé, notamment dans la famille.

Donc, la notion de « harcèlement » répond à des caractéristiques précises : persécutions à répétition et pendant une durée assez longue ; procédés visant à dévaloriser la victime ; isolement de la victime en la critiquant, culpabilisation de la victime en l’empêchant de s’exprimer et en assimilant ses réactions à de la « paranoïa ». Le harcèlement dans ce cadre est le plus fréquemment « descendant » donc pression exercée par un supérieur hiérarchique ou par un parent qui abuse de son pouvoir.

Tout phénomène psychique est, par définition, le résultat d’une intrication pulsionnelle, c’est à dire de l’ensemble des deux pulsions fondamentales. Toutefois, il n’en reste pas moins vrai que l’alliage des deux pulsions n’est pas toujours le même : l’accent peut être mis sur l’une ou l’autre des pulsions. C’est pour cette raison que nous allons examiner d’abord, avant d’envisager les faits sur le plan de leur intrication, les liens unissant la violence et la pulsion de vie d’une part, la violence et la pulsion de mort d’autre part.

La deuxième observation concerne la définition du masochisme. La question qui se pose est celle de son origine et de sa définition fondamentale. Pour Freud, on peut enraciner le masochisme au niveau pulsionnel primaire. Le masochisme du point de vue pulsionnel est cette même pulsion de mort destructrice susceptible de provoquer la douleur et la souffrance mais investie par la libido, c’est la destructivité libidinalisée. C’est l’utilisation la plus générale et la plus importante du pouvoir de liaison de la pulsion de vie. Puisque masochisme et intrication pulsionnelle sont primairement et fondamentalement identiques. Tout objet est pulsionnellement parlant le résultat d’une intrication : « Il existe donc une dimension masochique de tout objet et tout phénomène.» (Rosenberg, 1991, p. 23).

Le type de masochisme sous-jacent à la violence des violents est négatif, mortifère. « Le masochisme mortifère étant défini par l’importance déterminante en son sein de la pulsion de mort, le masochisme des violents est mortifère.» Il s’agit des sujets qui non seulement veulent rendre supportable l’excitation mais recherchent également cette dernière, et même son augmentation. « L’excitation importante étant la définition du déplaisir, elle est recherchée par ces sujets.» (Halfon, Ansermet, Laget et Humbert, 2002, p. 64). Puisqu’on ne peut pas vivre sans objet, c’est à dire sans pouvoir ni satisfaire la libido ni l’utiliser dans la défense contre la pulsion de mort, ce masochisme est mortifère.

Le Moi et l’angoisse sont liés depuis le début, depuis la constitution du moi, et le déplaisir de l’angoisse est ressenti malgré le masochisme. « C’est l’angoisse, l’accumulation de la pulsion de mort à l’intérieur de l’individu qui attaque, par son action de division-désagrégation le moi et son unité, ce qui provoque l’angoisse.» (Rosenberg, 1997, p. 12).

Le masochisme se projette et se transforme en sadisme. Cette transformation du masochisme en sadisme, tout en étant une défense pour le violent, nous donne l’occasion d’étudier le plaisir de ce dernier. Le plaisir sadique, Freud l’a expliqué de façon approfondie : une fois qu’éprouver de la douleur est devenue un but masochiste, le but sadique consistant à infliger des douleurs peut aussi apparaître, rétroactivement : alors, « provoquant ces douleurs pour d’autres, on jouit soi-même de façon masochiste dans l’identification avec l’objet souffrant » (Freud, in Pulsions et destin des pulsions, p. 28).

Mais, et selon notre étude, quel lien existe-t-il entre le masochisme du violent et le masochisme de la violentée ? La question qui se pose c’est pourquoi la violentée accepte, obéit et reste sous la violence ? Comment est-elle elle-même masochiste ?

