5. Les démarches et les recours en France, au Canada et au Liban:

Les démarches suivies en France et au Canada par les femmes après avoir subi des actes de violences diffèrent. Certaines de ces démarches procèdent d’une dénonciation des agressions et d’une demande de réparation auprès de l’appareil judiciaire, devant une juridiction pénale ou civile. Elles se traduisent également par le recours aux services sociaux ou aux centres d’accueil pour les femmes victimes de violence, avec des demandes d’aide financière ou de solutions d’hébergement. Ou encore, elles participent d’une demande plus globale d’aide ou de soins auprès de diverses personnes, acteurs sociaux, personnels soignants, associations d’aides aux victimes, délégués du personnel etc., ces démarches n’étant en rien exclusives les unes des autres : institutions ou professionnels renvoient souvent d’un interlocuteur à l’autre.

Les pouvoirs publics, sous la pression des mouvements féministes des années 1970, ont alors mis en place de nouvelles politiques en matière de violence envers les femmes. Pendant longtemps, on ne concevait pas la notion de viol entre époux, tant les prérogatives du mari sur la personne de son épouse étaient étendues et absolues. De plus, ces violences s’exerçaient dans le cadre de l’intimité familiale, de son univers clos, donc dans la sphère privée dont l’Etat n’entendait pas se mêler. De telles infractions pénales ne troublaient pas l’ordre public ; au contraire, elles s’accordaient parfaitement aux valeurs masculines de l’époque et étaient, en quelque sorte, partie prenante de la culture ambiante. Il y a peu encore, on voyait fréquemment la police refuser de se déranger pour ce qu’on appelait avec condescendance un « différent » conjugal et qui pouvait consister en violences graves, ou bien se retirer après avoir administré le même sermon à l’agresseur et à l’agressé. La dénonciation des violences intrafamiliales, souvent associées aux sévices envers les enfants, s’est renforcée et des lois spécifiques ont été promulguées.

Parallèlement l’accueil des victimes de violence s’est sensiblement modifié. Des formations spécifiques pour les personnes qui reçoivent ces femmes ont été mises en place. La notion de « femmes battues » comme femmes au profil de victimes a été partiellement délaissée au profit d’une volonté politique de reconnaissance de l’égalité de l’accès au droit pour les femmes et de l’engagement de réduire les dénis de justice trop souvent constatés en matière de délits ou crimes contre les femmes, au motif que l’agresseur est connu de la victime, voire qu’il est son mari ou son compagnon.

En effet, associations d’aide aux femmes victimes de violence, pouvoirs publics et particulièrement le service des droits des femmes, certains magistrats, policiers et gendarmes témoignent et dénoncent la distance entre la législation réprimant ces violences et la tolérance assez largement répandue dont jouit cette délinquance.

Concernant les violences conjugales, les différences selon les situations sociales donnent peu de résultats statistiquement significatifs. L’analyse du conjoint a montré qu’il s’agit de situations caractérisées par des combinaisons de violences de nature multiple, psychologiques, physiques et sexuelles. Un indicateur a été ainsi construit pour définir des degrés différents de situation de violence. Le recours aux aides extérieures et institutionnelles est en relation avec cet indicateur : un faible nombre de femmes en situation de violence grave a fait appel aux services de police ou de gendarmerie, mais aucune plainte n’a été déposée. Les recours judiciaires concernent essentiellement les femmes en situation de violence très grave, et plus la moitié d’entre elles ont engagé une procédure judiciaire.

‘«Les femmes ont beaucoup plus faiblement parlé avec d’autres personnes des violences subies au sein de leur couple : 55% avaient parlé de faits, avant de répondre à l’enquête. Le constat d’un faible recours aux institutions en découle logiquement. Cependant ce sont, ici encore, les violences physiques qui donnent le plus souvent lieu à des déclarations auprès des services de police et de gendarmerie et à des dépôts de plainte ; mais il y a plus de réticences à signaler les brutalités d’un conjoint que celles de tout autre personne : 13% des cas de violences conjugales contre 43% dans les espaces publics et 32% au travail. Si la consultation d’un médecin parait indispensable dans les situations de brutalités et de coups - toutefois moins d’une victime sur cinq s’est rendue chez un médecin suite à des agressions physiques, et dans un cas seulement auprès d’un service médico-judiciaire – c’est également auprès des personnels médicaux que les femmes confient les violences qui leur sont faites par leur conjoint, quelle que soit la nature de celles-ci.» (in Les violences envers les femmes, une enquête nationale…, 2003, p. 278). ’

L’accord international pour la lutte contre toutes sortes de violences envers les femmes (Sidaw)(in La stabilité de la femme arabe…, 2003) a proclamé que malgré tous les efforts exposés par l’ONU pour assurer l’égalité aux femmes, la discrimination persiste, et cette dernière forme une transgression des principes d’égalité de droits et du respect de la dignité humaine et un obstacle face à la participation des femmes du même degré que les hommes dans la vie politique, sociale, économique et culturelle et interrompe le développement de la société et de la famille. Cet accord avait comme objectif de lutter contre toute sorte de discrimination envers la femme en prenant des mesures pour assurer l’égalité entre la femme et l’homme dans tous les domaines, et demande aussi à tous les pays de favoriser le rôle économique et sociale de la femme même dans la famille, certifie que la discrimination va empêcher la croissance économique et le développement des sociétés, et proclame la nécessité d’avoir un changement dans les attitudes en sensibilisant les hommes et les femmes pour accepter l’égalité des droits et des obligations et de surmonter les préjugés et les stéréotypes.

