Conclusion

Nous avons présenté dans ce chapitre l’évolution générale des politiques plus ou moins liées au développement des industries artisanales au Vietnam. Pour mesurer l’efficacité des politiques de l’État, il faudrait mener des études approfondies sur des points précis. Pourtant, à partir des premières observations, on peut constater que les politiques actuellement mises en œuvre participent effectivement au développement de l’économie nationale en général et des villages artisanaux en particulier. La politique de développement des villages artisanaux et des activités non agricoles s’avère efficace, non seulement par le nombre de villages de production artisanale nouvellement créés mais aussi par l’amélioration des conditions de vie et de revenu (de nombreuses personnes sont devenues riches grâce à l’artisanat) des habitants.

Cadre 2.2 : La renaissance des villages artisanaux
Cadre 2.2 : La renaissance des villages artisanaux

L’étude des politiques permet de constater leur impact sur le développement des activités artisanales. L’industrie artisanale est fortement structurée par l’intervention publique en matière de performance industrielle et d’organisation de la production. Sous la dynastie des Nguyen (1802-1945), les exigences posées par la reconstruction du pays – puis celles d’une Cour égocentrique et autoritaire – ont poussé le gouvernement à imposer des politiques très rigoureuses. Durant cette période, l’activité artisanale, strictement encadrée, ne s’est pas bien développée. Les impôts payés par les artisans étaient très élevés, leur rémunération ne correspondait pas à leur travail, l’initiative n’était pas récompensée et ils finissaient donc par se sentir démotivés au travail. Au début de la colonisation (1858-1945), les autorités françaises ne s’intéressaient pas particulièrement au développement de ce secteur. Par la suite, elles ont compris son rôle majeur et ont commandé des études, se sont intéressées à la production et mis en place des politiques de développement dans ce domaine. Les produits artisanaux vietnamiens sont alors apparus sur le marché domestique mais également à l’étranger. Avec l’accès à l’indépendance en 1954, sous le régime de la République démocratique du Vietnam (Nord-Vietnam), la situation de l’artisanat a encore évolué. La période entre la fin des années 1950 et le début des années 1980 est marquée par le mouvement de création massive des coopératives. Mais le modèle des coopératives ne répondait pas aux attentes des Vietnamiens, notamment parce que les salaires ne correspondaient pas au travail réalisé. Paradoxalement, les coopératives ont acquis un nombre important de parcelles tandis que la production agricole n’a cessé de baisser. La situation était similaire dans d’autres secteurs. Des politiques décisives, en l’occurrence la directive 100 du 13 janvier 1981 et la Résolution 10 du 21 février 1981, ont changé la donne. Leur entrée en vigueur a entraîné des changements positifs dans la production et l’amélioration du niveau de vie des Vietnamiens. Enfin la politique de « renouveau », le Doi Moi, proclamée en décembre 1986, a pris en compte la contribution significative de l’activité artisanale et des villages artisanaux au développement économique et à la réduction de la misère. Le Gouvernement a porté dès lors un grand intérêt à ce secteur et mis en œuvre de grandes politiques pour le développer. Force est de constater le succès de ces politiques : le nombre de villages artisanaux – qui contribuent de plus en plus à la création d’emplois dans les zones rurales – continue d’augmenter. Les formes d’organisation des unités de production deviennent plus sophistiquées par rapport à la période précédente.

Les formes d’organisation de la production changent lors de l’introduction de nouvelles politiques. Sous les règnes de Nguyen, le trait organisationnel le plus remarquable est l’omniprésence des ateliers publics. L’activité artisanale indépendante, pourtant présente à l’échelle des foyers, n’était pas encouragée. Pendant la colonisation française, de nouvelles organisations sont apparues, sous la forme des entreprises. Pendant la période de la collectivisation, âge d’or du secteur collectif et des coopératives, la production à l’échelle familiale a été quasiment suspendue. À partir de 1986, avec le Doi Moi, on assiste à l’épanouissement des formes organisationnelles de production. Des firmes de toutes sortes – en termes de taille et de statut – ont été créées à côté d’entités traditionnelles comme les foyers et les coopératives. L’application de nouvelles politiques constitue une opportunité pour certaines entités/formes d’organisation et un synonyme de déclin pour d’autres. Le tableau (tableau 2.3) ci-dessous récapitule les changements observés et montre la dynamique des acteurs impliqués dans la transformation des activités dans les zones rurales depuis 1958 et après 1986.

Le bilan des politiques adoptées depuis 1986, montre clairement que la procédure d’élaboration des politiques s’est améliorée. Depuis le Doi Moi. Les décideurs politiques ne sont plus seulement des cadres supérieurs comme auparavant :ils sont désormais chargés de donner des conseils aux acteurs concernés par la politique251.

Tableau 2.3. Acteurs de la transformation des zones rurale à partir de 1958 et après 1986 (Doi Moi)
Acteur 1958-1959 1960-1988 à partir de 1988 -
Entreprise un seul type d’entreprise (étatique) un seul type d’entreprise (étatique) entreprises de tout secteur (sociétés privées, investissement étranger, joint venture …)
Foyer présence présence très limitée forte présence
Coopérative   forte présence présence modérée
Parti Communiste présence présence présence
Autorités locales et le Front national présence présence présence
Institutions et sociétés civiles maintenance partielle des institutions traditionnelles du village absence des organisations civiles nouvelles institutions ; restauration des anciennes institutions; création d’organisations civiles : associations ; clubs professionnels…

Les analyses prouvent que le développement de l’activité artisanale et des villages artisanaux est fortement influencé par les politiques adoptées par les autorités publiques à tous les niveaux. En d’autres termes, à chaque politique correspondent des formes d’organisation de la production et des résultats précis. Bernard Ganne (1992, 1994)253 a analysé en détail l’impact des changements des politiques sur le développement des petites et moyennes entreprises (PME). Ainsi pendant la période d’entre-deux-guerres, en France ainsi qu’en Allemagne et en Grande Bretagne, le système productif se caractérisait par une forte présence des PME familiales. Cette situation résultait en grande partie de la réalisation des politiques de l’État, qui avait mis place des mécanismes d’incitation à l’extension de cette forme d’unité de production. Mais après la guerre, la France a changé sa politique macroéconomique en privilégiant le développement des activités de fabrication de produits de consommation et le développement des grandes entreprises. Cette politique a contribué à réduire considérablement le nombre des PME. Pourtant, contrairement à ce que l’on avait pensé, les PME n’ont pas disparu. Elles ont montré leur capacité d’adaptation aux nouvelles conditions créées par la nouvelle politique, par le marché et par le développement technologique. Leur succès a amené le Gouvernement à revoir sa politique : il a opté pour des actions d’appui, des réglementations moins contraignantes et une concertation avec les autorités locales.

Notes
251.

Voir la procédure d’élaboration d’un décret précédemment décrite.

252.

Adapté de PHAN Đại Doãn (2001), Làng xã Việt nam : một số vấn đề kinh tế - văn hóa - xã hội [Les villages au Vietnam : certains problèmes culturels, économiques et sociaux], Nxb CTQG, Hà Nội.

253.

GANNE Bernard (1992 et 1994), op. cit.