2.1.1 Les industries artisanales contrôlées par l'État

La Cour royale, installée désormais dans la ville de Huê (dans le centre du Vietnam), est considérablement intervenue dans les industries artisanales, contrôlant la fonderie de la monnaie, la fabrication des armes, la construction navale et la production des briques en raison de leur importance pour le développement économique du pays et la sécurité nationale.

Deux fonderies de monnaie ont été construites dans la citadelle de Huê et dans l'ancienne capitale, Thang Long. La fonderie de Huê était nettement plus petite que celle de Thang Long dont les artisans étaient très expérimentés grâce au travail réalisé durant les dynasties précédentes. La raison de leur plus grand nombre et de leur plus grande qualification est donc facile à comprendre. Créée en 1820, de taille modeste, la fonderie de Huê assurait pour l'essentiel un travail d'essai : ce travail servait de base au calcul des salaires et des matières premières pour la production en grand nombre à Thang Long. Les travailleurs de Huê venaient des provinces du Centre et l'échange de travailleurs entre Thang Long et Huê a permis l'amélioration des techniques de travail à Huê. Créée en 1803, la fonderie de Thang Long a joué, tout au long de son existence, le rôle de fonderie de la monnaie nationale. Ses activités ont été parfois interrompues et le travail était alors assuré à Huê. Ainsi à l'époque où le faux-monnayage était répandu à Hanoï, de 1829 à 1833. Après 1855, les fonderies ont décliné et elles ont arrêté définitivement leur production avec la présence des Français.

L'État contrôlait également l'industrie de la fonderie des armes. Cette emprise se manifestait par la présence de nombreuses fonderies à Huê. Les ouvriers, dont le nombre a parfois atteint 8000 (Bui Thi Tan et Vu Huy Phuc, 1997) fabriquaient des produits divers, la plupart étant des armes de forme simple, comme des épées et des lances. L'application de techniques importées de l'étranger pour la fabrication des fusils était encouragée bien que leur efficacité n'ait pas été manifeste. Les Nguyen ont aussi autorisé la fabrication dans d'autres provinces pour répondre à la fois aux besoins des localités et à ceux de Huê. Les fonderies provinciales avaient le droit de fabriquer des armes de toute taille mais devaient respecter strictement les modèles déterminés par la Cour royale.

Les ateliers de construction navale ont prospéré car le transport par voie d'eau jouait un rôle majeur. Les principaux ateliers, d’une taille conséquente, se trouvaient à Huê et Gia Dinh (le futur Saïgon et Hô Chi Minh Ville), ou dans des villages situés au bord de la mer ou des fleuves. La Cour royale n'intervenait pas seulement dans les activités de production mais contrôlait aussi l'exploitation et l'approvisionnement des ateliers en matières premières. Des groupes de travailleurs étaient mobilisés pour exploiter du bois et approvisionner les entrepôts des provinces, pour fournir du bois aux ateliers de production. L'État accordait une aide financière de l'ordre de 100 à 200 quan (monnaie de l'époque) en fonction de la catégorie du navire. Toute l’activité de production était gérée au niveau central : les ouvriers n'avaient guère d'information et accomplissaient passivement leur travail. Le dessin des navires, conçu à Huê, était accompagné de calculs précis concernant la main-d'œuvre, les matières premières, le temps nécessaire... et les ateliers provinciaux devaient les appliquer rigoureusement. Ces derniers n'avaient le droit de construire que des bateaux de taille modeste, les ateliers de la capitale étant seuls autorisés à construire de grands navires militaires, des bateaux de transport ou des barques royales. Comme pour la fabrication des armes, l'État accordait une attention particulière aux avancées techniques permettant d’améliorer la capacité et la durée de vie des navires. Ainsi, constatant l’intérêt des bateaux à vapeur, le roi Minh Mang (ou Minh Mệnh, 1820–1840) a commandé leur construction et le premier bateau à vapeur vietnamien a été lancé en mai 1839.

Un grand nombre de fours à briques ont été construits dans la citadelle de Huê pour répondre à de pressants besoins de construction dans les premiers temps du règne des Nguyen (palais, tombeaux royaux…)106. Durant les périodes de haute demande, les matières premières ont été réquisitionnées dans les provinces des alentours et des ouvriers qualifiés venant de tout le pays ont été sollicités. Puis la Cour royale a limité le nombre des fours lorsque les besoins ont été saturés. Les ouvriers sont retournés sur leurs terres natales et un petit nombre d'entre eux ont fondé des villages de métier. Après 1833, les fours de Huê étaient réservés à la confection de produits de haute valeur artistique. Pour les travaux importants, la Cour royale devait acheter des matières premières à des villages de métier spécialisés comme Bát Trang.

Une remarque générale s’impose concernant l'organisation des ateliers sous la dynastie des Nguyen : la production y était organisée d’une façon alors jugée idéale. Les décisions concernant les activités de production étaient prises par la hiérarchie, les ouvriers n’avaient guère d’autonomie dans leur travail. Les activités connexes, telles que la gestion des rémunérations ou celle des matières premières, étaient strictement contrôlées au niveau central.

Notes
106.

Huê est un grand centre de l'architecture vietnamienne ; ses monuments sont classés au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO.