Chapitre 3 - Différents mécanismes et manifestations des violences conjugales 

L’acte de violence s’étale souvent en, tout temps et en tout lieu, ce qui entrave les possibilités de le canaliser. De même dans toutes les sociétés et particulièrement les traditionnelles, on se confronte souvent au phénomène de la reproduction sociale, ainsi la violence dans ces sociétés est un ancien héritage reproduit d’une génération sur l’autre.

D’autres contraintes empêchent l’analyse et l’élucidation du phénomène de la violence conjugale comme le statut de la femme dans le couple et son degré de dépendance vis-à-vis de son mari, ainsi que le fait que le couple en question a été violenté dans son enfance.

Toutes ces contraintes furent des défis pour l’analyse féministe, cette analyse qui tente depuis toujours de résoudre le problème de la violence conjugale.

La violence est présente, pour certains, dès le début de la relation. Tant de femmes racontent avoir subi de la violence dès le début du mariage. Elle se manifestait surtout de façon verbale et psychologique pour la plupart d’entre elles. Les violences verbales et psychologiques ont augmenté quand la femme a commencé à contester le comportement de son conjoint.

Très souvent c’est la femme et particulièrement la femme instruite et qui travaille qui court le risque de subir l’acte de violence, car la femme en tant que femme prend conscience de son existence et elle commence à s’affirmer.

Le prétexte utilisé par les hommes pour justifier leur comportement violent se résume à peu de choses : tout est prétexte. Le plus souvent, les femmes se voient reprocher leur « irresponsabilité » et leur « provocation ».

Le vécu des violences des femmes nous apprend encore une fois que la violence débute très tôt dans la relation. Les femmes réagissent à la violence par la peur, le silence pour ne pas envenimer la situation ou par les pleurs. Ces réactions illustrent à quel point le sentiment d’impuissance est développé chez les femmes, qui ont appris très jeunes à vivre dans la violence ambiante : la rue, la télévision, leur entourage, … La peur fait partie de leur vie, mais elles apprennent à la dissimuler, à la maîtriser et à la taire. Cette peur intériorisée empêche les femmes de réagir. Les femmes pensent que leur conjoint est violent parce qu’il est jaloux, possessif, qu’il vit un sentiment d’infériorité, d’insécurité, qu’il a été élevé dans un climat de violence où les hommes avaient tous les droits, qu’il est incapable de faire valoir ses idées autrement. Pourquoi les hommes sont-ils violents ?

Les réponses à cette question illustrent le besoin pour ces hommes de dominer, de faire peur à l’autre pour l’empêcher d’agir. L’homme qui exerce la violence, qu’elle soit verbale, psychologique, … ne perd pas le contrôle.

Au contraire, il exerce, il affirme son contrôle, celui qu’il veut maintenir à tout prix sur sa compagne. Exercer le contrôle est une forme de domination, mais quelle domination ? Il s’agit de la domination symbolique.

L’humiliation de la femme à travers les mots est le premier passage pour transmettre la souffrance psychique qui est le résultat de l’héritage social. Le symbole a beaucoup de sens dans la violence, parfois on n’agresse pas la personne qui est devant nous mais on vise le symbole, ce qu’on ne voit pas.

‘« Si, en termes de violences relationnelles, viennent immédiatement à l’esprit celles qui sont les plus évidentes : les formes de maltraitances aussi bien maternelles que conjugales ainsi que les violences sexuelles, au-delà de ces formes qui ne prennent pas le corps pour cible, mais la psyché dans son besoin existentiel d’être reconnu et pris en compte, donc touchant son identité.» (Jeammet, 2001, p. 10).’

Abordons maintenant la relation corps-parole, symbolisme et violence : la dimension fondamentale est le silence des victimes de violence. L’analyse des effets de la violence permet alors de penser les conditions pour une sortie du silence tant pour les victimes que pour le tiers social interpellé comme témoin. La symbolisation suppose l’inscription au lieu de l’autre et passe toujours d’abord par l’autre mais trouve sa limite en ce que nul ne peut vivre à la place d’un autre. C’est au sujet lui-même de tenter de dire, d’expliquer et même d’avouer ce que cet acte peut affecter sur lui.

‘« Le silence des victimes est la caractéristique majeure des situations de maltraitance et d’abus sexuels. Mettant en jeu une part de mutisme dans l’ordre du refus subjectif et une part d’indicible dans l’ordre de l’impossible structural, il nous indique ce qui a été touché au plus profond de l’humain, le rapport du corps à la parole. L’indicible ne relève pas seulement d’un éventuel traumatisme mais du fait qu’aucun humain ne peut tout dire et que la dimension d’adresse de toute parole se déploie toujours dans une part de malentendu de toute écoute … Le mutisme signifie transgression de la loi symbolique de l’interdit de la parole qui constitue chacun comme sujet dans son rapport aux autres et à l’autre. En occultant la médiation de la demande et du consentement pour l’immédiateté d’un coups à corps érotisé, le violent fait sauter la dimension de parole du corps…La parole elle-même en tant que différenciatrice et porteuse de l’altérité et pas seulement l’autre, perd sa fiabilité du fait de l’abus de cet autre.» (Durif-Varembont, 2001, p. 132). ’

La destitution de l’autre en soi détruit en effet la foi qu’un rapport vivant à l’autre soit possible. Le mutisme traduit cette perte de la fiabilité de la parole entraînant le refus de s’en remettre à l’autre dans le repli sur soi.

