2.1.2. Politique fiscale à l’égard des artisans indépendants

Si le regroupement dans les ateliers publics était un premier moyen de contrôler les artisans, la politique fiscale visant les artisans indépendants était un second moyen permettant d’encadrer leur production. Les artisans indépendants devaient remettre à l’État un certainnombre de produits en échange de « l’exonération de l’impôt personnel, du service militaire et des corvées que l’État leur assignait »156.

Généralement, la perception de l’impôt professionnel se faisait par le biais de groupements fondés par des artisans qualifiés et reconnus. Dès leur création, les artisans indépendants de la localité pouvaient y adhérer volontairement. Le représentant du groupement (le chef) établissait quotidiennement la liste des membres et le taux d’imposition pour chacun d’eux, qu’il soumettait pour approbation à ses supérieurs hiérarchiques. Le montant de l’impôt professionnel des artisans était bien supérieur à celui de l’impôt personnel, mais un artisan soumis au premier impôt était dispensé de payer le deuxième.

Au début, faute de gestion stricte de l’impôt professionnel, un grand nombre de personnes (qui n’étaient pas artisans) ont profité de cette réglementation pour échapper à l’impôt personnel, au service militaire et aux corvées. Et certains artisans n’hésitaient pas à remettre à l’État des produits qui n’étaient pas les leurs ou de valeur inférieure à la norme imposée. Des auteurs attestent qu’« il y avait des corporations et des villages artisanaux qui ont remis des produits qu’ils ne fabriquaient pas dans le souci de verser le moins de contribution possible. Par exemple, le village de Bát Trangse contentait de déposer des tissus blancs ou le village de La Khe157 remettait des lingots de fer… »158 Le roi Minh Mênh (1820-1840) a durci la réglementation relative à la perception des impôts, mais elle était jugée complexe, « entrant trop en détail » (ibid. p. 42).

Les politiques de contrôle direct des artisans et celles relatives à l’impôt professionnel ont constitué une entrave au développement du secteur artisanal. En effet, la pression fiscale et la rigidité du contrôle ont nécessairement eu un impact sur la prise d’initiatives et sur la qualité du travail des artisans.

Enfin, l’achat par voie administrative des matières premières était plus contraignant que par voie conventionnelle : le prix était prédéterminé et la plupart des matières premières étaient réservées par l’État pour satisfaire les besoins de la Cour.

En résumé, la politique de la dynastie des Nguyen n’a pas contribué de manière importante au développement du secteur artisanal à l’aube du XIXe siècle. En dépit de retombées positives sur le plan technique et du rendement reconnu de certaines activités artisanales, les Nguyen ont donné la priorité aux politiques visant le développement de l’agriculture, les produits artisanaux étant appelés principalement à répondre aux besoins de la Cour.

Notes
156.

Ibid.. p. 32

157.

Les villages de Bát Trang et La Khe sont réputés respectivement pour des produits céramiques et textiles.

158.

Ibid.. p. 34