4. Ampleur de la violence conjugale au Liban :

Ce n’est que récemment qu’on a évoqué le problème de violences conjugales au Liban, suite à une prise de conscience de ce problème par quelques forces sociales et suite à la montée des événements féministes dans le monde.

L’un des problèmes qui entrave l’exécution des plans de travail sérieux sur ce sujet est l’absence des études statistiques publiées dans le monde arabe, surtout au Liban, car ce pays est assujetti aussi sous le règne du patriarcat et le sujet des violences conjugales est toujours considéré comme tabou au Liban. Ce phénomène dans les pays n’est pas encore mesuré, sauf quelques chiffres obtenus auprès de quelques associations. Il nous est possible de mener scientifiquement des études statistiques sur beaucoup de thèmes, mis à part les difficultés techniques, on nie jusqu’aujourd’hui ce problème et on le banalise parce que nous ne voulions pas en connaître l’ampleur.

Mais comment quantifier les violences, définies comme les atteintes de l’intégrité physique et psychique de l’individu ?

Au Liban, les obstacles face à une vraie quantification d’un tel phénomène viennent de plusieurs parties. En premier, elle vient du côté de notre système social lui-même, ce système qui considère la violence comme une affaire privée, qui renforce la domination et qui s’appuie sur le patriarcat. De même, ces obstacles viennent de la réticence de plusieurs forces sociales et publiques qui ne s’intéressent pas à ce problème et qui n’ont pas encore réalisé l’importance d’une enquête nationale sérieuse autour de ce problème pour en savoir les causes et en lutter contre. Finalement, et pas en dernier, les obstacles viennent des femmes victimes même qui, et malgré leurs souffrances, nient et n’avouent pas l’existence de ce problème dans leur vécu, elles ont souvent peur et honte de dévoiler leurs expériences, et parfois elles l’acceptent et ne font pas conscience de ses impacts sur elles et sur leurs enfants.

Des organisations non gouvernementales libanaises exercent des efforts en ce sens. En 22 janvier 2008, le programme «Afkar 2» sous l’organisation d’Emergence pour l’aide technique a fait une rencontre intitulée « vers une stratégie nationale pour lutter contre la discrimination législative selon le gendre » (in Revue Afkar, n˚1, 2008, p. 4). Cette rencontre a analysé le progrès fait par les actifs sociaux concernant la justice et les droits des hommes indépendamment de toute discrimination dans tous les niveaux, malgré les obstacles qui ont entravé la réforme dans les codes civils et la loi concernant la nationalité.

De même, l’organisation « Cesser violence et exploitation, Kafa » (in Revue Afkar, n˚1, 2008, p. 12), accentue ses efforts pour proclamer une loi nationale pour protéger la violence familiale. En collaboration avec des juges, cette organisation a comme but de former un groupe de pression pour pouvoir réaliser ses buts notamment la réforme des lois, avoir beaucoup plus d’espaces médiatiques et organiser des sessions de réhabilitation pour les hommes violents.

L’organisation libanaise pour la lutte contre la violence envers les femmes a travaillé aussi sur le changement de vécu des femmes violentées, elle tend de même à former une structure organisationnelle nationale à travers le développement des informations et du système de services dans les centres d’aide et d’écoute. (in Revue Afkar, n˚1, 2008, p. 12).

De même, il y a eu une rencontre régionale dans le but de proclamer des lois afin de protéger les femmes contre les violences conjugales à Holiday Inn, Dune, Beyrouth, le 22-23 juin 2006 visant une analyse psycho-sociale concernant les violences conjugales entre réalité et voulu dans les pays arabes (Makki, in Analyse psycho-sociale concernant les violences conjugales entre réalité et voulu dans les pays arabes…, 2006). Cette rencontre a mis au point les conditions des femmes dans le monde arabe qui souffrent toujours des relations asymétriques inégales contre ses droits humains et sa liberté. Cette rencontre a discuté la réalité entre les lois pour la protection et la prévention à travers la pratique et ceci à travers la sensibilisation des lois qui au Liban sont souvent soumis aux pratiques religieuses souvent ancrées dans notre culture. Cette rencontre a certifié aussi que plusieurs facteurs psychologiques, sociales, culturelles et économiques aident à causer les violences conjugales, de ce côté, la problématique de la violence est une problématique entre privé et public, entre social et individuel…et la violence se voit justifiée par les valeurs sociales et par les lois adoptées non pas seulement par les individus et les groupes mais par les politiques sociales aussi. Face à cette situation, le rôle du tiers social et de l’intervention sociale s’avère essentiel pour arrêter le cycle de violence, aussi les ONG qui doivent être des groupes de pression pour lutter toujours contre les violences conjugales.