La violence ne se mesure jamais seulement à la quantité de sensations ou à la fréquence des faits mais à la disproportion entre cette intensité et la possibilité de sa symbolisation compte tenu de sa résonance subjective et des circonstances sociales. « L’intensité des sensations éprouvées hors sens et hors parole plonge le sujet dans le cahot d’un flot de sensations confuses qui envahit tout, dénouant l’articulation du sens, des sens et du schéma corporel avec l’image inconsciente du corps.» (Durif-Varembont, 2001, p. 133).

La violence verbale ou psychologique se caractérise souvent par sa répétition et sa pertinence, or la répétition est à entendre aussi comme effet de l’identification de la victime à ce qu’elle a ressenti dans un collage à la sensation qui ne remet pas la distance nécessaire pour en parler.

‘« La parole n’est plus constitutive de la différence et la différence ne fait plus parole …La passivité et le retrait dans une certaine solitude manifestent l’incroyable résistance subjective dont les victimes sont capables pour survivre, mais aussi la nécessité de préserver le sens péniblement construit permettant une certaine distance avec lui. Ce qui empêche alors de parler tient à la résonance subjective de la violence subie.» (Durif-Varembont, 2001, p. 135).’

Ce qui signifie que sa seule référence est cette sensation éprouvée dans la violence qu’il se met à répéter pour se sentir exister dans la passivité masochique ou la violence réactionnelle. Un autre sentiment ressenti par la victime est le sentiment de culpabilité et ce dernier est créé par l’agresseur lui-même, car ce qui caractérise la logique de la violence est le renversement de la faute de l’agresseur sur la victime. Le silence et la honte sont présents de même durant la violence, le corps de la victime durant ce temps parle, réagit, c’est la parole du corps mais l’agresseur refuse le plus souvent de le voir. Le refus de parler ne peut s’expliquer simplement par le refus d’entendre des autres, même si pour parler il faut croire qu’on va nous croire. Parce que l’horreur n’a pas de mots, la victime doit accepter le décalage entre le dire et le fait, Lacan a bien montré que le signifiant dans la parole impose non la représentation mais l’effacement de la chose. « L’inscription au symbolique suppose donc du refoulement en ce sens que si le signifiant efface le signe qui représente la chose, c’est pour représenter le sujet, ainsi désigné. La victime comme son interlocuteur ont à faire le deuil d’une symbolisation intégrale sans reste. Accepter que tout ne puisse pas se dire par refus ou par l’impossibilité est le pris à payer pour une inscription au lieu de l’autre.» (Durif-Varembont, 2001, p.137).

La violence conjugale atteint l’image du corps, inscrit dans l’inconscient mais non représentable directement pour le sujet. Vu cette intimité, nul ne peut vivre à la place d’un autre, que chacun doit tenter de parler en son nom. Comme l’écrit Lacan : « L’histoire est une vérité qui a cette propriété que le sujet qui l’assume en dépend dans sa constitution de sujet même, et que cette histoire dépend aussi du sujet lui-même qui la pense et le repense à sa façon.» (Lacan, 1966, p. 132).

L’acte se déroule hors parole dans une négation du statut humain du corps réduit alors à la seule dimension d’objet de satisfaction pulsionnelle ou assignée à la valeur d’une image. « La violence, symptôme du malaise social et de l’angoisse existentielle quand elle n’est ni représentée ni partagée … il s’agit d’une relation paradoxale qui tue la subjectivité et détruit le lieu social, l’enjeu est de taille : l’altérité de l’autre est niée et du coup la sienne propre, puisque je est un autre … dans la colère et la jalousie, le violent reproche à l’autre d’incarner sa propre division subjective. Son existence même le lui rappelle, et cela lui est insupportable.» (Durif-Varembont, in revue internationale de police criminelle, p. 10).

La violence psychologique détruit davantage que les coups, car elle touche au cœur de l’identité. En ne respectant pas l’autre dans son intégrité corporelle et psychique, le violent transgresse la loi symbolique propre à notre espèce, celle de la parole donnée et reçue qui autorise chacun à occuper une place unique dan la différence des sexes, la violence touche au statut du corps, l’identité même se déconstruit puisque la victime est identifiée au mouvement que le violent lui impose, elle est alors exclue d’elle-même.