1.2. Entre Liban, France et Canada, une diversité du système statistique institutionnel:

La prise en compte politique et sociale des violences subies par les femmes a nécessité, pour les Etats, la mesure statistique du phénomène, afin d’en prouver la gravité.

Liban, France et Canada ont entrepris des enquêtes statistiques sur les violences contre les femmes, des programmes nationaux et internationaux se sont progressivement installés.

Très diverses selon les pays, les situations dépendent du système statistique institutionnel, de l’organisation de la recherche scientifique, notamment des rapports entre recherche et société civile, enfin et principalement, de l’antériorité de la sensibilisation du public aux droits des femmes et problèmes afférent.

Si la demande de comparaisons internationales se fait grandement sentir, cette approche se heurte à de nombreux obstacles, politiques, scientifiques et méthodologiques. En l’état actuel des connaissances, la difficulté essentielle des comparaisons est de séparer ce qui ressort des problèmes méthodologiques de ce qui ressort des facteurs socioculturels, économiques et politiques.

Les comparaisons internationales sont délicates en raison également de l’hétérogénéité persistante de la perception des violences. La perception et le seuil de tolérance varient en fonction des lois et coutumes en vigueur.

Des actes considérés comme délictueux dans certains pays sont tolérés dans d’autres. Beaucoup de cultures estiment que le mari a le droit de surveiller et maîtriser le comportement de sa femme et que les femmes qui s’insurgent contre ce droit peuvent été punies. Dans nombre de pays, les femmes ne sont pas en mesure de refuser des rapports sexuels, considérés par ailleurs comme un devoir conjugal ; se refuser à son mari est alors considéré comme une justification des coups donnés par le conjoint pour obtenir son droit. L’appropriation du corps des femmes par le conjoint est encore très prégnante dans une grande partie du monde.

D’une façon générale, les inégalités structurelles entre hommes et femmes contribuent à accroître le risque de violences à l’encontre des partenaires.

En particulier, l’intériorisation, par les femmes, des valeurs culturelles légitimant la violence conjugale les expose grandement au risque de vivre des épisodes violents. Dans les sociétés de type « machiste » où la femme est prise en étau entre deux statuts idéalisés (mère et objet érotique), les violences, y compris de la part des femmes, sont inhérentes au maintien du fonctionnement patriarcal.

Dans la mesure où les violences contre les femmes découlent d’un système de valeurs et représentations sur la place des femmes dans la société, il apparaît plus adéquat de mener des études comparatives sur un ensembles de contrées ayant globalement la même orientation en matière de droits des femmes.

La multiplication d’opérations de collecte spécialisées sur les violences permet d’affiner la réflexion scientifique et d’améliorer le recueil des données. Mais la complexité du paysage des enquêtes, tant nationales que régionales, rend, à l’échelle même de l’Europe, ainsi qu’entre la France, le Canada et le Liban, les synthèses hasardeuses, conséquence des nombreuses différences de méthodologie, d’objectifs, d’élaboration des questionnaires, d’analyse et publication des résultats.

Malgré une relative ambivalence entre ces pays, tantôt homogénéité et tantôt hétérogénéité des systèmes sociaux, notamment en matière d’égalité entre les sexes, on observe une grande disparité des résultats obtenus, en particulier au sujet des données sur les violences sexuelles. La comparaison des données relatives aux violences conjugales apparaît plus plausible.

Entre Liban, France et Canada, les niveaux sont variables, mais les processus sont identiques. Dans toutes les recherches menées dans ces trois pays, en dépit des obstacles à l’analyse comparative, des continuités apparaissent. Si l’on considère, au-delà du nombre global de violences, les variations sociologiques du phénomène, les résultats s’accordent : les plus jeunes déclarent le plus de violences quel qu’en soit le type ; les situations difficiles vécues dans l’enfance accroissent le risque d’être victime à l’âge adulte ; la multiplication des expériences conjugales représente pour les femmes un facteur aggravant ; l’exercice de la violence ne suit pas la hiérarchie sociale, mais les personnes socialement et économiquement disqualifiées, marginalisées sont beaucoup plus exposées.

Si, dans les pays du Moyen Orient, notamment Liban, où les inégalités entre les sexes sont flagrantes, les taux de violences sont beaucoup plus élevés, les mêmes constats sociologiques prévalent sur les processus de violences conjugales. Ainsi les données des enquêtes libanaises n’ont pas montré de relation entre le niveau économique ou d’éducation et e risque de faire l’objet de sévices, mais ont classé parmi les facteurs aggravants le fait d’avoir été mariée précocement et d’avoir plus d’un mariage. Cette réalité, accentuée par les problèmes liés au sous-développement, existe aussi dans les pays occidentaux, elle y est moins étudiée en raison de la sensibilisation de la société aux sévices de la violence conjugale et de la généralisation des lois non discriminatoires à l’égard de la femme.