Récemment, une nouvelle étude a été faite par Charaffedine (2008) intitulée « Les douleurs des femmes et leurs malheurs ». Cette étude a révélé plusieurs problèmes méthodologiques : l’étude visait comme but principal de mettre le point sur les chiffres de la violence au Liban et en d’autres terme elle voulait travailler sur le côté profond, celui des douleurs de la femme, le côté inconscient, ce qui était un peu contradictoire, parfois elle est nommée enquête, parfois d’autre, entretien semi-directif, ce qui n’a pas pu faire réussir l’analyse des paroles des femmes violentées, qui à travers leurs douleurs et leurs malheurs, peuvent éclaircir beaucoup de spécificités propres au problème de violences conjugales et qui s’avèrent être beaucoup plus importantes et révélatrices que les chiffres. Cette étude sur terrain et qui a été faite sur 300 femmes dans toutes les mohafazats du Liban a révélé que :

Cette étude a montré aussi que les femmes considèrent que la violence commence dès le premier acte et suite à leur silence. La répétition des actes de violence sans aucune forme de révolte devient un quotidien. Elles ne demandent pas le divorce soit parce que c’est trop difficile chez les confessions chrétiennes soit parce qu’elles ont peur de perdre leurs enfants comme c’est le cas chez toutes les autres confessions.

Une étude sur terrain a été faite au Liban par l’Université Libanaise, Faculté de santé publique en 1998 sur un échantillon composé de 214 femmes âgées entre 25 et 55 ans dans la région du Beyrouth et ses banlieues, et cette étude a indiqué que :

Une autre étude a été faite par Sidawi à l’Organisation libanaise pour la lutte de la violence envers les femmes en 2002, intitulé « Jawari 2001 », qui a voulu démontrer que la violence appliquée sur les femmes prend la forme de l’esclavage et de soumission de la femme dans tous les sens humains, économiques, sociaux et législatifs. D’après cette étude qui était composé d’un échantillon de 100 femmes, il est apparu que :

Dans une étude de terrain concernant « la lutte contre la violence dans la famille », il s’est avéré que, parmi les obstacles existants contre une meilleure connaissance de ce problème, figure le fait que les femmes elles-mêmes n’avouent pas qu’elles subissent des actes de violences, ainsi les femmes n’arrivent pas à bien s’exprimer car elles ne sont pas capables de supporter les conséquences. Selon cette étude tentant de répondre à la question : quels sont les types de violence ? 52% ont déclaré variants, 7% ont déclaré une violence morale, 2% ont trouvé déclaré une violence économique et 37% ont refusé de répondre. (S. Khoury, M. Khoury, 1998, p. 44).

De même:

Tableau n◦1: Prévision de l’existence de violence. (S. Khoury, M. Khoury, 1998, p. 45).
L’existence d’une violence verbale Oui Non Pas de réponse Total
Victime de violence verbale 73 25 2 141
N’a pas été victime de violence verbale 55 43 2 253
Victime de violence physique 87 13 0 46
N’a pas été victime de violence physique 58 39 3 351
Total 61 36 3 400

On peut imputer le grand nombre des femmes qui ont nié l’existence de violence à une série d’obstacles sérieux qui empêchent la femme de mieux connaître la violence ou l’imputer à sa conviction que c’est un acte légal et permis suivant son éducation et ses traditions héritées. Et même, si elle sait que c’est une violence, elle n’ose pas le dire par peur de la réaction de la société envers elle. De même qu’on ne peut pas arriver à des bons résultats dans une société qui donne au père ou au frère ou au mari le droit d’éduquer la femme.

« On croit que la femme peut s’approcher de la domination qui est possession, à travers l’éducation ou le travail ou l’héritage, qui peuvent régler un peu l’image de la violence et même si elle n’est pas arrivée à un changement qualitatif dans la relation homme-femme.» (Abdel wahab, 1999, p. 70).

Tableau n◦2: Répartition des acteurs de la violence contre femmes selon le Niveau d’éducation. (S. Khoury, M. Khoury, 1998, p. 200).
Niveau d’éducation Agresseur Agressée
Nombre Pourcentage (%) Nombre Pourcentage (%)
Illettré 37 38,9 73 76,8
Lettré 28 29,5 7 7,4
Moyen 10 10,5 5 5,3
Supérieur 5 5,5 - -
Non identifié 15 15,8 - 10.5
Total 95 100 95 100

Comment ces variables peuvent-elles être affectées par le niveau d’éducation et du travail ? Et ou s’intensifie la violence pratique ? Et la violence symbolique ? Et quelles sont les bases culturelles et sociales de la violence contre la femme au Liban ?

« L’image de la femme est celle dominée et soumise à l’autorité » (Al marnissi, 1984, p. 30) et « le danger existe quand la femme adopte cette image de dominée et quand elle adopte toutes ces images et quand elle accepte sa position et la situation d’humiliation ». (Hijazi, 1978, p. 227).

