2.1.4 Caractéristiques de la production artisanale dans l’ancienne société

La production artisanale au Vietnam est associée à la famille, au milieu rural et à la production agricole. Dans la société traditionnelle, la plupart des paysans se livraient pendant la saison basse à des activités de production artisanale qui complétaient leurs activités agricoles. Ils faisaient des économies en fabriquant eux-mêmes leurs outils et obtenaient un revenu supplémentaire grâce à la vente des outils dont ils ne se servaient pas. Il est à remarquer que dans certains cas exceptionnels, des villages ayant pour activité principale la production artisanale – comme Bát Trangou Tho Ha – n'avaient pas une superficie de terres suffisante pour vivre de la seule agriculture.

La main d'œuvre familiale est une vraie caractéristique vietnamienne. Phan Gia Ben (1957) est arrivé à la conclusion selon laquelle, la production artisanale restant au niveau de la famille et constituant un métier secondaire, la main d'œuvre artisanale se composait essentiellement des membres des familles. Les tâches étaient réparties selon le sexe et l’âge : les hommes assuraient les travaux pénibles et les femmes les travaux moins durs, les enfants aidant leurs parents pour les petits travaux. L'artisan assumait plusieurs tâches, de la gestion de la production et la vente des produits à d'autres activités familiales. La maison de l'artisan était à la fois son atelier et son magasin. Des travailleurs hors de la famille étaient parfois sollicités mais ces travailleurs indépendants étaient surtout engagés par des ateliers situés près des chefs-lieux et des villes où la demande était importante.

Concernant les outils de travail, Phan Gia Ben (1957) a souligné leur facture simple : dans l’ancienne société vietnamienne, les travaux étaient réalisés surtout grâce à la force humaine et il n'y avait guère de place pour la créativité. En effet les techniques du métier étaient conservées et transmises de façon confidentielle. Lorsqu’une personne voulait apprendre le métier elle devait travailler avec le maître artisan pendant quelques années. Et ce dernier ne transmettait pas tout son savoir à l'apprenti afin de garder pour lui la clef du métier. L'apprenti apprenait le métier essentiellement par les échanges d'expériences et la pratique.

Les documents disponibles (Phan Gia Ben, 1957) démontrent une très nette spécialisation dans les villages de métier : un village assurait la fabrication d'une partie du produit, ce qui entraînait parfois une répartition non nécessaire dans le processus de production. Gourou (1936) et Phan Gia Ben (1957) s’accordent sur les raisons d'une telle spécialisation :

  • la plupart des artisans étaient pauvres : faute de capitaux pour assurer tout le processus de production d'un produit final, ils fabriquaient une partie d'un produit, une partie suffisante pour payer leurs dettes, acheter des matières premières et nourrir leurs familles ;
  • les villages voulaient garder le monopole de leur produit. Les règlements intérieurs du village étaient conçus pour empêcher qu'un métier soit exercé par d'autres : par exemple, les filles n'avaient pas le droit d'apprendre un métier qu’elles devaient abandonner une fois mariées ;
  • la répartition des tâches entre les villages de métier était influencée par les caractéristiques des artisans. Fondamentalement paysans et d’esprit conservateur, ils étaient peu réceptifs aux nouveautés : une fois qu'ils maîtrisaient un métier dont ils pouvaient vivre, ils pensaient rarement à en exercer un autre. Ces métiers étaient transférés de génération en génération, d'où la formation des villages de métier.

La dispersion, l'instabilité des métiers et l'insuffisance financière sont les facteurs qui empêchaient le développement de la production artisanale. Les artisans dans l’ancienne société du Vietnam étaient très pauvres, n'avaient pas d'argent, manquaient de main d'œuvre et possédaient des outils de travail simples. Ce qui explique pourquoi les familles produisaient selon leurs propres plans sans coopération avec d'autres familles. Ce sont la main d'œuvre, la capacité financière et les besoins financiers de la famille et non la demande du marché qui décidaient de la production (Phan Gia Ben, 1957). De plus, comme les artisans n’étaient pas suffisamment renseignés sur le marché et le goût de la clientèle, ils ne pouvaient pas planifier la production pour suivre de près le marché. Ils dépendaient donc des commerçants intermédiaires.

Durant le XIXe siècle, malgré d’importants changements, les industries artisanales, non séparées de la production agricole, ne pouvaient constituer des activités attirant les artisans extérieurs. Tenir secrètes les clefs du métier était une obligation absolue, le métier était transmis entre les membres de la famille (entre les hommes dans la plupart des cas) par voie orale. De nombreux villages et communes ont élaboré des règlements intérieurs empêchant les filles de se marier avec les garçons d'autres villages. Il existait aussi des contraintes mutuelles dans le processus de production, la répartition des tâches et la vente des produits. L'unité de production de cette époque était la famille. Le maintien des valeurs traditionnelles (résoudre les problèmes à l'amiable, éviter des conflits; aider – pour les personnes aisées – les personnes en difficulté…) est l’une des particularités de la société de production artisanale. Ceci exerçait un impact sur la production : la concurrence n'existait guère et les familles ne se différenciaient pas.