3.2. Violences conjugales au Canada : question d’intervention et de prévention:

Selon l’expérience canadienne, il semblerait que la mise en accusation automatique et le non – retrait des poursuites, pour éviter une récidive, soient un échec. L’arrestation produit un effet dissuasif à court terme, mais la violence reprend plus tard et est plus sérieuse. De plus, la dissuasion peut marcher chez les hommes qui ont un emploi et une bonne insertion sociale, mais chez les autres, plus défavorisés, voire sans emploi, elle ne fait qu’amplifier la colère et la révolte.

Cela ne veut pas qu’il ne faut rien faire, mais qu’il faut faire différemment et, surtout, penser en termes de prévention.

Sanctionner un homme violent est, pour la victime, une reconnaissance publique de sa souffrance, c’est donc indispensable. Mais cela doit être accompagné d’un travail éducatif, afin de donner un sens au droit. Après la sanction, il importe qu’un travail thérapeutique, axé sur la restructuration psychique, soit proposé à la victime.

Qu’il y ait une réponse judiciaire est indispensable, mais ce n’est pas suffisant. Il y aura toujours des cas qui nécessiteront une approche plus fine.

S’il est légitime d’aider les femmes à sortir d’une situation de violence morale, il faut prendre garde à ne pas les enfermer dans une position de victime et à ne pas les pousser à des revendications sans fin. Il est normal qu’une femme qui a été battue et maltraitée soit dédommagée, mais le versement de dommages et intérêts ne s’applique pas forcément en toute circonstance et, notamment, en cas de violence psychologique. Nous voyons parfois des femmes qui ont été malheureuses dans leur couple et qui, au moment du divorce, veulent « faire payer », au sens littéral du terme, leur ex – conjoint. Ces femmes doivent aussi prendre leur part de responsabilité. Ce qui importe, c’est, avant tout, que la situation cesse et qu’elles puissent se reconstruire une autre vie. La plainte et la revendication sans fin ne permettent pas le changement. Elles entretiennent ainsi une guerre des sexes, qui se fait toujours au détriment des enfants.

Au cours des procès, la haine et le désir de vengeance peuvent entretenir la douleur chez les victimes. La procédure maintient un lien puissant avec le partenaire qui continue d’occuper leurs pensées, de les envahir d’affects destructeurs. Cela ne leur permet pas de sortir de leur position de victime.

Répondre à la violence par la violence, c’est transmettre la souffrance, cela ne résout rien. Certes, celui qui a souffert d’une violence injuste ou plutôt celui qui a été réduit à l’impuissance devant une injustice peut vouloir obtenir réparation, mais cela n’est pas suffisant pour retrouver une paix intérieure. Il faut accepter qu’en sortant de l’emprise, plus rien ne sera comme avant, et rompre avec ses propres sentiments destructeurs.

Pour éviter d’entrer dans un processus de vengeance éternelle, la victime doit pouvoir nommer le préjudice sans agressivité.

‘« Que peut-on faire ? demandait la femme anonyme dans sa lettre. L’Etat a-t-il conscience que nous, femmes victimes de violences conjugales, élevons les enfants qui, plus tard, feront la société ? Et que, si nous voulons que cette société soit faite d’hommes responsables et respectueux, ce n’est pas dans la peur et la violence de l’être humain que nous y arriverons.» (Hirigoyen, 2005, p. 267) Il nous semble important, en effet, de penser aux générations futures et au monde que nous leur préparons. ’

Actuellement, sous la pression des associations, le gouvernement prend des mesures contre les agresseurs mais tarde à mettre en place une prévention plus globale de la violence. On tient compte de l’agression, c’est-à-dire de l’évènement ponctuel, mais pas suffisamment de ce qui l’a provoquée, c’est-à-dire du noyau de la violence. Or, si l’on veut venir à bout de la violence conjugale, il faut envisager une action plus en amont ; l’accent doit être mis sur l’éducation, celle des adultes et surtout celle des jeunes. On a vu que les programmes thérapeutiques destinés aux hommes violents ont peu de résultats positifs. D’une part, ils concernent une minorité d’entre eux et, d’autre part, leur action est limitée aux agressions physiques et concernent peu la violence psychologique. Les hommes ne semblent pas conscients de la domination qu’ils exercent sur leur partenaire et ils minimisent les faits de violence psychologique.