‘« La violence devient jour par jour une valeur morale positive et nécessaire et prouvée dans nos sociétés dans le cadre de l’intervention pour corriger L’égalité dans la vie sociale ». (Charafeddine, 2002, p. 27). ’

On a cru que la cause de la violence était dans les variables fixes liées à l’éducation et au travail de la femme car elles influencent sur le système de valeur régi dans la famille, mais ça n’a pas été prouvé car « la société patriarcale vit un état de schizophrénie de premier degré car elle cache la vérité derrière elle dont le résultat est lutte et conflit » (Charabi, 1992, p. 34), preuve en est :

Tableau n◦3: Niveau Educatif. (S. Khoury, M. Khoury, 1998, p. 48).
  Total Universitaire Secondaire Complémentaire Primaire Analphabète
Beyrouth 25 16 1 5 2 1
Mont-Liban 15 13 2 0 0 0
Békaa 15 7 3 1 1 3
Nord 15 7 1 5 2 0
Sud 27 14 1 10 2 0
Total 97 57 8 21 7 4
Tableau n◦4: Le Statut Professionnel. (S. Khoury, M. Khoury, 1998, p. 48).
  Total N’occupe pas une profession Occupe une profession
Beyrouth 25 6 19
Mont-Liban 15 4 11
Békaa 15 5 10
Nord 15 7 8
Sud 27 7 20
Total 97 29 68

Que ce soit à Beyrouth ou dans le Mont-Liban, symbole du modernisme et de civilisation, que la femme travaille ou non, la violence existe dans toutes les régions et dans toutes les catégories.

De même dans une autre étude faite sur la violence conjugale :

De même, face à la violence verbale, la réaction des femmes était, sur 400 femmes :

Ces 400 femmes interrogées sur le fait d’être victimes de violence verbale ont répondu :

A partir de tous ces chiffres, nous avons repéré les inégalités suivantes :

De même, dans le cadre de nos investigations, nous avons pu nous procurer une étude sur le terrain qui a été faite par l’Organisation Mondiale de la Santé avec la collaboration du Ministère de la Santé Publique sur la violence envers la femme au Liban. Cette étude pilote a été conçue vu l’absence de recherches et de statistiques concernant ce sujet, peu exploré au Liban. L’échantillon aléatoire était formé de 249 femmes distribuées dans les différentes régions libanaises. Quelques statistiques doivent être mentionnées révélant l’ampleur de ce phénomène au Liban : 67.9 % des femmes incluses dans cette étude sont victimes de violences ; 45.4 % ont un niveau éducatif secondaire et 39 % ont un niveau universitaire ; 16.1 % sont victimes de violences verbales seulement et 77.5 % ont été victimes des cinq formes de violences simultanément : physique, verbale, psychologique, sexuelle et économique ; 77.9 % des femmes ont étés violentées en présence de leurs enfants et 37.9 % des femmes se sentent responsable de la violence qu’elles subissent.

En conclusion de cette étude, la nécessité de défendre les droits de la femme semble être indispensable, car tout ce qui va à l’encontre des droits de la femme est incompatible avec les droits humains ; c’est un problème à la fois public et sanitaire car il traîne des effets négatifs tant sur le plan mental, physique que social pour la femme. Et afin d’améliorer la situation de la femme, il y a plusieurs mesures proposées dont la formation des spécialistes, chercheurs et d’hommes de loi, la publication d’informations concernant ce sujet, une reforme des lois existantes, une intervention active et une planification concrète pour limiter l’ampleur de ce phénomène. (Abbas, Nasr, in A study on violence against women in Lebanon…, 2004).

Dans le même sens, on a pratiqué une autre étude sur le sujet des violences conjugales envers les femmes au Liban intitulée Les violences conjugales verbales envers les femmes de niveau éducatif supérieur (Nasr, 2004), l’échantillonnage final comprenait 30 femmes. Si cet échantillonnage peut sembler insuffisant, il faut prendre en compte plusieurs facteurs : tout d’abord la nature du sujet étudié et le tabou entourant de tels problèmes dans la société libanaise rendent extrêmement difficile de repérer les femmes aux prises avec la violence conjugale verbale. Ensuite, il s’agit d’une recherche pilote et exploratrice ayant comme objectif une compréhension de base du problème de la violence verbale contre les femmes. Cette étude ne vise pas à tirer des conclusions générales mais plutôt à déclencher un processus d’interrogation et de réflexion. Il est évident que l’expérience des participantes ne peut être appliquée à l’ensemble des femmes libanaises victimes de violence. Néanmoins, les 30 entretiens semi-directifs ont été très riches en renseignements qui peuvent servir de départ pour développer de nouvelles hypothèses et questions de recherche.

