2.2.2. Un manque de travailleurs qualifiés

Le manque de travailleurs qualifiés est un problème commun à l’ensemble des villages de métier. Plus de la moitié des villages de métier du Vietnam (53,6 %) rencontrent des difficultés en ce qui concerne le contingent du personnel d’encadrement. Ce contingent est à la fois « insuffisant et faible », et environ 13 % des villages de métier manquent gravement de cadres compétents (JICA-MARD, 2004). 6,35 % des villages de métiers déclarent manquer de travailleurs qualifiés. Ces résultats au niveau national sont confirmés par une autre étude consacrée aux villages de métier de Hanoï (HISEDS, 2004). Selon cette étude, les ouvriers non qualifiés et peu qualifiés représentent la majorité des travailleurs dans les villages de métier. Les ouvriers qualifiés ne représentent que 10 % du nombre total des travailleurs, et les artisans ne représentent que 1,5 %. Les chiffres détaillés figurent dans le tableau ci-dessous.

Tableau 3.3. Compétences techniques des travailleurs des villages de métier
Catégories Taux (%)
Travailleurs non qualifiés 45,62
Travailleurs peu qualifiés 38,18
Travailleurs qualifiés 13,72
Artisan 1,48

Source : HISEDS (2004), Plan d’aménagement du développement des métiers et des villages de métier de Hanoï à 2010, Rapport scientifique, Hanoï.

Le niveau d’instruction de la plupart des travailleurs des villages en banlieue de Hanoï est bas, il correspond à la fin des études du premier cycle du second degré (le collège). Très peu de personnes ayant un niveau d’instruction élevé (par exemple les diplômés de l’université) travaillent dans ces villages. Beaucoup sont des retraités qui souhaitent se consacrer à des métiers comme la poterie ou la menuiserie. Le bas niveau d’instruction a des effets néfastes sur les possibilités d’élargissement de la production, de recherche de débouchés et de maîtrise de technologies avancées.

De nombreuses entreprises de Bát Trang, et notamment les ateliers familiaux, sont préoccupées par le manque de main-d'œuvre qualifiée. Pour ces entreprises, la qualification professionnelle s’attache à l’ancienneté dans le métier : pour que les ouvriers maîtrisent les techniques de production, elles doivent consacrer beaucoup de temps pour les former, et ce, dès leurs premiers jours d’arrivée.

‘En réalité, on doit former les ouvriers, comme ça, ils sont fidèles à l’atelier. Les ouvriers principaux doivent assurer toutes les étapes de production, alors que les ouvriers saisonniers ne s’occupent que des travaux peu importants. (Entretien N°25, Firme)’ ‘C’est plus difficile. Par exemple, ce n’est pas facile à trouver des ouvriers qui savent les techniques concernant l’émaillage. Parfois, je dois le faire tout seul car je n’arrive pas à trouver des ouvriers compétents. Ou bien, on peut trouver et former un ou deux ouvriers aux techniques si l’on voit chez ces personnes l’habileté. (Entretien N°38, Famille)’ ‘L’embauche des ouvriers qualifiés est souvent difficile. Il y a des ouvriers qui s’attachent à l’atelier dès l’âge de 14, 15 ans, maintenant, ils sont déjà mariés. Mais ces ouvriers ne sont pas nombreux. Chaque atelier cherche à avoir 3 à 4 ouvriers comme ça pour leur confier les travaux importants. (Entretien N° 21, Famille)’

Un autre problème concernant la main-d'œuvre est le manque d'ouvriers pendant la saison des récoltes (de riz ou d’autres produits agricoles). Pendant cette période, de nombreux ouvriers rentrent chez eux pour aider leur famille.

‘Par exemple, la famille des ouvriers pratique toujours l’agriculture. Ainsi, pendant la saison des récoltes, on doit payer davantage les ouvriers pour les attirer, car beaucoup d’entre eux rentrent chez eux. Sinon, on ne manque pas d’ouvriers. (Entretien N°36, Famille)’

Ce phénomène s’explique par le fait que la plupart des ouvriers considèrent leur travail dans les villages de métiers comme un revenu supplémentaire de l’agriculture. Ils sont donc prêts à abandonner ce travail en quelques jours pour retourner aider leur famille pendant les récoltes. Ce problème est moins habituel pour les grandes entreprises, car leurs contrats d’embauche précisent les obligations des ouvriers. Ce sont essentiellement les ateliers familiaux qui rencontrent ce problème, parce qu’il n’existe qu’un contrat verbal entre l’employeur et l’employé. La pénurie d’ouvriers pendant ces périodes entraîne l’augmentation temporaire des salaires, car aucun établissement de production ne veut une livrer ses marchandises en retard.

