4.2 Rôle des métiers en milieu rural

Au Vietnam, le développement des zones rurales a toujours été associé aux villages de métier, et ce, sous plusieurs aspects. Les villages de métier ne sont pas seulement des centres de production artisanale : ce sont des lieux où les valeurs culturelles traditionnelles sont préservées. Personne ne nie aujourd‘hui le rôle important que jouent ces villages de métier dans le processus de développement socio-économique du pays. Au niveau macro, le développement de métiers non agricoles et artisanaux renforce la modernisation et résout de nombreux problèmes sociaux. Les villages de métier bénéficient d’un certain nombre d’avantages. En premier lieu, ils ont obtenu ces dernières années une attention particulière de la part du gouvernement et plusieurs politiques d'assistance visant à encourager la production et les exportations ont été mises en œuvre. En deuxième lieu, en raison de conditions naturelles favorables, ils disposent en abondance des matières premières nécessaires pour la fabrication des produits artisanaux. Le MARD et le JICA (2004, préc.) ont fait la synthèse des avantages dont bénéficient les investisseurs quand ils financent des projets dans l'artisanat à la campagne :

La première contribution des villages de métier porte sur le changement de la structure économique de l'agriculture dans une perspective d'industrialisation et de modernisation . En se développant, les métiers et villages de métiers traditionnels ont joué un rôle actif dans le développement de l'industrie, de la petite industrie et des services. Ils ont aidé les travailleurs à passer d’une production agricole fournissant de faibles revenus à une production non agricole procurant des revenus plus importants : en effet les trois activités, artisanat, commerce et service, peuvent coexister une fois que les métiers artisanaux sont bien établis, et dès lors l'économie rurale ne dépend plus de la seule agriculture.

Sur le plan de la répartition du travail, les métiers et villages de métiers traditionnels ont exercé un impact positif sur la production agricole. Ils fournissent les outils de travail dont la production agricole a besoin, mais ils entraînent aussi le changement de la structure interne de l'agriculture. L’artisanat rapporte davantage financièrement que l’agriculture et la valeur des produits créés est plus importante que celle de la production agricole. Les travailleurs ont désormais des moyens pour accéder pas à pas à l'économie de marché, leurs informations et connaissances sur le marché s’améliorent, et ils préfèrent maintenant s'orienter vers les métiers non agricoles, notamment ceux dont les produits connaissent une forte demande sur les marchés domestique et étranger.

Le développement des métiers et villages de métiers artisanaux a favorisé l'expansion du secteur des services à la campagne, ce qui a créé des emplois. À la différence de la production agricole, la production artisanale constitue un processus continu exigeant un approvisionnement régulier en matières premières et une vente rapide des produits. Les services, sous différentes formes, ont donc trouvé leur place dans les villages et ils rapportent des revenus importants aux habitants. L’évolution des villages de métier contribue activement à l’orientation de la structure économique de l'agriculture vers l'industrialisation et la modernisation : le volume de la production ne cesse d’augmenter, les besoins en main d'œuvre sont plus nombreux, des emplois sont donc créés. Dans la structure économique de nombreux villages, l'industrie et les services représentent 60 à 80 % de l’activité et l'agriculture 20 à 40 %.

La deuxième importante contribution des villages de métier est la création d'emplois, qui a entraîné l'augmentation des revenus des travailleurs à la campagne. En moyenne, chaque atelier de production emploie régulièrement 27 personnes et recrute 8 à 10 travailleurs saisonniers. Chaque famille ayant des activités artisanales a besoin de 4 à 6 travailleurs permanents et de 2 à 5 travailleurs saisonniers. Les ateliers pratiquant les métiers du textile, de la couture, de la broderie, qui nécessitent une forte main d’œuvre, peuvent embaucher 30 à 50 personnes – et certains ateliers emploient des centaines de travailleurs. Dans plusieurs villages de métier, plus de 60 % des habitants participent à la production artisanale, et des personnes viennent d'autres localités pour y travailler. Si dans le village de Bát Trangon compte 2 430 résidents permanents, il faut tenir compte des 5 500 à 6 000 personnes qui habitent hors du village mais viennent y travailler.