Une équipe canadienne, qui avait mis en place un programme de traitements pour conjoints violents, a interrogé des couples sur les épisodes de violence qu’ils avaient connus au cours des six derniers mois. Alors qu’hommes et femmes s’accordaient à peu près sur les agressions physiques, il apparaissait qu’en ce qui concerne la violence psychologique, les hommes avaient beaucoup moins de faits à relater. Ce n’est pas nécessairement qu’ils mentent par omission, c’est peut-être, tout simplement, qu’ils ne sont pas conscients de la domination qu’ils exercent sur leur partenaire.

Sans revenir sur ce qui a été dit précédemment, rappelons que selon le modèle patriarcal qui est toujours prédominant, beaucoup d’hommes, même s’ils ne le disent pas parce que ce n’est pas politiquement correct, continuent à penser qu’il est normal d’appliquer des traitements violents à leur compagne ou, tout du moins, de la disqualifier pour mieux la dominer. Beaucoup de femmes trouvent des excuses aux comportements violents de leur partenaire. Alors que les féministes des années 70 avaient fait considérablement évoluer les conditions féminines, depuis vingt ans, on a vu la violence faite aux femmes plutôt globalement augmenter dans la population. Pendant ce temps, des intellectuels discutent, à la place des femmes concernées, sur ce qu’elles doivent ou ne doivent pas accepter.

Il serait bénéfique, dans la prévention, de mettre l’accent sur les formes plus subtiles de violence, c’est-à-dire, la domination et les menaces, de développer une sensibilité à la violence, d’apprendre à la repérer et à la refuser. Il s’agit d’améliorer la perception que les personnes ont d’elles-mêmes.

Il n’est pas question d’opposer hommes et femmes ; il faut au contraire leur apprendre à fonctionner ensemble sur un autre mode que celui de la domination/soumission.

Notre société n’est pas une société dirigée par les hommes contre les femmes, mais une société dirigée par certains hommes dominants contre tout autre plus faible, ce qui inclut, bien évidemment, les femmes. C’est la loi du plus fort, et ces hommes tiennent à garder le pouvoir.

Or c’est ce modèle d’hommes dominants qui est proposé aux jeunes à travers les médias. C’est ce même modèle qui renforce lasupériorité des hommes. On continue ainsi à fabriquer des hommes forts, autoritaires, sans émotions, et sans aucune sensibilité.

Il faudrait que les hommes qui fonctionnent selon un autre registre, qui s’autorisent plus de sensibilité et de tendresse soient d’avantage mis en avant. En effet, le monde a changé et la force physique n’est désormais plus requise par notre mode de vie actuel ; la solidité peut s’exprimer autrement. Il serait bon que les hommes travaillent à la construction de nouvelles valeurs de la masculinité, qui ne seraient pas liées à la force et à l’agressivité, mais au respect de l’autre. L’affirmation du désir peut se faire autrement que par son imposition agressive.

Malheureusement, on constate que, face aux transmissions sociales et culturelles remettant en question la répartition traditionnelle des rôles féminins et masculins, les hommes sont désemparés. Ils ont peur de changer, d’apprendre de nouvelles façons d’être. Ils ont perdu leurs repères et ils ont surtout peur de perdre leurs privilèges de mâle.

Si on veut que cesse la violence dans les couples, il faut encourager les femmes à s’affirmer, à affronter les hommes en leur mettant des limites, en disant non à certains comportements, elles doivent prendre contrôle de leur existence.

Evidemment, il n’est pas facile pour un adulte de changer les repères qui lui ont été donnés dans l’enfance, aussi, il fut agir dès le plus jeune âge. Un premier pas vers la prévention de la violence en général, et de la violence de couple en particulier, relève de l’éducation. Nous avons vu que les enfants qui ont assisté à des scènes de violence entre leurs parents risquent de reproduire, à l’âge adulte, ce qu’ils ont vécu dans l’enfance, soit en se montrant eux-mêmes violents, soit en ne sachant pas se protéger des agressions. L’expérience de la violence dans l’enfance avait constitué un traumatisme jouant un rôle important dans le développement de leur personnalité. Aider les mères, c’est aussi protéger les enfants. Il ne faut pas non plus oublier que les enfants qui ont vécu des scènes violentes au sein du couple parental ont eu un modèle de couple complètement inégalitaire. Ils ont appris que la loi du plus fort l’emporte et que les victimes ont bien du mal à sortir d leur situation. Cela aura des conséquences néfastes sur leur rapport à la loi et sur la façon dont ils construiront eux-mêmes leur couple.

