2.5. Gravité du phénomène de la violence conjugale relativement dans ces trois sociétés:

L’ampleur du phénomène de la violence conjugale et les statistiques évoquées dans les chapitres précédents étaient plus qu’essentiels pour décrire la gravité de ce phénomène dans les sociétés spécialement au Liban, en France et au Canada, mais l’absence de données statistiques homogènes et fiables constitue une entrave à la prise de décision publique en matière d’aide aux victimes et de prévention.

En 1995, la plate-forme d’action de Pékin invitait les Etats à : « Promouvoir la recherche, organiser la collecte des données et constituer des statistiques sur la prévalence des différentes formes de violence à l’encontre des femmes, en particulier la violence domestique, et encourager la recherche sur les causes, la nature, la gravité et les conséquences de cette violence, ainsi que sur l’efficacité des mesures mises en œuvre pour prévenir cette violence et ma réparer ».

Bien souvent, les seules statistiques disponibles étaient produites par les institutions, police, justice, services médicaux, auxquelles pouvaient s’adresser les victimes ou émanaient des services d’accueil d’urgence, d’hébergement ou d’aide. Les structures susceptibles de recevoir des victimes étaient quasi inexistantes, d’autant plus que, dans nombre de sociétés comme la libanaise, le déni social de ces violences était fort.

Ces données, lorsqu’elles existaient, étaient de toute façon insuffisantes pour expliciter l’ampleur du problème dans l’ensemble de la population. En effet, les résultats des premières enquêtes statistiques menées en population générale ont révélé la part infime de victimes s’étant adressées à une structure quelconque.

Produire des données fiables sur un concept polymorphe et fluctuant est une gageure, même pour des institutions dont la crédibilité scientifique est solidement établie. L’enjeu est tel que les chiffres dès leur publication suscitent de nombreuses polémiques.

Nos sociétés étudiées ne sont pas homogènes mais, même si l’on recentre l’étude comparative sur des pays partageant des valeurs équivalentes, appliquant des législations proches, la complexité du paysage des enquêtes nationales, ou régionales, incite à la prudence.

Dans chaque entité sociale ou territoriale se retrouvent les mêmes tendances. Les plus jeunes femmes sont largement les plus touchées, et l’écart entre les groupes d’âge est d’autant plus accentué que le niveau de violences est élevé, pour soumettre sa jeune épouse, le mari peut compter sur l’appui de la famille. La phase actuelle de transition, des systèmes de normes et valeurs patriarcales vers des modèles plus égalitaires entre les sexes, favorise les conflits intergénérationnels et accentue, pour les jeunes femmes, les risques de subir des violences dans la sphère privée.

Les violences conjugales traversent tous les milieux sociaux, mais niveau d’éducation, richesse économique, hiérarchie sociale, autonomie des femmes sont diversement reliés, selon les Etats, aux risques de violences conjugales ; l’asymétrie entre les sexes est flagrante : le vagabondage sexuel au masculin représente une force, au féminin, une vulnérabilité.

Enfin, parmi les facteurs déterminants des risques de violence, la reproduction des situations vécues dans l’enfance traverse tous les contextes géopolitiques, socioculturels ou économiques. Si dans son enfance une femme a été témoin ou a elle-même subi des maltraitances, voire des sévices, la probabilité qu’elle soit, à l’âge adulte, victime de violences conjugales est beaucoup plus grave qu’une femme indemne de ces souffrances dans son jeune âge. Les révélations publiques des souffrances intimes et des drames familiaux ont, d’une certaine manière, rendu plus visibles les violences conjugales, mais l’absence de sources fiables renforce une dramatisation démesurée.

Dans le souci de provoquer des réactions, de produire un impact émotionnel, les associations et mouvements internationaux, aux prises avec une réalité insupportable, peuvent parfois leur emboîter le pas.

Au travers de débordements médiatiques, la focalisation sur les situations les plus tragiques, obère grandement la violence au quotidien, la plus répandue et la plus banalisée.

A l’entrée dans le troisième millénaire, il semble que pour les femmes, liberté au quotidien, en privé comme en public, rime avec violences.

Les statistiques et les faits ne le montrent que trop, la situation est noire, en effet, et le constat accablant. Nombre d’hommes sont non violents mais il y a par ailleurs des femmes violentées. Cette violence classe les individus dès leur naissance selon leur sexe, mais en général le sexe féminin est estimé n’avoir pas la même valeur que le sexe masculin, ce qui à la fois procède de, renforce et autorise la domination masculine.

La discrimination sexuelle persiste et quelques cultures comme celle libanaise la fortifie, c’est sur le plan des cultures que le changement semble dorénavant devoir être menée, et non plus sur le terrain politique et juridique. L’égalité en droit est loin d’avoir été atteinte, et, du droit proclamé à sa mise en œuvre, la distance est plus grande encore.

Cette discrimination est facilement transformée en violence, tout part du constat le plus simple, le plus évident, il y a des femmes et des hommes, tout se complique, cependant, dès lors que la différence des sexes provoque et légitime la mise en œuvre, simultanée et parallèle dans l’ensemble de la vie publique et de la vie privée, la dévalorisation des femmes en résulte et cela se traduit dans toutes les cultures par des législations et des pratiques difficiles à effacer ou à corriger.

Or, de cette distinction faite entre les sexes naît la discrimination qui, à son tour, conduit à de multiples formes de violences et les femmes sont partout, dans toutes les catégories sociales et dans toutes les régions du monde, l’objet de violences domestiques dont l’ampleur demeure difficile à évaluer, de nombreuses femmes hésitant à dénoncer les faits, ou se trouvant dans l’impossibilité de le faire.