La finalité de la plupart des enquêtes orientales et occidentales est double : cerner, d’une part, les violences conjugales, d’autre part, les violences sexuelles, quel que soit le cadre où elles ont eu lieu; sachant que les deux champs sont sécants, une partie importante des violences sexuelles étant perpétrée par un partenaire intime.

Dans toutes les recherches citées, il existe un relatif consensus sur le contenu et la catégorisation des actes de violence sexuelle, mais la description détaillée des actes, la structuration des questionnaires, la temporalité, et surtout le regroupement des faits et la subdivision en sphères privées ou publiques diffèrent largement. Aussi la comparabilité des violences sexuelles tous contextes confondus s’avère quasiment impossible.

Les questionnaires se calent en grande partie sur les textes juridiques nationaux concernant les agressions sexuelles. Ainsi, la terminologie du Canada se réfère à l’«activité sexuelle» en y incluant le pelotage ; les formes de contraintes (menacer, forcer à rester immobile) sont prises en compte. Le terme « activité sexuelle » apparaît flou par rapport à un questionnement qui spécifie les divers types d’agressions (rapports forcés, tentatives, attouchements du sexe), la plupart des questionnaires français comprennent des questions distinctes pour les actes forcés et les tentatives, en revanche, le questionnaire canadien ne fait pas la distinction.

En raison de l’absence de taux annuels de violences sexuelles, la comparaison est limitée aux données sur le long terme. Le mode de collecte, par cadre de vie, sur l’année, de l’enquête française est adapté à son objectif prioritaire : produire des fréquences annuelles et en étudier le contexte. Tandis que la présentation des résultats des enquêtes canadiennes met davantage l’accent sur les données concernant la vie entière. Sur cette périodisation, le mode de collecte apparaît comme élément explicatif déterminant des variations constatées.

Ces Etats, où les taux sont particulièrement élevés, ont pris très tôt en compte le problème des violences contre les femmes ; des programmes de sensibilisation et d’information ont été mis en place bien avant que les enquêtes soient menées. Ils semblent plus avancés sur l’application de l’égalité de fait des droits des hommes et des femmes, et il est probable que le seuil de tolérance des citoyennes de ces Etats est plus bas que celui de leurs voisines qui en sont encore à exiger la parité en politique.

A titre comparatif on peut utiliser les tableaux déjà résumés afin de clarifier et encore une fois de façon courte et simple les indications des violences conjugales dans ces trois sociétés :

Liban: France: Canada:
- Absence des lois familiales unifiées. - Lois et code civil, travail institutionnel : sous l’effet du féminisme, les ONG et les institutions favorisent le processus de reconnaissance des violences contre les femmes. - L’égalité des deux sexes connaît une progression continue dans les systèmes juridiques mais l’appareil judiciaire dans son traitement de l’homicide conjugal continue à banaliser et à excuser la violence patriarcale.
- Les Libanaises sont soumises aux normes de la communauté religieuse à laquelle elles appartiennent. - Les violences conjugales existent partout aussi bien chez les groupes immigrés, d’où spécificité culturelle et phénomène de migration. - Les violences conjugales existent de même chez les groupes immigrés d’où la difficulté de les cerner et de les identifier.
- Les femmes participent à la reproduction d’une culture de domination masculine dans leur vie privée aussi bien que publique. - Malgré les progrès dans l’égalité des droits des deux sexes, la domination masculine perdure. - La domination masculine persiste et une grande partie des dépenses est consacrée pour plusieurs services juridiques, d’urgence, de santé, de police…
- Un certain dualisme règne au Liban : le traditionalisme d’une part et la modernisation d’autre part ou la réconciliation d’un côté et la mondialisation d’autre côté. - C’est au foyer, l’espace le plus intime, que s’exerce le plus grand nombre de violences face à une rénovation dans les mentalités et au courant féministe. - Du privé au public : malgré tout effort en ce domaine, la demande de l’aide de la femme auprès des institutions dépend toujours des valeurs, ressources, position sociale et des responsabilités de cette femme.
- Statistiques : Sur 249 femmes, 67,9% ont subies de violences conjugales.
Sur 214 femmes, 64% de ces femmes ont subies la violence physique et psychologique.
Sur 141 femmes, 73 ont subies de violences verbales.
- Statistiques : Sur 5908 femmes, 10% ont déclarées qu’elles ont subies de violences conjugales.
75% des femmes violentées déclarent qu’elles ont été victimes de violence verbale.
Sur 652 homicides, 50% des homicides sont le fait du mari ou du partenaire.
- Statistiques : Sur 12000 femmes, 30% des femmes sont victimes de violences conjugales.
Sur 12000 femmes, la totalité de ces femmes ont déclaré avoir subi de violence verbale.
Une victime de crimes contre la personne sur 5 l’a été dans un contexte conjugal.