9. Les violences conjugales font une transgression, il faut bien le dire :

‘«Qu’est ce qui fait qu’un sujet peut être pris dans la confusion auteur-victime, auteur-autre auteur ou être totalement identifié à son acte ? Une psychothérapie peut permettre à quelqu’un de répondre à cette question ; mais un tel travail psychique suppose qu’ailleurs, dans le champ social, un tiers parle qui distingue le coupable et la victime et qui reconnaisse que les faits ont eu lieu. Pour pouvoir se situer subjectivement par rapport à des évènements, il est nécessaire que leur réalité et leur signification soient reconnues par l’Autre. L’institution judiciaire s’en tient aux faits. Elle les nomme en les référent à une catégorie normative : délit ou crime plus ou moins grave. C’est la fonction de la qualification en droit ; mais aussi celle de la recherche de l’imputabilité et de l’intentionnalité.» (Lahlou, Vinsonneau, 2001, p. 349). ’

Il faut bien que quelque parle, que quelqu’un dise qu’il y a eu transgression. Le juridique comme le tiers social va mettre en œuvre une série de procédures rapportant l’acte à son auteur : l’interroger sur son acte et l’obliger à en répondre quitte à faire appel à d’autres que lui pour l’y aider comme témoins, avocats, experts, qui réintroduit un rapport de causalité entre l’acte et son auteur, entre l’auteur et la victime par l’évaluation des effets de l’acte. Il le différencie de son acte en le référent à la dimension universelle de la loi. «Le droit inscrit le meurtre dans le discours de la Référence en lui donnant statut d’acte illégal notifié à son auteur comme tel, il inscrit aussi le meurtrier dans le discours généalogique de la dette en imposant à l’auteur du crime paiement symbolique, sous les espèces d’une peine, à la Référence, c’est-à-dire au véritable créancier de cette dette infligée.»(Legendre, 1989, p. 61).

En effet, retrouver sa place pour revivre normalement suppose de régler le compte de la culpabilité et d’assumer sa responsabilité, c’est-à-dire les effets de ses actes. La sanction judiciaire oblige au paiement d’une dette de tout manière insolvable envers les victimes ainsi la réparation est à la fois réelle, financière et symbolique, et envers la société tout entière. Purger sa peine, c’est payer sa dette envers la société, et retrouver sa place parmi les autres. Parler devant témoin ou un tiers social de ce qui s’est répété en acte participe du processus de symbolisation qui donne quelque chance d’éviter la récidive.

Le processus judiciaire met des mots sur des actes ; mais il n’est pas garanti d’avance qu’il permette la réparation symbolique et une remise en lien social là où il y avait dommage et exclusion, car, parfois, le procès peut n’être qu’un règlement de compte à peine déguisé ou assurer seulement une fonction expiatoire par l’intermédiaire d’un bouc émissaire, lorsque, parfois, il est question de faire un exemple au lieu de juger quelqu’un seulement sur les faits qui lui sont reprochés.

‘«L’effraction physique et psychique des limites du corps due à la brusquerie et à l’intensité des sensations surgies hors sens plonge les victimes dans une série de confusions :
-confusion sur ce qui s’est réellement passé.
-confusion du ressenti des sensations. Le mélange de douleur et de plaisir et le bouleversement de l’image inconsciente du corps rendent difficile voire impossible la localisation du lieu où est éprouvée la sensation.
-confusion entre la victime et l’auteur due à la fois à cette effraction, à la transgression de la loi, aux effets des paroles de l’agresseur et à la culpabilité de ne pas avoir pu refuser ou résister.»(Lahlou, Vinsonneau, 2001, p. 350).’

Tout ceci illustre de façon rapide combien le non-dit est déstructurant pour les victimes, au contraire, combien il est fondamental qu’un tiers ayant un pouvoir de parole reconnu dise qui est le coupable et qui est la victime. Cette fonction du tiers social, et c’est souvent celle du juridique, est essentielle aussi pour le travail psychothérapeutique ou psychanalytique dans la mesure où un sujet ne peut explorer avec un thérapeute ses points de jouissance, ce en quoi il a participé inconsciemment à ce qui lui est arrivé eu égard à la résonnance subjective et fantasmatique de l’évènement, que si, sur la scène de la réalité sociale, la distinction coupable/victime set clairement établie.

Le recul des années montre que la méconnaissance ou la dénégation de la valeur de transgression des actes subis est un facteur favorisant la répétition transgénérationnelle : les enfants battus deviennent des parents maltraitant surtout lorsque n’a jamais été parlé ce qui leur est arrivé ni n’a été reconnu leur statut de victime.

La justice n’est pas le lieu du thérapeutique mais crée les conditions de sa possibilité ailleurs. Le jugement a, entre autres, pour fonction de séparer l’auteur de son acte et de détacher la victime de ce qui lui est arrivé permettant pour les deux un minimum d’intégration dans leur histoire. La victime doit recevoir non pas tant des paroles consolatrices qu’une adresse la désidentifiant de son statut de victime et des sensations dans laquelle elle a été plongée.

Le procès met des mots, reconnaît les faits, met un lien de parole entre l’auteur et la victime qui veut savoir le pourquoi de tout cela. En ce sens, il déconstruit l’interprétation projective des faits à laquelle le sujet s’accrochait pour vivre avec ou pour tenter d’oublier. Il fait partie intégrante du processus de réparation symbolique comme condamnation et indemnisation nécessaire à toute renaissance subjective.

Même s’il n’y a pas lieu de tout « judiciariser » comme de tout « psychologiser », pour le violent comme pour la victime, le tiers social, particulièrement le juridique, a pour fonction le rétablissement d’une médiation socio-culturelle de la parole à la place du court-circuit de l’immédiateté de l’acte violent.

Le tiers social, état de la circulation de la parole dans une société, ne peut pas supprimer la violence magiquement ; mais permettre l’affrontement et le conflit, c’est-à-dire le jeu des différences, dans un monde vivable humainement.