L'essor des villages de métier a aussi entraîné la création d'autres métiers et services. Les métiers sont plus nombreux, ce qui signifie que les travailleurs utilisent mieux leur temps de travail et ce qui résout le problème de la saisonnalité dans l'agriculture. Cette situation permet également une meilleure répartition du travail. Le rôle de créateur d'emplois des villages de métier se manifeste encore dans le fait que la production s'élargit d'un village à d'autres villages, d'une province à d'autres provinces, la création d'emplois constituant le moteur de leur développement socio-économique.

L'élargissement des marchés d'exportation des produits artisanaux a une grande portée. Sur le plan économique, cette exportation rapporte chaque année des centaines de millions de USD. Sur le plan social, elle joue un rôle essentiel : stimulant la production, elle permet de créer plus d'emplois et donc d’augmenter les revenus des artisans de carrière et occasionnels. Les chiffres montrent que des exportations d'une valeur d'un million de USD permettent d’employer 3000 à 4000 personnes.

L'importance des villages de métier, comme créateurs d’emplois dans les zones rurales, est confirmée. Les conditions de vie dans les zones où les villages de métiers se développent bien sont souvent meilleures que dans les zones où les habitants ne vivent que de la production agricole. Le revenu des agriculteurs est de 2 à 4 fois moins élevé que celui des travailleurs dans l’artisanat. Dans une famille exerçant des métiers non agricoles, un individu gagne en moyenne 430 000 à 450 000 VND par mois ; le membre d’une famille combinant à la fois des activités agricoles et non agricoles gagne 200 000 à 250 000 VND ; un agriculteur dont la famille ne travaille que dans les champs gagne seulement 90 000 à 100 000 VND. Le revenu des habitants des villages de métier – par exemple, le village Bát Trangavec son métier de poterie et céramique – est en général satisfaisant. Les familles les plus modestes ont un revenu moyen annuel de 15 à 20 millions de VND ; les familles à revenu moyen gagnent 40 à 50 millions de VND et certaines familles disposent d’un revenu très élevé, de plusieurs centaines de millions de VND.

La troisième contribution des villages de métier réside dans leur capacité à mobiliser des ressources financières dormantes, à utiliser au mieux le temps des travailleurs et à limiter l’exode rural. À la différence des métiers de l'industrie, les métiers artisanaux n’exigent pas de capitaux d'investissements importants : la plupart des métiers ne nécessitent que des outils simples, fabriqués par les artisans eux-mêmes. La production dans les villages de métier est de petite envergure, l’investissement financier initial est peu élevé et le nombre de travailleurs peut être réduit : elle correspond à la capacité financière (ressources disponibles et mobilisées) et aux ressources humaines des familles. Cette dernière caractéristique constitue l'atout principal des villages de métier, celui qui leur permet de mobiliser les diverses ressources disponibles au service des activités de production. La production artisanale emploie pour l'essentiel la main d'œuvre locale ; le lieu de production est aussi le lieu d'habitation des travailleurs ; d’une grande souplesse, la production artisanale peut attirer la participation d’un grand nombre de travailleurs disposant de temps libres : travailleurs saisonniers – sans emploi quand ils ne travaillent pas dans les champs – personnes ayant dépassé l'âge de travail ou ne l’ayant pas encore atteint. En effet les enfants participent souvent au travail, après les heures de classe, comme apprentis ou assistants. Ce type de main d'œuvre occupe une place importante parmi les travailleurs dans l'artisanat.

Le développement des métiers et villages de métier a eu un autre impact positif en limitant l'émigration des habitants de la campagne. Il s’agit d’une émigration spontanée résultant des effets de la loi de l'offre et de la demande de travail : les travailleurs quittent les endroits où le nombre de travailleurs excède les offres d’emploi et où les rémunérations sont faibles pour s'installer là où l'offre de travail est abondante et les salaires plus élevés, délaissant les villages offrant de mauvaises conditions de vie pour les villages présentant de meilleures opportunités. Dans le contexte général de l'économie, ces migrations avaient des effets positifs : elles atténuaient la pression du chômage dans les zones rurales, permettaient de répondre à la demande de main d'œuvre pour des travaux simples en ville, et, en augmentant les revenus, réduisaient le nombre de pauvres à la campagne. Mais elles avaient aussi des effets négatifs sur la vie socio-économique, par la pression exercée sur le domaine des services et sur les infrastructures urbaines. L'exode rural constitue une question épineuse pour la gestion des villes.