‘« Dans le cas du violent, il s’agit de projection, à travers le sadisme, du masochisme mortifère qui est le sien. Le vrai sadisme du violent, et son plaisir, commence au moment où il est convaincu que son masochisme mortifère est vécu non pas par lui mais par l’objet » (Halfon et al., 2002, p. 67) : en effet, le violent sadique trouve un sens à faire du mal à l’autre, à provoquer la douleur et la souffrance si, en s’identifiant avec la souffrance de l’autre, il y voit une preuve de sa réussite à y projeter son masochisme. « Le sens de la violence du violent consiste donc, par un mouvement projectif sadique, à exporter le masochisme mortifère qu’il vit en lui-même à l’autre, à l’objet.» (Halfon et al., 2002, p. 67). ’

Le violent est donc prêt à vivre un masochisme mortifère à condition que celui-ci soit vécu par identification à l’objet, c’est à dire que ce soit le masochisme de l’autre, de l’objet. Il compense donc son sadisme (caractéristique de l’agresseur) à travers à ce qu’il sent avec son objet, le masochisme de l’autre.

Les réactions « masochistes » des femmes diffèrent, elles ne parlent pas, soit elles se culpabilisent, soit elles n’ont pas la volonté de quitter leurs conjoints, elles deviennent dépendantes affectivement d’eux.

Tous ces facteurs et évidemment d’autres, rendent la femme, si on peut utiliser le terme « masochiste » ou plutôt obéissante et qui n’ose pas quitter son mari.

En revanche, on peut dire qu’est un mythe le fait de considérer que les femmes victimes de violence aiment cela, sinon elles ne resteraient pas. Parce que les femmes restent pour des raisons variées et complexes : elles espèrent changer l’homme qu’elles aiment, croient en ses promesses, se sentent coupables de briser le foyer, elles ont peur des menaces et elles n’ont pas les ressources sociales ou économiques pour s’en sortir seules, et/ou n’ont nulle part où aller.

Les conjoints violents ont souvent une faible estime de soi et des difficultés à s’affirmer en dehors du couple. Ils ont aussi très souvent des conceptions stéréotypées des rôles sexuels, ainsi que le désir d’avoir toujours raison et ils sont très rigides. Les conjoints violents cherchent aussi, très souvent, à s’isoler et à isoler leurs conjointes du reste de la société. Dans certains cas, les conjoints violents avaient eu dans leur enfance une relation très particulière avec leur mère. Pour préciser ce point, la mère était omniprésente dans la vie du conjoint violent, il dépendait totalement d’elle.

La psychanalyse, dont la théorisation repose sur le crime d’Œdipe, connaît bien la violence à travers l’étude des fantasmes.

‘« Non que Freud ait méconnu le problème de l’insertion du sujet dans un environnement puisqu’il a toujours défini la pulsion comme le moteur essentiel du vivant, fonctionnant par rapport à une source corporelle, un but actif ou passif, et un objet d’investissement. Mais il a craint en donnant à l’objet un rôle autonome et actif, de détourner l’attention de ce qui représente le cœur de la psychanalyse : la pulsion, héritage chez l’individu de tout un passé bio-anthropologique à travers les générations successives.» (Green, 1999, p. 264). ’

Certes la pulsion contient en elle-même, et c’est son moyen d’expression, les fantasmes originaires, notamment la scène primitive, qui, en s’enrichissant et se diffractant en multiples conflits et systèmes défensifs, donnent accès à toutes les représentations de la vie psychique. On connaît la compétence du nouveau-né, capable de faire savoir ce dont il a besoin. Mais si l’objet ne répond pas, en priorité aux nécessités vitales mais en même temps aux exigences de mise en scène des fantasmes, qu’advient-il ? C’est alors que se manifeste la détresse, irreprésentable, pas même marquée de souffrance, dépression, seul la remontre ave l’objet aurait pu faire naître.

Donc la mère est le premier bon objet pour l’enfant, or elle remplit chez lui un certain vide, l’existence d’un tel vide nécessite d’accepter le travail de séparation avec l’objet primaire qu’il faut chercher à cause du rappel du vide qu’elle fait naître.

En termes d’actes, et en ce qui concerne notre problème qui est la violence du mari envers sa femme, cela revient à dire que la perception de la femme a déclenché la réactivation d’une image maternelle archaïque douée de toute la puissance de destructivité perçue lors des premières expériences traumatiques. Le clivage est alors existant, dès lors l’acte devient une réaction de survie, consistant en un mouvement de désubjectivation pour laisser s’accomplir un processus de maîtrise de l’autre, de destruction et d’emprise.