A la fin de chaque entretien on a laissé une libre parole aux femmes pour donner leurs propres avis à propos de l’homme en général, le couple, la société, etc. Plusieurs opinions ont insisté sur quelques points communs, et plusieurs d’autres ont été uniques en leurs genres.

Au cours de cette étude, nous avons été confrontée à plusieurs obstacles. L’échantillon est en effet restreint aux femmes universitaires, qui occupent une profession et qui ont plus de 30 ans, et la difficulté réside, dans ce cadre, à obtenir ce nombre et à décrocher un accord pour effectuer l’entretien, voilà les principaux résultats :

Tableau n◦5 : Nombre d’années du mariage. 
Nombre d’années du mariage Total Pourcentage
< à 10 ans 5 16.6%
Entre 10 et 15 ans 5 16.6%
Entre 15 et 20 ans 7 23.3%
Plus de 20 ans 13 43.3%
Total 30 100%

On remarque d’après ce tableau que 43.3% sont mariés depuis plus de 20 ans, ce qui montre que la majorité des couples violents ne sont pas jeunes mais au contraire qu’ils vivent l’un avec l’autre depuis plus que 20 ans. Donc malgré le nombre d’années de mariage, la plupart des femmes sont toujours violentées et malgré le fait qu’elles soient violentées, les femmes restent avec leurs époux.

Tableau n◦6: Raisons du mariage.
Raisons du mariage Total Pourcentage
Amour 27 90%
Obligation 1 3.3%
Autres 2 6.6%
Total 30 100%

Ce tableau illustre le fait qu’une majorité importante des femmes se sont mariées par amour. On peut donc réfuter que la femme mariée par obligation a beaucoup plus de risque d’être violentée par son mari que la femme qui choisit elle-même son mari, cela s’avère faux.

A noter que les deux femmes ayant évoqué d’autres raisons pour leur mariage ont donné en argument, pour l’une que c’était pour fuir de chez sa tante qui habitait chez eux à la maison et pour l’autre que c’était pour ne pas causer un choc dans la famille.

Tableau n◦7: Situation socioprofessionnelle du mari.
Situation socioprofessionnelle du mari Total Pourcentage
Cadre supérieur 7 23.3%
Cadre moyen 19 63.3%
Cadre inférieur 1 3.3%
Ne travaille pas 3 10%
Total 30 100%

Vu que notre échantillon était composé de 30 femmes universitaires ayant une profession, on a voulu saisir la situation socio-professionnelle de leur mari et on remarque que la majorité qui est représente (63.3%) sont des cadres moyens donc d’une classe sociale moyenne et qui n’est pas inférieure à leurs femmes. On en conclut donc bien que la classe sociale n’est pas un critère dans la violence mais que la violence conjugale peut exister dans toutes les classes sociales.

De même, 10% sont chômeurs et cela peut indiquer que parfois le chômage de l’homme peut le pousser à violenter sa femme, et notamment dans notre cadre précis où sa femme a un niveau éducatif et professionnel important, voire plus important.

Tableau n◦8: Etat civil actuel de l’épouse.
Etat civil actuel de l’épouse Total Pourcentage
Mariée 25 83.3%
Séparée 1 3.3%
Divorcée 3 10%
Remariée 1 3.3%
Veuve - -
Total 30 100%

83.3% des femmes interrogées sont encore violentées et pour 10% d’entre-elles seulement, leurs relations ont abouti à un divorce. Cela reflète peut être la réticence des normes et des valeurs dans la société libanaise qui prohibent le divorce et excluent la femme divorcée, c’est ce qui explique la raison pour laquelle la femme reste dans sa maison et supporte la violence de la part de son mari.

Tableau n◦9: Situation du mari.
Situation du mari Total Pourcentage
Drogué 1 3.3%
Alcoolique 2 6.6%
A des problèmes psychiques spécifiques 1 3.3%
Incontrôlable 12 40%
A des problèmes dans son travail 4 13.3%
A des problèmes avec sa famille 6 20%
Autres 4 13.3%
Total 30 100%

Ce tableau montre que 40% des femmes interrogées trouvent leur mari incontrôlable et cela n’est dû qu’à leur comportement, leur nervosité, leur émotivité, qui ne tardent pas à devenir violence et attaque directe envers elle.

De même, 20% ont des problèmes dans leur propre famille, et ainsi ils transmettent leurs problèmes familiaux à leurs propres foyers ce qui aboutit à des disputes conjugales.

Mais ce qui est le plus remarquable est que seulement 3.3% des maris sont drogués et 6.6% sont alcooliques, ce qui infirme l’hypothèse prétendant que l’addiction à l’alcool ou aux drogues est la cause centrale de la violence des hommes.

