4.3.1 Les premières lois de 1990

Le secteur privé, qui existe depuis 1986 avec la mise en place du programme Doi Moi, est reconnu formellement dans la nouvelle Constitution de 1992. Mais dès 1990, deux textes, la Loi sur l’entreprise privée et la Loi sur les sociétés (privées), ont fourni une structure légale aux entités du secteur non étatique ou non collectif exerçant des activités économiques dans lesquelles les personnes physiques ou morales peuvent investir leurs ressources. Le Préambule de la Loi sur l’entreprise privée expose clairement l’objectif du gouvernement : « afin de réaliser une base pour le développement d'une économie multisectorielle, encourager l'investissement et les affaires, protéger les intérêts légaux des entrepreneurs privés et augmenter l’efficacité de la gestion de l’État en ce qui concerne toutes les activités commerciales. »218. La Loi sur les sociétés expose un but similaire, bien que la référence à la gestion de l’État soit absente : « afin de développer une économie multisectorielle, mobiliser et utiliser de façon efficace toutes les sources nationales de capital, les ressources humaines et naturelles ; créer plus d'emplois ; protéger les intérêts légaux des investisseurs ; accélérer la croissance économique ; augmenter l’efficacité de la gestion de toutes les opérations commerciales effectuées au Vietnam »219.

Avant toute reconnaissance constitutionnelle, ces lois ont offert aux investisseurs privés l’assurance que leurs initiatives seraient encouragées et leurs activités protégées. Les entités économiques privées bénéficient désormais d’un certain nombre de garanties : reconnaissance de leur existence ; possibilité de développement à long terme ; égalité avec les autres entités devant la loi ; possibilité de réaliser des profits ; indépendance de gestion de l’entreprise ; liberté prendre des décisions commerciales – dans le cadre de la loi ; protection des droits de propriété220.

Ces deux lois et les décrets d’application ont fourni un cadre juridique aux nouvelles formes de l’entreprise et aux nouvelles modalités de régulation par l’État. L'entreprise privée est « une unité commerciale disposant d’un capital minimum fixé par la loi, possédée par un individu responsable de ses activités économiques dans la limite de ce capital, poursuivant des activités économiques recouvrant la réalisation, dans le but de générer des profits, d'une ou plusieurs étapes du processus d'investissement, de la production à la vente des produits ou à la prestation de services. » 221 Tout citoyen vietnamien de plus de 18 ans est habilité à créer une telle entreprise ou à contribuer au capital d’une société à responsabilité limitée (Limited Liability Company) ou d’une société par actions (Shareholding Company)222. Une société est une entreprise dans laquelle tous les membres (personnes physiques ou morales) contribuent au capital et partagent les profits et les pertes proportionnellement à leur contribution ; les membres ne sont pas responsables des dettes au-delà du montant du capital qu’ils ont investi223. La société à responsabilité limitée n’émet pas d’actions : le capital est apporté par les membres fondateurs et le transfert des parts à des tiers est limité (il nécessite l’approbation des 3/4 des membres)224. La société par actions, entreprise fondée par au moins sept actionnaires, peut émettre des actions librement transférables225. Aucune de ces formes de société ne peut être fondée par un investisseur étranger.

Le rôle des autorités étatiques

Si le nouveau cadre juridique donne au secteur privé une certaine autonomie concernant l’enregistrement, la gestion, ou la dissolution des entités économiques, l’intervention de l’État reste indispensable au stade de l’établissement et de la dissolution de ces entités. L’enregistrement est exigé au moment de la création et lors de tout changement de statut.

Pour établir une société privée, ou une entreprise privée, le visa du Comité populaire provincial est nécessaire. En cas de refus du Comité, les entrepreneurs peuvent faire appel auprès de l’arbitre économique du niveau supérieur. Si l’entreprise ou la société veut installer un établissement ou un bureau représentatif dans une autre province, elle doit également solliciter l’accord du Comité populaire de cette province. La loi ne spécifie pas de règles concernant l’accord ou le refus des Comités populaires provinciaux dans une telle situation.

