8. Violences conjugales: problématique et questionnement :

Comme nous le voyons, la violence subie par l’un des deux partenaires durant leur enfance fut une cause principale pour la future violence exercée entre eux.

‘«Les causes réelles qui poussent le mari à traiter sa femme d’une mauvaise façon comme s’il la déteste est son environnement, car le mari qui déteste sa femme est souvent la victime d’un mauvais traitement de la part de sa famille. Par exemple, quand l’enfant voit son père violenter sa mère, cette image sera ancrée dans son imagination jusqu’à ce qu’il soit marié lui-même et commence à traiter sa femme de cette façon car il pense que c’est le comportement idéal qui doit être fait avec la femme. De même pour la fille, quand elle voit sa mère obéissante au mauvais traitement fait par son père, elle va retenir ça, et plus tard quand elle se marie, elle va croire que le rôle de la femme est l’obéissance à son mari quoiqu’il fait et même au dépend d’elle.» (in Le centre des nouvelles, Aman…, 2003). ’

Sans doute, le fait d’avoir vu son père frapper sa mère ou le fait d’avoir été maltraité dans son enfance produit chez beaucoup d’hommes le sentiment qu’il est normal d’utiliser la violence quand on se pense le plus fort. Mais la question qui se pose est : Pourquoi des hommes ayant été battus durant leur enfance ne sont pas violents aujourd’hui envers leurs femmes ? Suivant notre système d’éducation, il faut frapper l’enfant pour l’éduquer, crier, le menacer pour le discipliner, or, comme tous les hommes ne sont pas violents, cela signifie ipso facto que l’argument qui veut que les hommes violents soient d’anciens enfants battus n’est pas suffisant. Le lien entre la violence dans la famille d’origine et le risque qu’une personne devienne violente à l’âge adulte n’est pas linéaire. L’impact de la violence conjugale sur les femmes et les enfants est inévitable, même si la personne n’est pas vouée certainement à devenir un conjoint agresseur s’il a vécu la violence dans sa famille d’origine, les portées de tels actes agressifs sont toujours négatifs sur son plan psychologique malgré qu’elles ne soient pas déclarées ou même connues par la personne en question.

Les femmes peuvent être soumises à plusieurs formes de violence conjugale. Nous constatons que très peu de femmes violentées ont pu avoir une discussion calme avec leur conjoint ou ex-conjoint lors de désaccords dans le couple à un moment ou l’autre de leur vie commune.

Si le raisonnement est sous-utilisé par les partenaires des femmes comme mode de résolution d’un conflit dans le couple, il en va très différemment des comportements d’agression verbale, qui sont très répandus.

Face à la violence exercée, les femmes utilisent différentes stratégies pour se défendre, et parfois dans d’autres cas elle est encouragée à la soumission, certaines personnes, dans l’entourage des femmes violentées, ne nient pas la violence mais l’acceptent comme une fatalité ou en rendent la femme indirectement responsable.

Rejeter sur les femmes la responsabilité des actes violents de leurs conjoints est également une pratique courante. On leur fait comprendre que, si elles agissaient différemment, leur partenaire se calmerait. Suite à de telles situations, la question qu’il nous reste à poser est qui déclenche l’acte de violence ?

Pour les uns c’est la femme, pour les autres c’est l’homme. Certains considèrent que dire que les femmes cherchent la violence, qu’elles poussent les hommes à la violence est un mythe. « Les conflits font partie de toute relation. L’homme choisit la violence comme moyen pour résoudre ces conflits. Personne ne mérite de subir de la violence comme moyen pour résoudre ces conflits. Personne ne mérite de subir de la violence et personne ne cherche ou ne provoque la violence de l’autre. C’est son comportement et lui seul qui en est responsable.» (in Mythes et réalités sur la violence…, 2003).

Pour pouvoir discuter une telle question il faut revenir à l’origine de la formation du couple en général. Dans les premiers échanges entre un homme et une femme se dessinent les bases des rapports sociaux de sexe. La religion, la pression sociale influencent ainsi le couple, on passe donc directement de l’autorité paternelle à l’autorité maritale.

‘« Dans le modèle d’éducation traditionnelle, la femme est valorisée par le regard de l’autre … Quant à l’homme, on lui apprend à être celui qui assure, qui protège, qui est différent de la femme.» (Welzer-Lang, 1992, p. 106, 107). ’

Pour la femme, c’est l’autre qui lui dit qu’elle est belle, qui l’apprécie ; de même elle a un devoir qui est de s’occuper des autres : du mari, des enfants … Elle est, comme femme, dépendante des autres et en particulier du mari. Elle doit s’oublier, oublier qu’en dehors des fonctions sociales de mère ou d’épouse, elle existe comme sujet. La femme est éduquée comme non autonome spécialement dans les sociétés traditionnelles.

Quant à l’homme, il est celui qui n’exprime pas ses peurs, qui ne parle pas de ses sentiments. Il doit diriger la relation et montrer qu’il est le maître. Virilité, force, violence et domination, c’est de ces préceptes qu’il est élevé, ainsi le pilier de l’éducation masculine reste le sentiment de supériorité sur les femmes.