Tableau n◦10: Situation de chacun d’eux dans leurs familles respectives.
Situation de chacun d’eux dans leurs familles respectives Homme Femme Couple Total Pourcentage
Violence faite par l’un des parents 2 1 4 7 23.3%
Mère violentée par son conjoint 11 5 5 21 70%
Pas de violence - - 2 2 6.6%
Total 13 6 11 30 100%

On remarque d’après ce tableau que 70% des mères des deux conjoints ont été violentées par leur mari, parmi lesquels : 16 hommes dont la mère était violentée et cela indique qu’ils ont assisté à une violence entre leurs parents dans leur famille initiales, élevés avec cette image du père dominant et d’une mère violentée, soumise. C’est donc une reproduction du schéma familial, ils ont transmis cette violence à leur foyer, à leur vie de couple. Ils imitent le père, son rôle et son image et se vengent pour leurs mères à travers leur femme.

N’oublions pas que 23.3% de l’échantillon ont été eux mêmes violentées de la part de leurs parents, cela reflète la nature de l’éducation basée sur les normes et les valeurs où le père est le dominant et les enfants ont été eux-mêmes violents. Ils reproduisent cette même violence dans leur vie de couple basée sur une éducation fausse et reflétant l’impact de la violence conjugale sur la personnalité des enfants.

Tableau n◦11: Escalade de la violence.
Escalade de la violence Total Pourcentage
Violence physique 3 10%
Violence sexuelle 2 6.6%
Violence économique 4 13.3%
Violence contre les enfants 7 23.3%
Pas de recours à d’autres formes de violence 3 10%
Recours simultané à plusieurs genres de violence 11 36.6%
Total 30 100%

36.6% des cas de violence ne sont pas seulement verbale mais ont évolué à la fois vers d’autres formes de violence soit physique, sexuelle, économique et également des violences orientées contre les enfants. Ce qui confirme donc le cycle de violence qui débute toujours par une violence verbale et qui se transforme vers d’autres formes de violence parfois beaucoup plus graves.

⇒ Parmi ces 36.6 %, on retrouve 19.1% des maris qui sont incontrôlables.

⇒ Dans ces 19.1% on constate que : 10.5% sont des cadres supérieurs, 21% sont des cadres moyens et 5.2% sont des cadres inférieurs.

⇒ 15.7% des mères des conjoints étaient violentées elles-mêmes de la part de leurs maris.

⇒ 10.5% de ces hommes étaient violentés eux-mêmes de la part de leurs parents.

⇒ 5.2% ont été à la fois violentés et leur mère était violentée.

⇒ Pour le reste qui est de 11%, ils ont des problèmes psychiques spécifiques, alcooliques et drogués ; 50% sont des chômeurs, 25% des cadres moyens, 25% des cadres inférieurs ; 50% sont des hommes violentés par leurs parents et 50% n’ont pas de violence dans leur famille initiale. On remarque que la plupart sont ou bien violentées ou bien que leur mère ont été violentées ce qui indique les violences au foyer.

⇒ La plupart de ces hommes violents sont de la classe moyenne (13.6%) en notant qu’il y en a 5.4% qui sont des cadres supérieurs, 5.4 % des chômeurs et 5.4% sont de classe inférieure, donc la violence conjugale existe chez toutes les classes sociales.

Notamment pour l’une des femmes de notre échantillon qui est Mme R.K.: « La société est masculine, ne respecte pas la femme, celle-ci doit mentir afin de vivre en conformité avec la société. S’il y a divorce, c’est toujours l’épouse qui en est la cause. C’est la société qui donne toujours raison à l’homme. La femme doit être l’épouse, la mère, et celle qui travaille en dehors de la maison … et la société la considère comme si elle est toujours la fautive. L’homme est comme ça car il a été élevé ainsi. Si elle accède à ses droits, sa situation peut changer au sein de son foyer, car si on veut une modification totale il faut métamorphoser toute la culture, la société, les valeurs…».

D’un autre côté, 60% des hommes ont une vie personnelle pour eux-mêmes. Ils sortent sans leurs épouses et ça dérange leurs femmes car elles sont privées de cette disposition. A noter que le restant (40%) n’ont pas de vie privée à cause de leur asociabilité comme le prétendent leurs femmes ; beaucoup de femmes ont suivi leurs hommes dans leur non-sociabilité car elle a découvert qu’il n’a pas de groupe d’amis, aucune activité régulière et même si elle faisait partie d’un groupe, lui ne tentait pas de s’intégrer. La femme cesse donc ces relations sociales car elle a été élevée dans des valeurs patriarcales et son devoir est de suivre ses agissements et ses opinions : elle va et doit rester avec son mari.

Le nombre d’enfants dans la majorité des couples était entre deux et trois enfants et on a également remarqué que dans la majorité de ces familles l’homme ne propose aucune aide à sa femme que ce soit dans les taches ménagères, ni dans l’éducation des enfants. En ce qui concerne la relation avec les enfants, on retrouve chez 73.3% des interviewées de très bonne relation avec leurs enfants, contrairement au restant qui trouvent dans leurs enfants un objet de défoulement.