Mais la plupart des sociétés arabes n’ont pas accepté ces déclarations et dans plusieurs domaines. Dans la discrimination de la femme dans le mariage et les relations familiales, les pays arabes ont considéré ses déclarations comme atteinte à leur religion et aux lois nationales qui régissent les codes personnelles, à noter que ces lois dans la plupart de ces pays sont discriminatoires à l’égard de la femme, pour cela ils ont refusé de donner aux femmes des lois égalitaires du mariage, du choix du conjoint, les mêmes droits et responsabilités durant le mariage et le divorce, mêmes droits concernant la garde des enfants, ainsi que les mêmes droits de propriété.

Or, toutes les lois arabes placent la femme dans une position d’infériorité et de soumission à l’homme, en lui donnant le droit de choisir sa conjointe, tandis que la femme a toujours besoin l’accord de son père. De même, concernant le divorce, le mari a le droit de demander le divorce même sans raisons, mais concernant l’épouse, elle ne possède pas ce droit sauf dans des cas exceptionnels et devant les tribunaux avec des procédés juridiques trop compliqués. La majorité de ces pays n’ont pas fixé un âge minimum pour le mariage, alors qu’ils permettent le mariage même des enfants si les parents acceptent: Ce mariage précoce portera nécessairement des conséquences néfastes sur la vie des filles et sa privation de l’éducation et ses risques d’atteinte aux violences.

La loi reste l’un des indicateurs de mesure les plus importants du progrès qui s’est réalisé pour assurer l’égalité entre les deux sexes, qui exprime la voie des gouvernements dans la lutte contre cette discrimination, et après avoir accepté la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ainsi que tous les accords internationaux pour la lutte contre toutes sortes de violences envers les femmes, on trouve maintenant que c’est inacceptable d’avoir des lois discriminatoires à l’égard des femmes. Il faut bien réformer ces lois afin qu’elles aillent de pair avec la famille moderne en vue d’une égalité des droits et des obligations des deux partenaires.

Des changements majeurs sur tous les plans se sont produits dans la population libanaise. Ces changements reflètent principalement la croissance du pourcentage des habitants à Beyrouth suite à un exode rural de grande ampleur. Cet apport a non seulement modifié les proportions des habitants dans les différentes régions, mais a aussi créé le besoin d’intégrer la dimension socioculturelle dans la compréhension de tout problème social au sein d’une population pluralisée et caractérisée par une diversité de cultures, d’ethnies, de religions, de tradition, …

Bien qu’on reconnaisse qu’il existe des causes économiques, politiques, sociales et individuelles à la violence conjugale, la perspective socioculturelle situe cette violence dans un contexte culturel particulier d’attitudes sociales, de rôle de sexes, de structure familiale et de traditions, vu que les femmes interrogées sont issues d’un milieu social bien limité, qui ont un âge déjà fixé, un niveau universitaire et qui occupent une profession.

Tous ces facteurs contribuent à définir le contexte dans lequel la violence se déroule ainsi que le comportement des individus vis-à-vis du règlement de ce problème. Essentiellement, la perspective socioculturelle appliquée à la violence conjugale conduit à une conceptualisation plus poussée du problème, ce qui favorise des interventions plus efficaces auprès des femmes de qualifications éducatives et sociales. Les femmes libanaises vivent jusqu’à maintenant une lutte pour l’accès à leurs droits. Cependant, leur douloureuse expérience de violence est causée par les politiques sociales, les droits et les lois qui n’ont pas été dénoncés en raison de l’indifférence générale manifestée par la population.

La culture libanaise, influencée par la dominance des valeurs, mœurs, coutumes et par les idées morales, philosophiques et religieuses, joue un rôle fondamental dans l’établissement des paramètres des relations familiales.

Dans la société libanaise, la famille est considérée comme l’institution la plus importante: l’ordre dans chaque famille entraîne l’ordre dans toute la société. Les rôles prescrits par une hiérarchie dont la suprématie de l’homme est le principe dominant déterminent les interactions entre les membres de la famille libanaise. Le statut de la femme dans la famille peut être décrit à partir de ce qu’on appelle les « trois obéissances » : l’obéissance au père avant le mariage, au mari après le mariage et au fils après le décès du mari. Entre autres, la socialisation familiale est marquée par l’insistance sur la conscience collective et les responsabilités de tous les membres de la famille. Donc, l’harmonie familiale est souvent atteinte au détriment des intérêts individuels, partiellement de ceux de la femme.