Lorsque l’enregistrement été approuvé par le Comité populaire provincial, l’enregistrement auprès de l’arbitre économique du niveau approprié est également obligatoire. L’arbitre économique délivre le certificat d’immatriculation au registre du commerce, opération importante qui donne à l’entreprise une existence juridique. Ce n’est qu’à ce stade final que la société ou l’entreprise privée peut commencer ses opérations.

Au cours de la procédure, les autorités publiques contrôlent le type d’activité : certains domaines ont été interdits par la Loi de 1990, mais le législateur n’a pas précisé la nature des activités interdites, ce qui a posé quelques problèmes. La liste des activités interdites a ensuite été fixée par deux décrets pris en Conseil des Ministres le 23 juillet 1993. Cette liste comprend : la fabrication et la distribution d’explosifs, de poisons et de toxiques chimiques ; l’exploitation minière des minéraux précieux ; la production et la distribution d’électricité et d’eau à grande échelle ; la fabrication des équipements transmettant l’information, les services de la poste et de la télécommunication, de la radiodiffusion, de la télévision et de l’édition ; le transport naval et aérien ; les services d’export et d’import ; le tourisme international226.

L’État contrôle aussi le montant du capital au moment de l’enregistrement : un capital minimum est exigé pour certaines activités commerciales.

La demande de dissolution de l’entreprise exige également le visa de l’autorité locale. Les deux Lois de 1990 ont déterminé les circonstances dans lesquelles les entreprises et les sociétés peuvent demander une dissolution. Dans le cas de la société privée, la condition préalable à une dissolution est la garantie du paiement des dettes et l’achèvement des contrats en cours. L’entreprise privée peut solliciter une dissolution dans divers contextes : expiration de la licence d’exploitation ; achèvement des objectifs ; incapacité d’achever les objectifs ; perte de plus de 75 % du capital ou confrontation à des difficultés insurmontables ; une demande raisonnable présentée par les membres représentant deux tiers du capital227– mais la loi ne précise pas ce qu’est une demande raisonnable.

La faillite d’une entreprise doit faire l’objet d’un visa émanant l’arbitre économique. Il y a faillite quand le passif ou les difficultés sont telles que la valeur totale des biens ne suffit pas à rembourser les dettes à la date limite.

Dernière restriction posée par les lois de 1990, il est interdit aux personnes travaillant dans le secteur public de créer ou gérer une entreprise privée ou une société privée228. Les organismes gouvernementaux ne peuvent pas davantage utiliser les fonds publics pour contribuer à la création d’une société privée229.

On peut le constater, le cadre législatif élaboré en 1990 était assez restrictif. Cependant il convient de noter que, dans certains domaines, les autorités publiques ont pris des dispositions favorables au secteur privé (réduction ou exonération de taxes, conditions préférentielles pour la location de terrains, priorité pour les emprunts…) et créé des conditions propices à leur développement, concernant notamment la fabrication des biens nécessaires à la production, la fabrication et la réparation des moyens de transports ou la construction de l’infrastructure. La nécessiter de remanier les textes n’est cependant vite fait ressentir.

Notes
218.

Law on Private Enterprise. Loi sur l’entreprise privée du 21 décembre 1990, amendée par une Loi du 22 juin 1994). Préambule.

219.

Law on Companies. Loi sur les sociétés du 21 décembre 1990, amendée par une Loi du 1er juillet 1994 Préambule.

220.

Loi sur l’entreprise privée, art. 5; Loi sur les sociétés, art. 4 et 5.

221.

Loi sur l’entreprise privée, art. 2.

222.

Loi sur l’entreprise privée, art. 1 ; Loi sur les sociétés, art. 1.

223.

Loi sur les sociétés, art. 2

224.

Loi sur les sociétés, art. 25

225.

Loi sur les sociétés, art. 30

226.

Cf. Décret 221/HDBT et Décret 222/HDBT du 23 juillet 1991. Ces interdictions sont réaffirmées dans la Loi sur les sociétés amendée en 1994 (art. 11) et dans la Loi sur l’entreprise privée, amendée en 1994 (art. 5).

227.

Loi de l’entreprise, art. 22-23

228.

Art. 7 de la Loi sur l’entreprise privée, art. 6 de la Loi sur les sociétés

229.

Art. 6 de la Loi sur les sociétés.