Pour les hommes, seulement 33.3% ont de bonne relation avec leurs enfants et les causes de mauvaises relations père-enfant englobent : leur nervosité, la nature propre de leur comportement qui est basé sur la domination, l’autorité et la non-discussion. On notera un cas où le père préfère sa petite cadette plus que l’aînée car cette dernière a toujours pris position aux côtés de sa mère lors des disputes. Ainsi, il gâte la petite pour énerver et rendre jalouse l’aînée.

De même dans le cadre des anomalies relationnelles entre le mari et ses enfants, on a remarqué d’après les entretiens qu’il y aurait 6.6% qui aime leur fils plus que leur fille et cela révèle une fois de plus la nature des valeurs et de l’éducation dans notre société qui favorise l’homme sur la femme ; ou parce qu’eux-mêmes n’ont pas eu une relation saine avec leurs parents. C’est le concept de reproduction de la violence dans leurs propres familles.

Ainsi, 60% des hommes en question ont des relations saines avec les familles de leurs épouses, et pour le reste, soit ils les respectent mais ne les aiment pas, soit sont dépendants économiquement d’eux, soit ont d’épouvantables relations avec la famille de leurs conjointes suite aux mauvais traitements qu’ils leurs infligent.

Prenons pour illustrer ce fait, deux exemples de femmes de notre étude. Pour la première qui est Mme N.H.: « Les problèmes économiques et professionnels sont la cause essentielle de la violence conjugale et surtout, ils déclenchent les accès de violence verbale. Ainsi la solidarité familiale et l’intervention des familles respectives dans la vie du couple, renforcent le déroulement des actes de violence ». Pour la seconde qui est Mme L.A.: « La société n’a aucune tolérance vis-à-vis de la femme, elle est toujours avec l’homme contre la femme. Il faut que la femme soit forte, n’hésite pas, que rien n’empêche sa dignité et sa vie, qu’elle casse le silence ».

Notamment, 86.6% de ces couples ne discutent ni de leurs problèmes, ni partagent leurs idées et c’est le partenaire qui prend toujours la décision finale dans la maison ; ainsi les femmes ont dit qu’elles aiment discuter des sujets familiaux avec leurs maris, mais elles ont cessé car elles trouvent qu’il n’y a pas de solution, puisqu’à la fin c’est lui qui va imposer son avis. De même pour des sujets qui la concernent, il peut y avoir une certaine discussion mais pour des sujets qui le concernent personnellement ou qui concernent sa maison, il n’y a pas moyen de discuter.

46.6% des hommes contrôlent l’emploi du temps et les activités de leurs femmes, et 40% ont essayé de les isoler de leur famille, de leur entourage et dans la majorité des cas il y a eu un harcèlement psychologique.

13.3% seulement ont dû quitter leur maison après une dispute, mais pourtant elles sont souvent revenues, à cause des enfants ou pour ne pas perdre leur foyer ou par peur du divorce, aussi car leur propre famille les ont réconciliés et l’ont poussée à revenir chez leur époux.

Mme G.A., par exemple, était plus conservatrice, pour elle : « Le mariage c’est deux personnes, parfois la femme est en cause, il faut qu’elle comprenne son mari, qu’elle évite les problèmes qui l’exacerbent et qui l’énervent et lui doit respecter sa femme ».

Tandis qu’une autre femme qui est Mme R.A. nous avoue que : « La violence verbale existe dans le couple et la femme s’habitue. Elle doit éviter les problèmes qui le dérangent, la femme aiguise son mari pour continuer. L’homme comme conjoint est important pour la femme, il est le protecteur, le conjoint sexuel, le coopérant. Son sentiment de culpabilité l’a poussé parfois à lui offrir des cadeaux, lui le contraire ».

Ainsi, confirmant ce témoignage, on retrouve dans les résultats de l’étude que 90% des femmes ne se sentent pas responsables de ces actes de violence, elles ne se culpabilisent pas, elles trouvent que c’est soit leurs maris, soit d’autres facteurs extérieurs qui sont à la base de leurs disputes. De même, les divorcées parmi elles ne se sentent pas responsables, n’ont pas de remords, ni de sentiment de culpabilité car elles prétendent avoir tout essayé pour faire réussir leur mariage mais le mariage c’est deux personnes et pas une, elles ont tout essayé et elles ne sont pas arrivées à une issue positive.

Dans tous les cas, l’acte de violence se répète fréquemment, ainsi sa fréquence varie avec les situations.

