2.3.1 La géographie socio-économique

L’initiateur du premier groupe (les tenants de la géographie socio-économique) est Bagnasco. A sa suite, de nombreux chercheurs se sont engagés sur ce terrain prometteur, certains parlant de ré-émergence du district industriel — après une longue période de désintérêt. Une abondante littérature sur le district industriel s’est développée entre les années 1970 et 2000 (tant en Italie qu’en Europe), mettant en relief le rôle alors quelque peu ignoré des PME et leurs formes d’organisation particulières (Beccatini, Brusco, Garafoli, Bagnasco et Trigilia en Italie ; Zeitlin et Sabel en Angleterre ; Houssel, Ganne, Courlet, Saglio, notamment, pour la France). Sengenberger et Pyke (1991)33 détaillent les caractères originaux de ce type d’organisation productive : concentration géographique, spécialisation en secteur, coopération/compétition inter-firmes, et présence d’employés qualifiés — points également soulignés par Daumas (2006)34 :

‘Si on synthétise les résultats de ces travaux, on obtient une description standard qui associe les traits suivants : un territoire organisé autour d’une petite ville, une spécialisation dans la fabrication d’un produit spécifique exigeant la mise en œuvre de savoir-faire accumulés localement, l’agglomération de nombreuses PME spécialisées liées entre elles par des rapports de concurrence et de coopération, l’importance des économies externes permises par la proximité géographique et l’homogénéité socioculturelle du territoire, une atmosphère favorable à l’apprentissage et à l’innovation, un marché du travail segmenté et très flexible, un fort consensus social, des institutions collectives et un vigoureux sentiment d’appartenance à la communauté locale. ’

La réussite brillante de la Troisième Italie, dans un contexte d’économie mondiale en crise, a entraîné un questionnement sur un modèle alternatif à la production de masse. Le milieu scientifique a alors esquissé d’autres formes de production, telles que le post-fordisme (Jessop B., 1992) ou la spécialisation flexible (Piore et Sabel, 1984, préc.). Piore et Sabel se sont basés sur l’expérience du développement industriel en Grande Bretagne, en France, aux Etats-Unis et au Japon pour monter leur modèle. Le principe de la spécialisation flexible est simple. Loin de l’intégration verticale des grandes entreprises, elle vise à une désintégration verticale de PME spécialisées chacune dans un segment de production. Ces deux auteurs ont prouvé que cette nouvelle forme organisationnelle constitue un système qui s’adapte aux développements technologiques. En réalité, la mise en place de nouvelles techniques dans la spécialisation flexible est attestée bien avant l’introduction de la technologie informatique, ainsi l’utilisation de la fibre artificielle dans l’industrie textile à Lyon ou dans l’industrie métallurgique à Saint Etienne. Becattini (1992) a estimé que la capacité d’innovation des PME au sein des districts était plus dynamique que celle des grandes entreprises. L’introduction de nouvelles technologies dans les grandes firmes « apparaît souvent douloureuse et suscite même les résistances » tandis qu’au sein du district industriel, on la considère comme « l’occasion de renforcer une position déjà conquise ».

Analysant la contribution de ce courant, Storper (1997, préc.) déclare que, premièrement, les auteurs ont raison d’affirmer qu’on ne peut pas organiser la technologie de production et la division du travail selon le principe du one best way suivant lequel toutes les activités et tous les comportements sont prévisibles et organisables rationnellement. Au contraire, la technologie et la division du travail sont le résultat d'une combinaison de pressions institutionnelles et de choix partiellement contingents. Deuxièmement, ce courant réussit à identifier la spécialisation flexible comme un modèle alternatif à la production de masse (Zeitlin et Hirst 1992)35. S’il existe de nombreuses formes d’organisation industrielle autres que les districts industriels (en Italie, en Allemagne) le principe de flexibilité et de spécialisation proposé par Piore et Sabel joue toujours un rôle important.

Notes
33.

Sengenberger, W., Pyke, F. (1991), "Small firm industrial districts and local economic regeneration: research and policy issues", Labour and Society, Vol. 16 No.1, pp.1–24.

34.

DAUMAS Jean-Claude, 2006, « Districts industriels : le concept et l’histoire », XIV International Economic History Congress, Session 28, Helsinki 2006, 19 p. http://www.helsinki.fi/iehc2006/papers1/Daumas28.pdf

35.

ZEITLIN Z., HIRST P. (1992). “Flexible Specialization versus Post-Fordism: Theory, Evidence and Policy Implications”, in STORPER M., SCOTT A. (eds.), Pathways to Industrialization and Regional Development, London and New York: Routledge. 70–115