Le concept de la violence a évolué au Liban grâce à plusieurs variables. Parmi ces variables La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui a obligé tous les pays à appliquer ses articles ; de même que la mondialisation de l’information et des télécommunications qui a facilité aux femmes leur accès aux informations tout en évaluant leurs situations par rapport à celles dans d’autres pays ; les organisations non gouvernementales, les services des droits de l’homme, les groupes de pression et les partis politiques qui même avec leur rôle modeste ont pu pousser la société à un plus de justice et d’égalité en sensibilisant les gens aux conséquences néfastes de la violence ; et n’oublions pas le progrès culturel et social qu’a vécu le Liban à travers l’augmentation du nombre d’éduqués et du taux d’alphabétisation, la présence des femmes dans les secteurs du travail, l’exode rural et la transformation de la famille étendue en une famille nucléaire, ajoutons la présence d’un nouveau mode de relation femme-homme surtout chez les nouveaux couples.

Toutes ces variables ont permis à quelques familles d’identifier la situation de violence comme problème humain et législatif, de sentir la violence et de prendre conscience de cette violence qui ne fait que détruire l’autre et sa dignité.

L’accès aux services constitue un élément clé de la problématique de la violence conjugale. Il renvoie au soutien offert par le réseau gouvernemental pour assurer l’assistance aux femmes subissant la violence de la part de leur conjoint, soutien qui en principe doit être accessible à toutes les Libanaises dans toutes les régions du Liban. Mais en réalité, ces dernières ne bénéficient pas de cette accessibilité aux services sociaux et de santé. En général, le réseau est mal préparé à desservir efficacement les victimes, et de nombreux services sont inadaptés à leurs besoins particuliers. Voici les facteurs principaux qui engendrent un phénomène d’exclusion involontaire des membres de cette société des services du réseau :

  1. La méconnaissance des ressources disponibles : le manque de connaissance des établissements existants, de leur mode de fonctionnement, de leur rôle respectif et des services offerts par une partie importante des femmes victimes est le premier obstacle à l’accessibilité.
  2. La modeste existence des organisations et des associations libanaises pour la lutte contre la violence envers la femme : le problème le plus souvent évoqué dans ce cadre, c’est l’inexistence presque totale des O.N.G. spécialisées dans ce domaine. Non seulement une absence de ces centres pose un problème pour se prévaloir des services, mais cet handicap peut amener les femmes victimes soit à vivre dans leur silence, soit à dépendre davantage de la famille proche plutôt que d’étendre leur réseau d’entraide et de sociabilité à des voisins et amis.

Il ne suffit pas seulement de lutter contre les causes et les conséquences de la violence envers les femmes, mais il faut nécessairement aussi reconnaître les droits des femmes et de réformer tout ce qui décrit leur statut personnel.

Légitimer socialement les violences est en tant que tel une violence, ceci rend la femme pas seulement une femme battue, mais beaucoup plus exclue, marginalisée et inférieure. Il faut donc travailler contre la légitimation sociale des violences, un pas vers la lutte de la domination et plus tard de la violence.

Ce qui fonde, entre autres, la possibilité de la vie humaine, c'est de pouvoir se reposer en paix, de ne pas être obligé d'être sans cesse aux aguets. L'état de guerre permanent est insupportable. Mais cela suppose un minimum de confiance en l'autre. C'est le propre de toute relation humaine « normale ». Certaines femmes ne peuvent même pas accéder à cette confiance. Pour elles, dans certains lieux, la vie consiste à gérer l'imprévisible : la violence de leur conjoint, ou celle de leur supérieur hiérarchique au travail. Vivre est quasi impossible. Leur vie se résume à de la survie, à de la mort psychologique à petit feu.

Il est de la responsabilité des Etats de tous les pays du monde de faire en sorte que les violences contre les femmes soient intolérables pour toutes et tous, d'éduquer leur population par tous les moyens possibles en ce sens, et ce, dès le plus jeune âge, de former aux réalités des violences à l'encontre des femmes tous les personnels sociaux, de santé, d'enseignement, de justice, de police, etc., susceptibles de les recevoir, de reconnaître et de promouvoir l'égalité entre les sexes et les droits fondamentaux des femmes.

Les mouvements sociaux dans leur ensemble, les associations anti-mondialisation néo-libérale, les organisations syndicales, politiques doivent participer à la dénonciation des violences.

Il est de notre responsabilité individuelle et collective, hommes et femmes, de prendre position contre les violences.

Il est de la responsabilité de nos camarades hommes des mouvements sociaux de se solidariser publiquement, au nom d'une autre société que nous voulons construire ensemble, avec la lutte des féministes contre les violences.

Pour construire un autre monde, pour qu'il soit possible, les mouvements sociaux doivent s'engager aussi à remettre en question les rapports inégaux entre les hommes et les femmes; s'engager aussi à intégrer dans leur analyse les liens entre capitalisme, sexisme et racisme; s'engager à réclamer le respect des droits des femmes; s'engager à remettre en question la « culture de la violence » et ce, tout autant dans leurs pratiques individuelles que collectives. Ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons prétendre ébranler les fondements du patriarcat et de la mondialisation libérale.