En ce qui concerne l’autre moitié qui a discuté avec sa famille à propos de ce sujet, aucune de ces familles n’a conseillé leur fille de quitter définitivement leur foyer, soit elle leur ont donné libre choix, soit elles les ont poussées à rester pour les enfants, ou pour d’autres causes comme le droit parental des enfants, ou pour des raisons financières … Cela confirme encore et répond à la question: Pourquoi les femmes restent-elles dans leurs foyers ?

Ces résultats corroborent le témoignage de cette femme, Mme G.H.: « Il existe beaucoup de problèmes de ce genre dans cette société, et c’est à cause du refoulement, du tabou, tout est caché. L’homme ne vaut rien dans la société libanaise, car la société lui donne tout le pouvoir. La femme doit toujours se révolter, s’affirmer, traverser les étapes, progresser, elle ne doit pas avoir peur du tabou ».

Pour une autre femme, Mme J.A. ses enfants souffrent psychiquement, leur réaction latente prouve qu’ils sont angoissés, fâchés …

Mme M.K. nous a raconté que le père n’a pas voulu voir son enfant à sa naissance, à l’âge de 11 ans quand l’enfant a su qu’il allait voir son père, il en est tombé malade, il a vomi, il s’est stressé plus tard, il l’a détesté, maintenant il a une mauvaise opinion et des sentiments ambigus envers lui.

De même, comme exemple de réaction des enfants, une agressivité entre eux-mêmes, ou envers leurs parents, existe parfois. Lors des disputes ils pleurent, ils posent des questions, de même quelques-uns ont peur d’une voix forte, sont perturbés avec une peur omniprésente des disputes, sont trop sensibles, affectifs et naïfs, désorganisés et désorientés.

Selon une autre femme qui est Mme L.N., sa fille a eu peur que sa mère quitte la maison, elle est devenue anxieuse et avait peur qu’en revenant de l’école, de ne pas retrouver sa mère.

Pour Mme S.M., elle dit que sa fille qui était toujours présente lors des disputes, est trop agressive avec ses amis. Elle a maintenant 17 ans et a une haine contre les hommes.

Une femme de notre échantillon qui est Mme M.S., a pris pour sa fille un psychothérapeute.

Nervosité, émotivité, peur et isolement psychologique et social semblent être les réactions communes chez tous les enfants dont les parents vivent une relation conjugale violente.

Une autre étude faite par la direction centrale des statistiques au Liban a révélé que la moitié de la population libanaise touche seulement 20,8% de l’ensemble des revenus, tandis que 14,1% de la population touche plus que 42,7% de l’ensemble des revenus (niveau de vie des familles). (in niveau de vie des familles…, 1998).

Tableau n˚12: Répartition en pourcentage selon les revenus (1959-1973-1994).
Année 1959-1960 1973-1974 1994-1995
Revenu Faible 50% 22% 52%
Revenu Moyen 32% 57% 38%
Revenu Supérieur 18% 21% 10%

Cette même étude a attiré l’attention sur la situation de la femme dans cette variable, et elle a considéré que la pauvreté porte plus de charges sur la femme et entraîne une plus grande discrimination envers elle, donc qu’il y a une relation étroite entre pauvreté, discrimination et violence.

La femme est plus vulnérable à la pauvreté que les hommes à cause de la discrimination pratiquée sur elle au niveau des salaires, en globalité le salaire de l’homme est plus élevé que celui de la femme dans une proportion allant de 27% jusqu’au 85% (in Etude du marché de travail…, 1997).

Pour cela on voit que les familles dont la femme est responsable ont un niveau de vie bas beaucoup plus que celles dont le responsable est l’homme, 43,8% des familles dont le chef est la femme vivent dans un état de privation face à 30,1% de celles dont le chef est l’homme.

Les femmes violentées se confrontent à beaucoup de difficultés comme les préjugés et les normes traditionnelles qui les culpabilisent, ainsi que les lois et les règlements juridiques qui n’arrivent à cerner ni les cas de violences, ni à trouver des mécanismes de défense.

L’Association Libanaise de la lutte contre la violence envers la femme a porté dans son étude sur les 92 femmes qui ont eu recours à cette association, et montre que l’ensemble de ces femmes est issu de toutes les régions, confessions et catégories sociales libanaises, ce qui révèle que le phénomène de la violence est bien répandu dans toute la société libanaise (in Rapport concernant les violences envers les femmes…, 1997).

L’étude a montré aussi que la violence de l’époux atteint les enfants, 34% des enfants subit la violence psychologique et économique, 50% subit la violence physique, donc 16% ne subit pas la violence directe de leur père.

Or, concernant les causes de la violence, les résultats n’ont pas révélé un lien entre la violence et le niveau éducatif, l’échantillon a montré que 15% des hommes violents sont détenteurs de diplômes universitaires, ce qui nous fait revenir encore une fois à notre culture dominante patriarcale et son rôle dans la reproduction des valeurs sociales.