Face à la difficulté qu’ils ont à aider les femmes victimes de violence conjugale, certains psychanalystes attribuent ce blocage à leur masochisme, ainsi qu’aux types de violences subies durant leur enfance. Selon eux, par des mécanismes de répétition, une personne tend à reproduire le modèle de couple que formaient ses parents car elle en a gardé une nostalgie inconsciente, les femmes qui ont subi de la maltraitance physique ou morale dans leur enfance ont un risque plus grand de se trouver, à leur tour, victimes de violences conjugales. Parce qu’un traumatisme antérieur leur a fait perdre leurs défenses, ces femmes savent moins bien que d’autres se protéger et réagir à temps, elles sont en quelque sorte fragilisées. Le fait d’avoir grandi dans un contexte où le père était violent envers la mère augmente la probabilité d’être violent si on est un garçon, et de devenir victime si on est une fille. On peut penser que ces enfants ont appris, par imitation, que la violence était normale dans une vie de couple. Cette fragilité liée à des traumatismes passés par le fait qu’un conditionnement à la violence dès l’enfance prédispose à une dépendance du même type dans la vie.

Il apparaît que tous les modèles explicatifs se rejoignent pour mettre en avant la gravité du phénomène et montrer son pouvoir destructeur. Derrière le persécuteur actuel, se cache souvent un autre persécuteur dans l’enfance. Pourtant, si on ne parle que de la fragilité de la victime, en oubliant la destructivité du partenaire, et si on se contente d’évoquer le masochisme de la femme, alors qu’elle est engluée dans une relation douloureuse, on ne fait q’aggraver la culpabilité de celle-ci et resserrer encore plus l’emprise qui pèse sur elle.

Que ce soit pour des raisons socioculturelles ou pour des raisons familiales, de nombreuses femmes ont si peu d’estime d’elles-mêmes qu’elles se placent d’emblée dans la soumission. Pour elles, la violence est une fatalité, elles pensent que c’est leur destin et qu’il n’y a pas d’autre solution. C’est ainsi que les femmes se montrent trop tolérantes et ne savent pas mettre des limites aux comportements abusifs de leur compagnon. Elles ne savent pas dire ce qui est acceptable pour elles et ce qui ne l’est pas. Pour ne pas le stigmatiser, elles lui cherchent des excuses, elles espèrent l’aider à changer.

Les hommes violents savent bien repérer le côté réparateur d’une femme et s’en servir pour justifier leurs dérapages de comportement. Certains d’entre eux, particulièrement manipulateurs, vont d’emblée solliciter les sentiments protecteurs d’une femme pour la séduire. Ils vont se plaindre de leur histoire infantile ou familiale…

On peut généralement identifier qu’une telle adoption de ces valeurs serait le premier facteur déclenchant de la violence. C’est dans de telles occasions que se dessine et se négocie inconsciemment le cadre de la relation. Quand la femme accepte de faire passer ses propres désirs en second, quand l’homme arrive à imposer les siens. Quand la femme se culpabilise et quand l’homme se soumet à l’image du dominant de sa femme. Bien plus, quand sur un petit détail, un élément de la discussion, il y a débat, quelquefois enflammé et quand la femme cède ou s’excuse pour sauver sa relation, le risque augmente. Le poids des habitudes et des modèles n’est que plus fort ; et donc tous ces facteurs cités ci-dessus déclenchent un acte de violence : «Je parle de soumission de la femme, mais il ne faut pas s’y tromper. Petit homme qui va à la chasse, qui part draguer une relation amoureuse, est timide et restera timide. Il a peur de ne pas y arriver, de ne pas être cet amant émérite que vantent certains magazines, il a peur de ne pas savoir faire. C’est cette peur qui l’incite à prendre les habits taillés sur mesure pour sa fonction : celui du dominant.» (Welzer-Lang, 1992, p. 109,110).

La violence domestique n’est qu’un symptôme particulier d’une relation sociale ordinaire, où l’homme, la femme et les enfants vivent, se répondent et résistent les uns aux autres.

Donc, il n’y a pas un seul facteur déclenchant et précis de l’acte de violence, ainsi, en ce sens ce n’est pas lui l’homme, ni la femme qui déclenche l’acte de violence mais c’est surtout le déséquilibre entre les rapports des forces entre les conjoints, les normes, valeurs, lois et attitudes traditionnelles, la constitution de la société patriarcale, notre héritage social... Tous ces facteurs déclenchent l’acte de violence, la question de la violence conjugale est un tout complexe indissociable dont son analyse et sa compréhension ne relèvent nullement d’un de ces facteurs.

Concernant les femmes arabes : En réalité la non importance accordée aux études concernant le sujet des femmes arabes et ses situations sociales, économiques, politiques, législatives et culturelles, est un problème qui demande une certaine attitude de la part des sociologues et des chercheurs arabes. Il est vrai que la situation de la femme arabe fait partie indissociable de toute une situation sociale, économique et culturelle des sociétés de cette région, mais aussi il y a une certaine particularité qui qualifie la vie de la femme arabe caractérisée par la souffrance et la peine. La femme arabe a souffert de toute sorte d’exploitation et de dominance causé par la colonisation, et aussi parce qu’elle fait partie d’une catégorie pauvre; de plus elle vit sous le règne de sociétés patriarcales donnant la force et le pouvoir aux hommes et privant les femmes de ses droits sociaux et humains; et enfin sa souffrance continue car elle est soumise à une culture traditionnelle et des valeurs religieuses qui ne voient dans la femme qu’un corps à cacher.

Toutes ces réalités et cette souffrance multicausale méritent une plus grande importance de la part des chercheurs arabes afin de mieux comprendre et expliquer la réalité de nos sociétés, ces études pourront aboutir à un changement et à une meilleure satisfaction des besoins de tous les individus, hommes et femmes sans aucune discrimination.