2.5.2 Clusters industriels des villages de métier

Le village de métier artisanal est un centre de production où convergent des artisans, des ménages productifs et des PME spécialisés dans des métiers traditionnels et vendant des produits à la manière d’une guilde. Les membres obéissent toujours à une cohérence sociale et familiale. Ce sont la coopération et l'assistance mutuelles dans le métier, l'économie, la technique, la formation qui forment l'histoire du développement du métier et du village. Coopération et assistance jouent entre les familles de même ascendance ou appartenant à la même région. Le village de métier constitue aujourd’hui un important facteur de création d’emplois en milieu rural. Ces villages existent depuis longtemps au Vietnam. Des études récentes ont établi que certains villages ont plus de 500 ans de développement. Nous allons, dans les parties suivantes, essayer de présenter les principaux points de leur évolution au cours de deux périodes plus récentes : avant et après la réforme de 1986.

Concentrés sur une faible superficie, les clusters de village de métier se forment d’une manière différente, dans des conditions moins favorables, notamment en matière d’infrastructures ou de traitement des déchets. Le processus de décision concernant l’établissement d’un tel cluster est également différent : ce sont les autorités locales (de la province ou du district) qui décident de la construction des clusters de village de métier, les autorités du niveau central ne s’intéressant qu’au cluster moderne. La décision 132/2000/QDTTg dispose que lorsque la province a plusieurs métiers autres que l’agriculture, l’autorité provinciale peut déléguer aux autorités du district ou de la commune l’autorisation de création des clusters d’activités artisanales, afin d’apporter une meilleure réponse aux besoins des firmes et des ménages productifs en matière de surface de production.

La gestion de ces clusters varie selon les provinces. Certaines la confient au comité de gestion des clusters modernes, d’autres créent une cellule de gestion au niveau du district ou de la commune. Malgré ces différences entre provinces, les clusters de village de métier constituent en général une forme d’organisation spatiale permettant aux firmes et aux ménages productifs — auparavant dispersés dans la communauté — de s’implanter dans une nouvelle surface de proximité uniquement réservée à la production. Le but de cette mesure était d’étendre la surface de production des unités.

Peu de recherches — notamment celles qui ont été réalisées avant le Doi Moi — ont traité les villages de métier comme une forme d’agglomération industrielle, L’étude de Pierre Gourou (1936)⁵¹ fait partie des premiers essais de systématisation de l’industrie rurale. Il a recensé dans le delta du Tonkin 108 métiers artisanaux et plus de 250 000 paysans consacrant tout ou partie de leur temps à des activités artisanales (p. 450 et p. 453)⁵². Il a démontré la complémentarité de ces types de métier avec l’agriculture.

‘« Les paysans du Delta tonkinois demandent à l’industrie un complément de ressources ; ils peuvent, sans que l’agriculture en souffre aucunement, se transformer en artisans pendant les loisirs forces que leur donnent et la surabondance de la main d’oeuvre et les périodes d’inévitable chômage qui s’inscrivent au calendrier agricole. ’ ‘Ils ont ainsi crée une industrie qui est bien à leur mesure, une industrie menue, gaspilleuse de main d’œuvre et dépourvue de machines, une industrie douée d’une extrême simplicité de moyens et parfois d’une technique fort subtile, une industrie irrationnelle et illogiquement distribuée, mais fidèle aux traditions, une industrie où se retrouve l’exclusivisme villageois, une industrie peu rémunératrice qui aide seulement l’agriculteur insuffisamment nourri par la terre à ne pas mourir de faim ; en un mot une industrie paysanne,… » (p. 449)⁵³ ’

Avec une approche plus historique que sociologique, Vu Huy Phuc (1996, 1997)⁵⁴ et Phan Gia Ben (1957)⁵⁵ ont décrit les activités artisanales sous la dynastie Nguyen et au cours des premières années de la période de collectivisation (1960-1980). Vu Huy Phuc a présenté les deux formes d’organisation de la production artisanale : les ateliers de l’Etat et les villages artisanaux spécialisés. L’auteur a également analysé les politiques des rois Nguyen à l’égard de ce secteur. Pour sa part, Phan Gia Ben a esquissé l’histoire des activités artisanales de la colonisation française à la fin des années 1950. Il a les classés selon la technologie utilisée (traditionnelle, moderne ou mixte). Il existe peu d’études sur la production artisanale pendant la période de collectivisation à l’exception des travaux de Nghiem Phu Ninh (1986⁵⁶; 1986a⁵⁷), portant sur les coopératives artisanales ou sur le développement de l’industrie au niveau du district.

A la fin des années 1990, en pleine expansion des villages de métier, le MARD a effectué une enquête sur les activités artisanales au Vietnam. Selon les résultats, environ un quart des ménages en milieu rural a un revenu mixte (agricole et autres) (MARD 1998)⁵⁸ dont une bonne partie provient d’activités artisanales, dans le domaine de la transformation alimentaire, du petit commerce, de l’habillement, du transport… Le JICA et le MARD ont effectué une enquête en 2004⁵⁹ pour créer une carte des villages de métier au Vietnam. Le rapport recense plus de 2000 villages appelés « village de métier » fonctionnant dans 11 différentes branches de produits. La recherche avait également pour objet d’établir des villages de métier exemplaires de type cluster (dans le sens de Porter) visant non seulement le milieu productif mais aussi le tourisme et la conservation des valeurs traditionnelles.

Michael R. DiGregorio (2001)⁶⁰ a décrit l’évolution de Da Hoi, village de forgerons devenu un centre de production de feuilles et rouleaux d'acier, de fil de fer pour les marchés nationaux et internationaux. La structure du village de Da Hoi est un système étroitement lié, les liens entre ménages et entreprises reposant sur la division du travail et sur les relations familiales et de voisinage. La recherche montre l'importance d'une combinaison harmonieuse entre identité locale, activités économiques et territoire. Toutefois, elle ne met pas en évidence la transition interne et externe du district. En outre, l'impact de la mondialisation n’est pas clairement abordé.

Dans le cadre d’un projet FSP⁶¹, les géographes de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ont réalisé, en collaboration avec des chercheurs vietnamiens, une recherche sur la clusterisation des villages de métier dans le delta du fleuve Rouge (à travers le cas de deux provinces : Bac Ninh et Ha Tay) (Fanchette S., 2006; Fanchette Sylvie et Nguyen Xuan Hoan, 2008⁶²). Les analyses sur le village de Dong Ky, dans la province de Bac Ninh (création de meubles d’art), montrent à quel point l’industrialisation diffuse opère sur ce territoire. On estime que 9 villages participent à la production de meubles d’art, le noyau étant Dong Ky. La division du travail entre les villages est basée sur les phases de production ou sur les produits. Dong Ky a développé des relations commerciales avec la région chinoise voisine (à la frontière vietnamo-chinoise, on peut trouver des marchandises de Dong Ky). Comme Bát Trang, Dong Ky hérite une longue tradition de commerce, initialement axée sur le commerce des buffles.