L’échantillon a montré de même qu’il n’y a pas de lien entre la violence et la situation économique même si cette dernière a été un facteur déclenchant dans la majorité des cas, mais 15% seulement des réponses ont évoqué ce sujet et les autres réponses ont lié les causes de violences au comportement viril et dominant résultant d’une éducation traditionnelle.

Et malgré le faible taux des femmes actives dans l’échantillon et qui ont composé seulement 18%, l’analyse des cas n’a pas montré qu’il y a une relation entre le travail de la femme et son risque d’être violentée.

Ainsi, toutes les analyses ont montré une chose primordiale, c’est que la violence prend la forme d’un châtiment, protégé souvent par une culture traditionnelle et par les lois et les règlements.

Les Forces Intérieures Libanaises ont offert des statistiques concernant les crimes dans les familles et le sexe des criminels entre 1996 et 1998 (Sidawi, 2002, p. 6). Il s’est avéré qu’en 1996 il y a eu 86 crimes, 93% d’entre eux sont pratiqués par les hommes ; 32 crimes en 1997, 97% d’entre eux pratiqués par les hommes ; 44 crimes en 1999, 97% d’entre eux pratiqués par les hommes.

Concernant les crimes de menace pratiqués dans les familles, il s’est avéré qu’il y a eu 181 crimes en 1996, 98% d’entre eux pratiqués par des hommes ; 117 crimes en 1997, 66% d’entre eux pratiqués par des hommes, 120 crimes en 1998, 88% d’entre eux pratiqués par des hommes.

Tout cela, et les crimes qui ont abouti au décès de la femme représentent 7 crimes en 1996, 8 crimes en 1997 et 4 crimes en 1998, tous ces crimes avant été pratiqués par l’homme.

En ce qui concerne les statistiques autour des violences physiques dans la famille, en 1996 il y a eu 486 cas, 497 cas en 1997 et 514 cas en 1998.

Toutes ces statistiques, même si elles paraissent importantes, ne pourront pas révéler la réalité de la violence familiale au Liban, car un grand nombre de femmes victimes ne vont pas à la police suite aux actes de violences.

Comme guise d’analyse de toutes ces études faites au Liban, de toutes ces études de ces et de toutes ces statistiques, on peut considérer que dans un tel système patriarcal et dans une telle société masculine, la violence conjugale devient une réalité, et une réalité défendue par des forces intellectuelles, religieuses et sociales.

Le souci de plusieurs études faites sur le problème de la violence conjugale au Liban est de donner des statistiques. Ces chiffres ne peuvent pas donner une impression réelle et de décrire tellement la réalité sur la question de la violence car dans ce genre des études sur la violence et qui reste tabou, il ne faut pas se baser seulement sur les chiffres mais sur les paroles des femmes victimes, sur leur vécu, sur le non-dit.

La violence conjugale au Liban n’est que le résultat des attitudes sociales et culturelles. Ces attitudes renforcent l’inégalité de chances et la discrimination sexuelle, de même la structure de l’Etat et ses politiques rendent cette discrimination comme légitime, ainsi la violence conjugale sera la cause de cette discrimination et en même temps sa conséquence.

Le vécu des femmes violentées libanaises est vraiment catastrophique :

Les lois libanaises ne pénalisent pas l’homme s’il a violenté sa femme ; la femme ignore qu’elle a le droit d’aller à un centre policier suite aux actes de violences et si elle ne l’ignore pas, elle n’y va pas car elle a peur du comportement et de la réaction des policiers envers sa situation ; elle est souvent menacée par sa famille et par son mari pour ne pas se plaindre ou demander le divorce ; il n’y a pas de lieu sécurisant pour que la femme puisse y avoir recours si elle a quitté son foyer.

L’inexistence des lois qui protègent les droits des femmes se contredit avec l’article 7 de la constitution libanaise qui proclame que tous les libanais sont égaux devant la loi et ont tous les mêmes droits et obligations civiles et politiques.

Cette inexistence des lois ainsi que la discrimination sexuelle existante se contredit aussi avec l’accord de la lutte contre toutes formes de discrimination envers la femme, signé par le Liban en 1996.

Pour résumer les principaux points, le Liban présente les caractéristiques suivantes :

Au Liban:  
- Absence des lois familiales unifiées.
- Les libanaises sont soumises aux normes de la communauté religieuse à laquelle elles appartiennent.
- Les femmes participent à la reproduction d’une culture de domination masculine dans leur vie privée aussi bien que publique.
- Un certain dualisme règne au Liban : le traditionalisme d’un part et la modernisation d’autre part ou la réconciliation d’un côté et la mondialisation d’autre côté.
- Statistiques : Sur 214 femmes, 64% des femmes ont subi la violence physique et psychologique.
Sur 141 femmes, 73 ont subi de violence verbale.
Sur 249 femmes, 67,9% ont subies de violences conjugales.