5.2 Le choix du terrain

Nous avons brièvement présenté ci-dessus quelques unes des formes d’agglomération industrielle vietnamiennes, certaines proches du district industriel selon la définition de Becattini, d’autres proches du cluster porterien, et les formes nouvelles telles que les parcs de fournisseurs, les zones high-tech, etc. Pour cette recherche, nous avons dirigé notre attention vers les villages de métier, un type de district industriel traditionnel. Nous avons finalement porté notre choix de terrain sur Bát Trang pour diverses raisons.

Premièrement, Bát Trang, s’est spécialisé depuis plusieurs siècles dans la production de céramiques : il fait partie des rares villages de métier ayant une longue histoire de développement. Il est intéressant de savoir que, depuis sa fondation, Bát Trang a toujours développé un certain type de produit (la céramique), la production passant d’une forme traditionnelle à une forme moderne, tandis que dans de nombreux autres villages la production s’est fortement réduite, ou a disparu. Grâce à la longueur de son histoire, le terrain de Bát Trang peut aider à comprendre le rôle des facteurs culturels et traditionnels dans le développement de ce village à travers différentes périodes. Culture et tradition contribuent également à justifier l’utilisation de la définition de Becattini — qui a souligné l'impact réciproque des facteurs culturels, communautaires, territoriaux — pour le développement de ce village de métier.

Deuxièmement, comme les autres villages de métier, Bát Trang fait face à l’institutionnalisation. Pour mettre en œuvre la décision ministérielle n°132/2000, les unités de production — auparavant dispersées dans la communauté — ont été déplacées vers un espace géographiquement limité. Cette concentration a marqué le passage d’un développement spontané des villages de métier vers un mode de développement plus organisé, avec une intervention publique plus forte. Ce type d’agglomération apporte aux firmes/unités de production certains avantages en matière d’infrastructure technique, de traitement des déchets, de surface de production… Il faut souligner qu’avant cette décision ministérielle, l’intervention publique était minime car les villages de métier constituent un système mixte de population et d’entreprises. La nouvelle organisation spatiale a entraîné d’importants changements dans le fonctionnement des unités de production. Elles ont du faire face à la modification des relations traditionnelles (notamment avec les fournisseurs et les clients) et à l’émergence de nouvelles institutions (relations avec les autorités locales, avec le comité de gestion du cluster…). Comment s’organisent-elles pour s’adapter à cette figuration inédite ? Dans quelle mesure cette nouvelle organisation influence-t-elle la performance des entreprises ? Comment se traduit le lien avec la politique locale ? Notre recherche s’attachera à rechercher des réponses à ces questions.

Troisièmement, Bát Trang est un village de métier en pleine d’expansion (nationale et internationale). La commune de Bát Trang est un centre majeur de la production de céramique au Vietnam : les exportations ont rapporté 40 millions USD en 2005, et 83 % des ménages vivant dans le village sont directement impliqués dans cette activité. Bát Trang fabrique des céramiques depuis plus de 1000 ans, en particulier ce qui est aujourd’hui défini comme des articles ornementaux. La production de céramiques, notamment la vaisselle de table, les objets décoratifs ou les carreaux de céramique pour les murs et les sols, continue de se déplacer des centres traditionnels (Italie, Japon…) vers des pays à l’économie émergente (Chine, Vietnam…). La force la plus exceptionnelle de Bát Trang réside sans doute dans sa tradition de poterie. Les villageois, potiers habiles et doués, réalisent un produit au caractère distinctif. Le village rencontre cependant aujourd’hui des problèmes de contrôle de qualité, en raison de l’absence de processus standard, d’outils d'essai, de connaissance et de formation au processus. La technologie utilisée est jugée polluante : de nombreux fours à charbon obsolètes sont en service. De plus, les producteurs de Bát Trang ont une connaissance limitée des goûts et exigences des clients étrangers. Près de 40 sociétés (non compris les ménages d’artisans) sont engagées dans la production, perpétuant le métier de la commune. L’habile main-d'oeuvre de Bát Trang se consacre à la fabrication de produits attrayants. La céramique de Bát Trang de la plus haute qualité figure parmi les meilleures céramiques du monde, mais il y existe une différence importante entre les produits, du meilleur au pire. Les producteurs de Bát Trang n’ont pas la possibilité de capter les signaux directs et immédiats sur les tendances les plus récentes de la conception et de la consommation, ou d’obtenir l'information qui leur permettrait d’adapter leurs produits. La plupart des produits traditionnels sont vendus par le biais d’acheteurs intermédiaires. Ce village de métier est considéré comme ayant une grande potentialité de développement. Il occupe déjà une position solide sur le marché local et national, et cherche de nouvelles pistes pour aller à l’étranger. La céramique de Bát Trang est présente aujourd’hui au Japon, dans l’Union Européenne et aux Etats-Unis, marchés réputés très difficiles à pénétrer. Face à une compétition croissance dans un contexte de mondialisation, comment ce village s’organise-t-il pour réaliser une si belle performance ?