2.5 L’agglomération industrielle au Vietnam

Un petit retour sur l’économie passée du Vietnam s’impose pour mieux comprendre le contexte actuel. Au début du XXe siècle, le Vietnam était un pays essentiellement agricole. Dans les années 50, des centres industriels vietnamiens se sont développés, mais dans un contexte d’économie de guerre : de caractère autonome et autosuffisant, ils fabriquaient des biens pour satisfaire la consommation nationale et les exigences de la guerre. Dans le Nord Vietnam (République Démocratique du Vietnam), des centres industriels ont été construits entre 1954 et 1964 autour de zones urbaines (villes de Hà Nội ou Hải Phòng), autour de la métallurgie (dans la province de Thai Nguyen), ou autour de l’industrie chimique (ville de Viet Tri, dans la province de Phu Tho)… puis la guerre a provoqué une dispersion des industries. Durant la même période, dans le Sud Vietnam (République du Vietnam), il existait des unités de production dont les produits étaient destinés à l’effort de guerre et à la consommation intérieure. L’exportation des produits agricoles, jusqu’à un certain degré, a commencé. Après la guerre (1964-1975) et la réunification du Vietnam, le réaménagement industriel, dans un contexte d’économie planifiée, a été difficile à mettre en place et il s’est souvent limité aux premières étapes. Par exemple, l’industrie de l’apatite, qui a suspendu ses activités en 1979, n’a repris son rythme que 20 années plus tard.

A partir de la réforme économique de 1986 (Doi Moi), la mise en oeuvre d’un grand nombre de lois (concernant l’entreprise étatique, l’encouragement de l’investissement intérieur, l’entreprise, le code du travail, le commerce…)46 a créé non seulement un environnement favorable aux entreprises mais aussi une attraction pour les investisseurs étrangers, marquant une nouvelle étape du développement industriel. Ce contexte institutionnel a donné lieu à de nouvelles formes d’organisation spatiale : clusters industriels de taille petite et moyenne, zones spéciales d’exportation, parcs industriels, zones high-tech… tout en favorisant la préservation et le développement des villages de métier artisanal. D’autres formes d’organisation productive sont apparues, comme la zone économique frontalière, ou les zones économiques de l’armée 47 , développées depuis 1993.

Le Vietnam a entamé son industrialisation et sa modernisation dans le contexte d’une révolution mondiale de la technologie informatique et automatique, qui a créé une nouvelle division du travail au niveau national et international. Le fait que Vietnam s’attache à développer des types différents de clusters industriels démontre sa volonté de trouver une position dans ce nouvel ordre mondial. Les clusters modernes devraient permettre de mettre en œuvre de nouvelles institutions privilégiant l’innovation technique, la création d’emplois, une meilleure utilisation des matières premières et l’exportation des produits… Le développement des clusters devrait permettre aux ressources humaines locales de participer à l’industrialisation, à la formation continue, à l’apprentissage de savoir-faire, au mode de gestion avancé qui prévaut dans d’autres parties du monde.

L’accès à de nouvelles technologies est jugé plus facile pour les firmes situées dans les clusters que pour les entreprises territorialement dispersées. En effet le gouvernement a mis sur pied des politiques très favorables pour les firmes situées au sein de ces agglomérations, ciblant particulièrement les investisseurs étrangers (Trung N. et Long T., 2004)48. Les firmes bénéficient en outre d’une base d’infrastructure technique qui n’est pas toujours disponible pour les entreprises situées ailleurs. L’organisation productive se caractérise par une intégration verticale de firmes assumant chacune une phase de production. Grâce à l’infrastructure préexistante, les firmes économisent les dépenses dites « hors de l’entreprise » lors de leur installation. Et la concentration géographique facilite également l’accès aux matières premières ainsi qu’au marché pour les produits finaux.

L’expérience vietnamienne montre une grande variété des formes d’agglomération, certaines constituant des cas de développement spontané ou endogène (les villages de métier) tandis que les autres dépendent fortement des interventions publiques. Un certain nombre d’études ont cherché à classer cette diversité. Pour s’en tenir à la période récente, les travaux du programme IDE-JETRO49 2002, auxquels Riedel et Ricord ont participé (2004)50 s’accordent à reconnaître quatre types différents de clusters au Vietnam :

Cependant, si l’on classe les clusters au Vietnam en fonction de l’intervention publique, on ne retient que deux catégories : (i) les clusters établis par décision du gouvernement et (ii) ceux basés sur les villages de métier (qu’on appellera dans cette thèse des districts industriels) dont le développement a une longue histoire.

Notes
46.

88 nouvelles lois et près de 10 000 règlements ont été promulgués dans le cadre du programme de réforme économique, ou Doi Moi.

47.

21 zones économiques de l’armée en 2008. Source : Viêt Dang/CVN (Le courrier du Vietnam 13/07/2008) http://lecourrier.vnagency.com.vn

48.

Nguyen Chon Trung et Trung Giang Long (sous la dir. de), Phát triển các khu công nghiệp, khu chế xuất trong quá trình công nghiệp hóa, hiện đại hóa [Develop the industrial zone and exporting processing zone in the process of industrialization and modernization], Nxb CTQG, Hà Nội, 2004.

49.

Institute of Developing Economies (IDE, Japan), Japan External Trade Organization (JETRO)

50.

Industrial clusters in Asia: Analyses of their competition and cooperation. Akifumi Kuchiki, Masatsugu Tsuji (eds). Chiba: Institute of Developing Economies, Japan External Trade Organization , c2004. (IDE development perspective series; no. 6)

Riedel, J. (2005) “Industrial Clusters in Vietnam,” in Akifumi Kuchiki and Masatsuga Tsuji, eds., Industrial Clusters in Asia: Analyses of Their Competition and Cooperation, London: Macmillan, 2005, with Adam McCarty and Richard Record.