Sur ce point, le développement renforcé des villages de métier à proximité des villes a apporté un changement important : des emplois réguliers ont été créés et les habitants des banlieues ont pu bénéficier de revenus améliorés et stables. Développer des villages de métier traditionnels a permis « d'abandonner l'agriculture sans abandonner le pays natal », la création d’emplois locaux mettant fin à l'exode rural.

Quatrième contribution, les villages de métier participent à la diversification de l'économie rurale et à l’accélération de l'urbanisation. Diversifier l'économie ruraleconstitue l'un des principaux enjeux de la modernisation des campagnes. Encourager le développement de l'économie de marché peut mener à des changements significatifs dans le développement socio-économique des milieux ruraux. Développer des métiers et villages de métier représente l'une des solutions pour la réalisation de l'urbanisation.

Dans les relations dialectiques du processus de production des marchandises, les métiers artisanaux ont mis fin à la situation de métier unique des villages : le développement a pris une nouvelle orientation, plusieurs métiers coexistant désormais dans un village de production agricole. Les habitants des villages de métier ont su, tout en continuant leurs activités agricoles, exploiter avec efficacité des ressources aussi diverses que la terre, les capitaux, la main d'œuvre, les matières premières, les techniques de production et le marché. Une économie de marché à produits variés a alors pris forme. Les métiers artisanaux jouent un rôle moteur dans leurs relations avec d'autres métiers.

Les centres d'échanges commerciaux sont souvent nés dans les régions où coexistent plusieurs métiers. Leur élargissement progressif a donné lieu à des changements dans les campagnes. Les habitants des villages de métier ont des réserves financières, ils peuvent donc investir dans la construction d’infrastructures (des routes par exemple) et de maisons d'habitation, et dans l'achat des équipements nécessaires à la vie quotidienne. Certains groupes d'habitants ont adopté un mode de vie urbain. La campagne change de peau : elle s’urbanise progressivement avec la création de chefs lieux et de centres commerciaux. Il est facile de prouver que les marchés animés – lieu de rencontre des commerçants – prennent plus vite forme quand un métier artisanal connaît du succès dans un village. La tendance à l'urbanisation des campagnes est une évolution logique : elle manifeste son niveau de développement socio-économique et elle constitue une nécessité objective du développement des métiers et villages de métier. Tout ceci vaut pour la banlieue de Hanoï, où se situe Bát Trang.

La cinquième et considérable contribution des villages de métier concerne la préservation et le maintien des valeurs culturelles traditionnelles vietnamiennes. De nombreux villages de métiers ont plusieurs centaines d'années.L'histoire des villages de métier est associée à celle de l'évolution culturelle du peuple vietnamien. Ils font partie de la civilisation vietnamienne et expriment l'identité culturelle du pays. En continuant, préservant et développant la production artisanale, les villages de métier perpétuent les valeurs culturelles du Vietnam.

Les produits des villages de métier sont le fruit d’un travail manuel et spirituel, ils sont créés par les mains talentueuses et les esprits créatifs des artisans. Ces produits portent les traditions, les mœurs, les croyances... tout ce qui fait l’identité particulière du Vietnam. De nombreux produits artisanaux ont en outre une haute valeur artistique. Ils expriment la vitalité et l’originalité de la culture traditionnelle, mais aussi les caractéristiques propres de chaque village. Les produits artisanaux, symboles de l'art traditionnel, gages de la prospérité du pays, attestent des progrès et inventions réalisés par les êtres humains. Les métiers traditionnels, les métiers artisanaux artistiques font partie d’un patrimoine transféré de génération en génération. De nombreux produits des villages de métier, artefacts de fabrication fine, originale, à haute valeur artistique, sont actuellement exposés dans plusieurs musées dans le monde.