11. Au-delà du principe de la violence:

Même si certaines violences sont aisément objectivables c’est au sujet, qu’il soit acteur, victime ou simple spectateur, qu’il revient en fin de compte de distinguer ce qui est violent de ce qui ne l’est pas, et les appréciations peuvent être sensiblement différentes. Est ressenti comme violent ce qui fait violence pour le sujet qu’il inflige cette violence, la subisse ou s’identifie à celui qui inflige ou subit cette même violence. Entre psychose et névrose, la plupart des conjoints violents sont névrotiques. De même, une observation de l’entourage accompagnée d’une consultation de quelques psychologues et professeurs révèle que la plupart des femmes violentées consomment des calmant et des médicaments grâce auxquels elles trouvent la sortie et la solution pour leurs problèmes. La dimension subjective est déterminante. Cette référence au vécu du sujet, que ce soit le vécu ressenti de l’éprouvé ou celui qui dicte le comportement, nous servira dans la recherche du sens de la violence et de sa place dans l’économie psychique. Cela nous conduit à dire que, d’une part ce vécu reflète en miroir ce qu’éprouve, sans en être nécessairement conscient, celui qui agit la violence, et d’autre part, que la violence représente une défense contre une menace sur l’identité. « La violence est en effet caractérisée par un sentiment de désubjectivation par celui qui la subit. Le sujet qui la subit doit s’effacer ou même disparaître comme sujet à part entière et pour le moins se soumettre à la volonté du sujet violent… et s’il n’est pas question de détruire l’autre, physiquement, l’absence de toute considération pour ce qu’il pense, ressent, désire équivaut bien à sa négation comme sujet à part entière.» (Halfon et al., 2002, p. 181).

Mais qu’en est-il du sujet violent lui-même ? Pourquoi en effet un tel besoin d’affirmation, voire de triomphe du Moi, et de plus par le truchement de la reddition et de l’humiliation d’autrui, si ce n’est parce qu’en miroir le sujet violent se sent menacé d’un destin semblable à celui de sa victime ?

Ces facteurs concernent préférentiellement un état d’insécurité interne, c’est à dire justement une situation de menace pour le Moi. C’est le facteur de risque majeur qui fait d’un Moi qui se sent menacé un Moi susceptible de devenir menaçant.

La violence en tout cas de ce contexte social qui est le nôtre n’est pas la manifestation d’un surcroît de force mais l’aveu de faiblesse d’un Moi sous l’emprise des impressions qui l’assaillent, qu’elles viennent de l’intérieur de lui ou de l’extérieur sans qu’il puisse les différencier.

La violence n’est pas un choix mais une contrainte qui s’impose à lui. En ce sens, la violence peut le paraître de l’extérieur et surtout que celui qui la subit, mais en fait c’est une tentative d’expulsion et de focaliser sur l’extérieur une situation intérieure intolérable dont la victime devient le représentant involontaire. Il y a souvent dans le déclenchement de l’acte violent un moment de trouble intense de la conscience, parfois même de dépersonnalisation en tout cas de confusion temporaire de soi et de l’autre.

Donc, l’acte violent est un acte contraire qui dans ses expressions les plus brutales apparaît très proche de l’hallucination. Comme elle, il fait irruption dans la conscience du sujet tel un corps étranger qui s’invite sans crier gare au cœur du Moi et le conduit à des actes dont il ne se sent pas toujours l’auteur.

Cette menace sur le Moi et ses limites et donc sur son identité peut provenir de l’extérieur comme de l’intérieur du sujet. Le sujet potentiellement violent ressent son besoin des autres comme une dépendance intolérable ; il se sent menacé donc dans son identité personnelle.

La violence est une réalité incontournable pour un soignant en psychiatrie mais la préoccupation à son propos devient grandissante. « L’action violente peut donc se concevoir presque comme un traumatisme… et la normalité n’est en aucun cas l’absence de pulsionnalité violente, mais sa bonne intégration dans un fonctionnement psychique satisfaisant. Le rapport normal à la violence n’est peut être donc que celui qui témoigne d’un fonctionnement psychique varié… » (in Psychiatrie et violence…, 2002, 2003).

En revanche, l’idée très répandue que les hommes battent leur femme en raison de troubles psychiatriques, spécifiquement psychotiques, ne résiste pas à l’analyse. Les faits démontrent que seule une infime minorité d’hommes agresseurs souffrent de problèmes psychiatriques sérieux. On a toujours comme préjugés que les hommes violents souffrent souvent des maladies psychiatriques, mais en réalité les hommes violents sont des hommes normaux, ordinaires, et il faut chercher d’autres causes pour expliquer leurs violences, et ce ne sont pas des explications psychologiques individuelles qui expliquent la violence des hommes, mais bel et bien des raisons sociales, notamment les privilèges qu’apportent le pouvoir et le contrôle exercé sur leurs femmes.

Enfin, les explications psychiatriques trouvent des limites, car on sait très bien que tous les hommes violents, à part leurs complications psychologiques, ne souffrent pas de maladies psychiatriques. Donner des excuses de ce sens aux hommes violents, c’est les déresponsabiliser et banaliser le problème.

Ce phénomène est multicausal, on ne peut pas le ramener à un seule cause ou à un seul facteur déclenchant, car la responsabilisation entraîne comme conséquence une partialité dans la vision du problème. La base de ce problème sera toujours une inégalité de pouvoir et de rôles sociaux, une domination masculine aussi souvent associée dans les inconscients que dans les instituts sociaux, des attitudes confirmées par les femmes, de passivité et de conciliation, un renforcement de leurs rôles traditionnels de femme, mère, épouse et maîtresse qui, mieux assumés, auraient pu, leur faire éviter l’agression.