2. Famille et violence : Inégalité et injustice :

Pour expliquer que les hommes sont incontestablement plus violents que les femmes, les féministes se sont attachées à analyser le contexte social permettant cette prévalence. Selon elles, la société prépare les hommes à occuper un rôle dominant et, s’ils n’y parviennent pas naturellement, ils tendent à le faire par force. La violence serait pour eux un moyen parmi d’autres de contrôler la femme. Cela est partiellement vrai, mais n’est pas suffisant pour expliquer la violence dans le couple. On ne peut la réduire à un phénomène culturel et social ; elle comporte aussi des éléments psychologiques. D’autres modèles explicatifs, contestés par les féministes, se sont intéressés à la personnalité des hommes violents. Ces différentes approches ne sont pas antagonistes. A l’origine de la violence domestique, on trouve à la fois des facteurs sociaux et une vulnérabilité psychologique. Cependant, la vulnérabilité psychologique, sans la facilitation apportée par le contexte social, ne suffit pas à rendre un homme violent, le profil psychologique d’un individu étant influencé par son éducation et son environnement social.

Le discours actuel dénonçant la violence faite aux femmes peut être dangereux s’il n’est pas nuancé, car il tend à opposer hommes et femmes. Il ne sert à rien de creuser encore plus le fossé entre les sexes et de considérer toute la population masculine comme potentiellement violente. S’il faut tenir compte de la violence psychologique, il ne s’agit pas non plus d’en faire un problème juridique. Il serait plus utile de lutter contre les mentalités sexistes des hommes, d’éduquer les garçons à respecter les filles et de libérer les deux sexes des stéréotypes qui leur sont attribués.

Il est essentiel que les femmes apprennent à repérer les premiers signes de violence et à les dénoncer, non pas pour nécessairement porter plainte en justice, mais pour trouver en elles la force de sortir d’une situation abusive. Comprendre pourquoi on tolère un comportement intolérable, c’est aussi comprendre comment on peut en sortir. C’est par une compréhension fine des ressorts de la violence qu’elles subissent que les femmes se dégageront de l’emprise qui les paralyse et que nos sociétés pourront mettre en place une prévention.

Les violences physiques et sexuelles exercées au sein du couple concernent aussi bien les pays du Nord que du Sud. Leurs mécanismes sont identiques : imposer sa volonté à l’autre, le dominer, le soumettre. Répandues et banalisées, les violences conjugales font vivre les femmes dans la terreur.

C’est une constante de toutes les études : les violences, quelle qu’en soit la nature, sont maximales dans le huis clos familial. En outre, selon l’analyse des statistiques judiciaires, la majorité des crimes de sang sont perpétrés par des proches. Les meurtres de femmes, essentiellement des meurtres conjugaux, sont masqués sous l’appellation romanesque de « crime passionnel », plus propre à émouvoir des jurys d’assises. Parmi tous les espaces de vie (travail, lieux publics, famille, couple), la vie en couple apparaît comme le contexte le plus dangereux pour les femmes, à l’opposé des hommes davantage victimes d’agressions physiques dans les espaces publics ou lieux de vie collective. Ce constat peut être relié à l’habituelle assignation sexuée des espaces : les femmes étant associées à la sphère privée et les hommes à la sphère publique.

Les violences conjugales sont un des aspects, sans doute le plus caché, de l’ensemble des violences exercées à l’encontre des femmes. On observe une situation ambivalente : d’un côté la tentation de réduire les violences envers les femmes aux seules violences conjugales, de l’autre, une réticence à associer violences et vie conjugale, particulièrement dans les sociétés occidentales où la relation de couple est considérée comme espace de liberté et d’épanouissement individuel.

