1. Des activités artisanales aux villages de métier

1.1 Villages et villages de métier

Emblématique de la société rurale traditionnelle, le village est une entité géographique et sociale importante dans l'organisation de la société du Vietnam. Il existe plusieurs conceptions du village, qui dépendent surtout du point de vue de chaque auteur. Vu sous son aspect historique, le village est le produit d'un processus de « migration et de concentration » de la population (Tran Tu, 1984)95. Sous l'aspect des croyances religieuses, le village est considéré comme une entité de la société se composant d'habitants pratiquant leur culte dans des temples et des pagodes qui lui donnent sa particularité culturelle (Tran Quoc Vuong, 1990)96. Le village est aussi analysé sous l'angle des relations sociales, comme l'endroit où « les paysans sont liés par les relations de voisinage » (Nguyen Khac Tung, 1993)97 ou par « des métiers » selon les explications de Phan Huy Le98.

Malgré ces diverses conceptions, il semble que les auteurs s’accordent sur certains points communs du village : 1) le village est une unité sociale de base en milieu rural, 2) où prédomine l’économie agricole et artisanale, 3) et où existe une culture propre qui se manifeste dans les normes collectives, les rituels, les mœurs ainsi que dans les relations sociales…

Selon les historiens, le village vietnamien – sous sa forme plus ou moins actuelle – a vu le jour vers le début du VIIe siècle après J.C.99 Il est considéré comme une unité de regroupement des habitants, un espace économique et culturel communautaire. Le village constitue un modèle de production fermé, de petite taille et autarcique. La naissance du village n’a pas seulement une signification politique (pour une gestion plus facile), elle reflète aussi la solidarité, l'une des spécificités de la société traditionnelle du Vietnam. Les habitants du village se rassemblent pour lutter contre les catastrophes naturelles, les ennemis ou les animaux sauvages. Certains villages trouvent même des moyens pour aider les groupes fragiles comme les enfants, les femmes isolées, les familles pauvres... (Nguyen Dong Chi 1977)100. Tong Van Chung (2000)101 a relevé, dans son ouvrage Sociologie du milieu rural, quelques particularités du village traditionnel vietnamien :

  • Chaque village tient un carnet d'enregistrement des résidents pour gérer le nombre de ses habitants. Le statut social de chaque habitant est déterminé en fonction de ce carnet et seules les personnes dont le nom y figure ont droit à la terre.
  • Une distinction entre les natifs et les immigrés existe bel et bien. Les natifs habitent souvent intra-muros et les immigrés, qui vivent aux alentours du village, sont traités autrement que les natifs.
  • Chaque village a ses propres formalités pour qu'une personne puisse devenir membre du village. Si elles sont assez simples pour les nouveau-nés, les immigrés doivent satisfaire deux conditions : habiter le village depuis au moins trois générations et être propriétaire d'un terrain, même de petite taille.
  • Le village est une unité autonome qui dispose d’un territoire propre. Il assure la gestion et la répartition de la terre entre ses habitants.
  • Chaque village est une unité économique autarcique.
  • La gestion du village s'effectue grâce à un système notabiliaire : elle est confiée à des personnes occupant des positions importantes dans le village.
  • Le village a ses propres lois : les « règlements intérieurs du village » détaillent ce que chaque habitant a le droit de faire et ce qu'il ne doit pas faire. Dans bien des cas, ces « règlements » ne sont pas conformes aux lois nationales.
  • Les habitants du village ont les mêmes activités religieuses et pratiquent le culte dans le village, souvent dans le temple dédié au Génie tutélaire du village (Thanh Hoang).
  • Un marché se tient à l'intérieur du village, où les habitants d'un ou de plusieurs villages réalisent leurs échanges commerciaux.

Les villages de métier ont pris forme de la même façon, avec le regroupement d’artisans exerçant le même métier ou pratiquant des métiers complémentaires. On constate, en suivant l'évolution des métiers artisanaux, qu'ils sont nés initialement de manière sporadique dans un milieu rural où les activités agricoles étaient dominantes, l’artisanat occupant le temps libre des agriculteurs. Vers le XVe siècle, les besoins des habitants se diversifiant parallèlement au développement de la société, les villages spécialisés (souvent appelés les villages de métier) ont vu le jour : la plupart des habitants d'une localité se spécialisant par exemple dans la forge là où il n’y avait qu’un ou deux forgerons. Pourquoi de tels villages de métier sont-ils nés et dans quelles conditions se développent-t-ils? Nous allons tenter de répondre à ces questions, en commençant par suivre l’évolution des industries artisanales.

Notes
95.

TRẦN Từ (1984), Cơ cấu tổ chức làng việt cổ truyền ở Bắc Bộ [La structure du village traditionnel du Tonkin], Nxb Khoa học xã hội, Hà Nội.

96.

TRẦN Quốc Vượng (1990), Đặc điểm cổ truyền của người lao động Việt Nam [Les caractères traditionnels du manœuvre vietnamien], in Bàn về chiến lược con người, Nxb Sự thật.

97.

NGUYEN Khac Tung (1993), « Le village des paysans du Bac Bo », in Le village traditionnel au Vietnam (ouvrage collectif), THE GIOI Edition en Langues Etrangères, Hanoï. p. 7–53.

98.

PHAN Huy Le (1959), Chế độ ruộng đất và kinh tế nông nghiệp thời Lê sơ [Le système agraire et l’économie agricole sous la dynastie Le]. Phan définit le village comme « une communauté rassemblant des petits agriculteurs cultivant le riz aquatique, des artisans et des petits commerçants dans une commune rurale de type féodal ».

99.

Les « agglomérations rurales » apparaissent dès le IV-IIIe millénaire avant J.C., avec le développement de l’agriculture (et, notamment, de la riziculture).

100.

NGUYỄN Đổng Chi (1977),«Vài nhận xét nhỏ về sở hữu ruộng đất của làng xã Việt nam trước cách mạng tháng Tám » [De la propriété agraire des villages vietnamiens avant la révolution d’août], in Nông thôn ViệtNam trong lịch sử, Tập I, Nxb Khoa học xã hội, Hà Nội.

101.

TỐNG Văn Chung (2000), Xã hội học nông thôn[La sociologie rurale], Nxb Đại học quốc gia, Hà Nội.