1.2 Les industries artisanales premières

L'évolution humaine montre que les industries artisanales naissent et se développent de façon naturelle, suivant le processus de création et de développement des outils de travail des êtres humains. Les activités de création des outils de travail — la toute première forme d'artisanat — apparaissent en même temps que naissent les sociétés humaines. L’amélioration graduelle des outils donne naissance à l'industrie artisanale. Les études sur l'histoire des métiers artisanaux (Phan Gia Ben 1957 préc.; Vu Huy Phuc 1996 préc.) s’accordent pour reconnaître la difficulté de reconstitution ce processus, faute de documents écrits ou autres vestiges de valeur, l'exactitude des informations transmises par voie orale n'étant pas assurée. Robequain (1939)102 a lui aussi souligné cette difficulté, les artisans ne pouvant donner la plupart du temps que des informations succinctes et peu claires sur leurs métiers. Les conditions de l’émergence ou du déclin d’un métier restent parfois inexpliquées. Les informations fiables dont nous disposons aujourd'hui sont tirées de preuves archéologiques (Phan Gia Ben 1957). Il convient de citer ici certains auteurs ayant publié des études capitales sur l'histoire des industries artisanales au Vietnam, tels que Pierre Gourou (1936), Phan Gia Ben (1957), Vu Huy Phuc (1996), Bui Thi Tan et Vu Huy Phuc (1997). Cependant les analyses systématiques n’ont pu être réalisées qu’à partir de l’époque de la dynastie des Nguyen (1802–1945), grâce, notamment, aux documents officiels désormais réunis et conservés dans les archives royales.

Les évidences trouvées sur les sites archéologiques permettent d’affirmer que la date de naissance des industries artisanales au Vietnam est très ancienne. HUARD (1950)103 estime que les anciens Viets ont appris le métier de la poterie des Chinois environ 300 ans avant J.C. D’autres chercheurs affirment, grâce, notamment, à de récentes trouvailles archéologiques et au recours à des technologies modernes, qu’une poterie grossière existait déjà à l’âge de pierre (Bac Son) et que la céramique s’est développée dès le Néolithique (Hoac Loc) et à l’âge de Bronze (périodes dites « Phung Nguyen » « Dong Dau » et « Go Mun »). Si l’art du bronze est connu dès le Néolithique, à partir du IIe siècle avant J.C., le fer et le bronze sont utilisés pour réaliser de nombreux produits artisanaux (armes, bijoux, tambours…104). L’apparition d'autres produits et métiers au cours du premier et du deuxième millénaire (après J.C.) suit la chronologie exposée dans le tableau ci-après105.

En 1010, le transfert de la capitale à Thang Long (l’Hanoï actuelle) par le roi Ly Thai To entraîne la construction de nombreux palais. En réponse aux nouveaux besoins de construction, les métiers de l’architecture, de la sculpture, du forgeage du bronze prennent leur essor, malgré les mesures prises par l’État qui contrarient le développement des métiers artisanaux (les artisans n'avaient pas le droit de participer aux concours administratifs, les taxes et impôts étaient pesants...).

La capitale de Thang Long, qui a continué son expansion sous la dynastie des Tran (1225–1400) était divisée en 61 communes en fonction des quartiers d'habitation et des particularités professionnelles. L'association, née vers cette époque, regroupe des personnes exerçant le même métier dans le but de s'entraider pour maintenir et développer ce métier. Pour satisfaire les besoins des occupants des palais, les métiers de l’architecture, de la sculpture, de la peinture des statues, de forgeage des cloches... continuent de prospérer.

Sous l’occupation chinoise de la dynastie des Ming (1407–1427), les industries artisanales n'étaient pas favorisées en raison de politiques fiscales draconiennes, notamment pour le textile. À l'arrivée au pouvoir de la dynastie des Lê (1428–1787), les artisans ont fait beaucoup d'efforts pour faire revivre leurs métiers et en développer d'autres, tels que la gravure de planches d'imprimerie (importée, ce qui a mis fin à la période où les Vietnamiens dépendaient des Chinois dans ce métier) et la tannerie. L'apparition de villages spécialisés, c'est-à-dire de villages dont les habitants exercent le même métier, a constitué un tournant majeur dans le processus de développement des métiers artisanaux. Dao Duy Anh (1955) a décrit comment les artisans et commerçants à la campagne se réunissaient en groupes, comment l'État a mis en place un cadre juridique pour les gérer et les protéger, et comment des ateliers de production étatiques ont été créés et développés pour répondre aux besoins en biens et services des administrations.

Tableau 1 Chronologie de l’apparition des industries artisanales
Tableau 1 Chronologie de l’apparition des industries artisanales

Vers le milieu du XVe siècle, également, des membres de la Cour royale, effectuant des missions en Chine, ont appris la fonderie de la monnaie en or et la production de la peinture et ont transmis ces connaissances à leurs compatriotes.

Les activités artisanales ont rencontré des difficultés à partir du début du XVIe siècle en raison de politiques fiscales drastiques, de bouleversements au sein de la Cour royale et de la guerre. Alors que la dynastie des Lê décline, deux clans féodaux rivaux, les Trinh (au Nord) et les Nguyên (au Sud) s’affrontent pour le pouvoir. À partir de 1620, la dynastie vietnamienne Lê n'exerce plus aucune autorité réelle, et le Vietnam se scinde : au nord, la dynastie des Trinh ; au sud, la dynastie des Nguyen. La guerre (1627–1674) divise le pays entre les deux seigneuries et les hostilités perturbent gravement les métiers artisanaux. De nouveaux métiers apparaissent pourtant au Vietnam, importés par des mandarins effectuant des missions en Chine : la fabrication des parasols et le tissage de la gaze. Et en dépit des troubles, le métier de l’architecture prospère, les besoins de construction au Nord restant considérables. L'exploitation des mines est aussi renforcée : la Cour royale du Nord échange des minéraux contre les armes fournies par les européens. Dans le Sud, les artisans sont mobilisés et regroupés en équipes de travail pour assurer la production des biens au bénéfice des administrations. La Cour royale du Sud est soutenue par les Néerlandais (pour la construction de navires) et les Portugais (pour la construction de fonderies fabriquant des armes à feu).

Au XVIIIe siècle, les Vietnamiens ont commencé le métier d'incrustation de nacre en développant des techniques très différentes de celles des autres pays. L'horlogerie est aussi importée au Vietnam depuis les Pays-Bas. Nguyên-Anh, après avoir défait les seigneurs du Nord et la dynastie des Tây-Son (1788–1802) prend le pouvoir sous le nom de Gia-Long, fondant la dynastie des Nguyen. Les Nguyen ont ensuite pris des mesures qui ont entravé le développement de certaines industries artisanales.

Notes
102.

ROBEQUAIN Charles (1939). L’évolution économique de l’Indochine. Paris: Hartman.

103.

HUARD P. (1950). Sciences et techniques de l’Eurasie. Extrait du Bulletin de la Société des études indochinoises, Hanoï.

104.

1041000 ans avant J.C., la civilisation Dông-Son, célèbre pour ses tambours en bronze, est à son apogée. Grâce aux résultats de l'archéologie moderne, on sait que les artisans étaient au IIe siècle av. J.C. des fondeurs de bronze compétents, et qu'ils mélangeaient aussi le bronze et le fer pour fabriquer des outils divers (voir aussi Phan Gia Ben, 1957).

105.

Tableau créé sur la base, notamment, des analyses de Phan Gia Ben (1957, op. cit.).