Du fait de la reconnaissance tardive de ce phénomène en tant que problème de société, les débats sont parfois houleux, et souvent embrouillés, confondant notamment les causes et les mécanismes de violences conjugales. Quel qu’en soit l’origine sociale ou individuelle, les mécanismes de la violence sont identiques. Par contre les conséquences et donc les remèdes diffèrent. Dans le cas d’une relation de couple, le mécanisme peut se décrire sous la forme de rapport de force ou de domination. Propos blessants, paroles injurieuses, autoritarisme paternaliste, condescendant ou tyrannique, contrôles, reproches et réprimandes, humiliations, jalousie maladive, dénigrement, dévalorisation, cris, menaces, brutalités physiques et sexuelles… longue est la liste des exactions conjugales.

Actes, paroles, faits et gestes, en apparence sans gravité, lorsqu’ils sont répétés à l’infini créent, au moins un climat de dépendance plus ou moins absolue, au pire de terreur.

La banalité de faits en particulier lorsqu’il n’y a pas d’agressions physiques, gêne la perception de ces violences tant pour les auteurs que pour les victimes ou leur entourage.

Ces manifestations peuvent différer selon les modes de vie ou les cultures, mais le mécanisme est identique et universel : c’est un processus d’emprise sur l’autre, bien connu des professionnels de l’aide aux victimes.

Si, parmi l’ensemble des praticiens et des chercheurs, se dégage un net consensus sur l’analyse des mécanismes et des manifestations des violences privées, le désaccord règne quant à l’interprétation de leurs causes, selon qu’on étudie les pays du Nord ou les pays du Sud.

Schématiquement au Nord, en dépit des recommandations du Conseil de l’Europe, l’explication psychologique, attribuant les comportements violents à des facteurs individuels, est assez consensuelle. Le modèle psychopathologique perçoit les violences comme résultant de comportements déviants propres à quelques individus dont l’histoire personnelle est gravement perturbée. Cette approche, somme toute rassurante, désigne un autre, malade ou délinquant, pouvant être, après examen, puni ou traité médicalement.

Selon l’approche féministe, la violence masculine est analysée comme un mécanisme de control social maintenant la subordination des femmes aux hommes. Les violences contre les femmes découlent d’un système social de valeurs et de représentations dans lequel les femmes n’ont que le statut de dominées. Cette analyse socio-politique, critiquant explicitement l’ordre social, est autrement embarrassante, surtout pour les sociétés démocratiques. Par contre, elle semble légitime pour les pays du Sud, ou les groupes sociaux les plus défavorisés des pays du Nord, du moins selon l’optique philosophique des Occidentaux et des ONG.

Les opinions publiques des pays riches comme des pays pauvres n’ont pas intégré les principes des conventions internationales, principes fortement marqués par le féminisme des pays anglo-saxons: «La violence à l’égard des femmes, y compris le refus du doit au libre choix de la maternité, s’analyse comme un moyen de contrôle de la femme ayant ses racines dans le rapport de pouvoir inégal entre la femme et l’homme qui subsiste encore, et constitue ainsi un obstacle à la réalisation de l’égalité effective de la femme et de l’homme». (Article 13 de la Déclaration sur la politique contre la violence à l’égard des femmes dans une Europe démocratique – Rome, 1993).

‘«L’analyse des violences dans la sphère privée s’est ainsi adaptée aux évolutions de la conjugalité. Les violences intra-familiales comprennent, diversement selon les études, les violences perpétrées par les conjoints et/ou les autres membres de la famille. Le terme violences domestiques, d’origine anglophone, réduit l’univers féminin au huis clos du foyer ; se raréfiant, son utilisation se cantonne principalement aux pays de Sud. L’expression violences conjugales, correspond à la modernité du couple contemporain, de plus elle recentre l’analyse sur un seul type d’auteur, le conjoint ou concubin, et ouvre le champ spatial d’investigation hors du domicile familial. Plus récente, apparue dans un rapport de l’OMS en 2002, l’expression violences par un partenaire intime, élargit explicitement la relation à tous les partenaires sans qu’il y ait, obligatoirement, de vie commune. Les études les plus contemporaines ont opté pour cette notion de partenaire actuel, quel que soit son statut, l’ex-partenaire, ou l’ensemble des partenaires». (Ockrent, 2006, p. 293). ’