Or, c’est l’éducation qui peut nous apprendre à contenir notre agressivité naturelle et à ne pas la transformer en violence. L’éducation ne doit pas placer la domination comme valeur principale dans le rapport à l’autre, il faut apprendre aux jeunes à résoudre les conflits de façon pacifique, leur apprendre la tolérance et l’égalité. Beaucoup de parents confondent entre violence et expression de l’agressivité, il est normal qu’un enfant soit agressif mais, plutôt que de l’amener à réprimer ses sentiments, il vaut mieux lui apprendre à contrôler ses comportements.

‘« Afin que les jeunes repèrent mieux les premiers signes de violence dans leur relation à l’autre sexe, il est intéressant de travailler avec des groupes d’adolescents, à l’âge où ils connaissent leurs premiers partenaires amoureux, avant que ne s’installent des habitudes de microviolences au sein de leur couple… Il y a tout un travail d’éducation à faire sur la place assignée aux femmes et aux hommes dans la société et sur les difficultés que cela engendre, pour les filles comme pour les garçons. D’une façon générale, il faut leur enseigner l’acceptation de la différence et de l’autorité, la tolérance, le respect des règles. Les jeunes sont très sensibles aux humiliations et au harcèlement moral, et ce n’est pas pour rien que le mot respect revient si souvent dans leur bouche. Or, dans les écoles, les microviolences et les actes d’intimidation sont rarement pris au sérieux.» (Hirigoyen, 2005, p. 272). ’

C’est à un stade précoce qu’il faut intervenir, si on ne veut pas que s’installent des comportements violents. De tels procédés de déni ont des conséquences négatives, non seulement pour la victime qui a été atteint dans son narcissisme, mais aussi pour les élèves témoins qui ne mesurent pas la gravité de l’incident. Quant à l’élève agresseur, il a simplement besoin, à ce stade, d’être cadré, qu’on lui rappelle les règles de respect de l’autre.

Lutter contre un mode de violence, c’est aussi prévenir les autres violences, lutter contre les violences dans les écoles, dans les milieux de travail servent à leur tour à lutter contre les violences conjugales.

Moins un phénomène est reconnu socialement, plus il est difficile d’en parler. Il faut donc nommer la violence et apprendre à la repérer même dans ses formes les plus subtiles. Encourager les femmes à exiger le respect, à ne plus accepter la violence, à sortir de la violence, à sortir de l’isolement et si besoin, à demander l’aide de quelqu’un, famille, police ou association.

De même, il faut prouver aux agresseurs que le déni ne résout rien, que la violence est destructrice pour leur victime mais aussi pour eux-mêmes, à leur tour il faut les encourager à visiter des lieux de consultation, au cas extrême, les sanctionner juridiquement.

A leur tour, les témoins et le tiers social sont aussi responsables, ils peuvent aider les femmes victimes à parler et à trouver, avec elles, des solutions.

Les campagnes médiatiques doivent de même renforcer un effort vers l’élimination des stéréotypes qui opposent hommes et femmes, il est important que les campagnes médiatiques contre la violence faite aux femmes ne soient pas uniquement en direction, mais aussi des hommes.

On ne peut changer du jour au lendemain les mentalités, mais on peut, petit à petit, écorner les mythes et les préjugés par un travail de sensibilisation, d’information et d’éducation, favoriser le non-sexisme, responsabiliser les hommes et la société toute entière.

En résumé, le Canada porte les indications suivantes :

Au Canada:  
- L’égalité des deux sexes connaît une progression continue dans les systèmes juridiques mais l’appareil judiciaire dans son traitement de l’homicide conjugal continue à banaliser et à excuser la violence patriarcale.
- Du privé au public : la demande de l’aide de la femme auprès des institutions dépend des valeurs, ressources, position sociale et des responsabilités de cette femme.
- Une grande partie des dépenses est consacrée pour plusieurs services juridiques, d’urgence, de santé, de police…
- Statistiques : Sur 12000 femmes, 30% des femmes sont victimes de violences conjugales.
Sur 12000 femmes, la totalité de ces femmes ont déclaré avoir subi de violence verbale.
Une victime de crimes contre la personne sur 5 l’a été dans un contexte conjugal.