La pénurie temporaire de main-d'œuvre a d’autres causes. De nombreux petits ateliers de Bát Trang n’ont pas de commande pendant plusieurs mois. Ils jouent alors un rôle de sous-traitant pour de grandes entreprises. La pleine saison de production se situe vers la fin de l’année. Plusieurs ateliers ont donc décidé de réduire leur nombre d’ouvriers pendant la saison basse. C’est une des origines de la précarité du travail des ouvriers dans les villages de métier.

Tous ces problèmes sont aussi dus à un manque de professionnalisme dans les relations commerciales et les relations de travail : dans les villages de métier, les conventions verbales sont encore très répandues. Or l’existence des « zones d'incertitude »277 encourage les parties à interrompre la coopération. Parfois l’atelier n’ose pas engager trop d’ouvriers car il n’a pas suffisamment d’informations sur les besoins du marché. Faute de garanties données, l’ouvrier quitte son emploi.

Les grandes entreprises dans le secteur de la production industrielle traditionnelle connaissent aussi les démissions en masse de travailleurs. Une de nos études (Nguyen Quy Nghi, 2004)278 rapporte une telle situation. De nombreux d’ouvriers peuvent quitter leur travail s’ils ne sont pas contents des changements internes de l’entreprise. Ils ne récupèrent pas la somme d’argent versée lors de leur entrée dans l’entreprise, qui est normalement remboursée à la fin du contrat de travail. Notre étude montre que les personnes originaires du même village ont souvent tendance à abandonner en même temps le travail. Cela cause beaucoup de difficultés pour l’entreprise qui doit rechercher des remplaçants. Si les grandes entreprises peuvent recourir au réservoir de main d’œuvre des centres de formation professionnelle, cela dépasse la capacité de petites entreprises.

La solution à la question de la qualité de la main-d’œuvre est hors de la portée des entreprises et ateliers de production de Bát Trang. Cela est d’autant plus vrai que la formation de la main-d’œuvre est en fait, aujourd’hui, une activité spontanée et dispersée.

Le manque de main-d’œuvre, de qualification des travailleurs, entraînent la diminution de la compétitivité de l’entreprise : la créativité de l’entreprise dépend du seul propriétaire.

Les entreprises de petite taille rencontrent plus de difficultés que les grandes, qui ont davantage de possibilités pour y remédier. Actuellement, les grandes entreprises de Bát Trangcommencent à embaucher des étudiants sortant de filières spécialisées dans le commerce ou la fabrication de céramiques. Ces grandes entreprises tendent à développer une organisation interne plus complexe. Dans les entreprises familiales ou les PME, c’est un membre de la famille qui s’occupe de la comptabilité, tandis que dans les grandes entreprises, il existe un service comptable. Les grandes entreprises ont en général un fort potentiel financier et organisationnel, ce qui leur permet d’attirer des jeunes diplômés, qui pour la plupart cherchent plutôt un emploi en ville279.

Au niveau national et comme au niveau local, les écarts dans les orientations de formation sont sensibles, et la main-d’œuvre de qualité fait cruellement défaut. Le Vietnam comptait fin 2006 45,3 millions de travailleurs280, dont les deux tiers habitent les régions rurales. Seuls 32 % des travailleurs ont suivi une formation professionnelle et 14,4 % ont obtenu un certificat de formation de courte durée. On s’attardera sur deux considérations générales concernant la qualité de la main-d’œuvre au Vietnam :

  • Le Vietnam manque de travailleurs qualifiés et de travailleurs dans le secteur des services haut de gamme comme la banque, les finances, le tourisme et les services de commerciaux. Beaucoup d’entreprises doivent donc recourir à des ressources humaines étrangères. Les employés chargés des exportations ont de faibles compétences professionnelles ou n’ont pas la formation appropriée.
  • Selon les estimations des experts du travail, les secteurs de l’informatique, des finances, d’audit, du droit et presque toutes les industries souffrent de la pénurie de ressources humaines. De plus, beaucoup de travailleurs ne pratiquent pas de langues étrangères, bien que cette situation s’améliore peu à peu, du fait que de plus en plus d'étrangers viennent travailler au Vietnam ou que des Vietnamiens reviennent travailler au pays après leurs études à l’étranger.

Notes
277.

Dans le sens de Crozier et Friedberg (1977).

278.

Nguyen Quy Nghi (2004), Le fonctionnement d’une entreprise : le cas de HATEXCO, Document de travail.

279.

Au Vietnam, les universités et les IUT se trouvent essentiellement dans de grandes villes. Les étudiants ont tendance à rester en ville à la fin de leurs études. Les entreprises des villages de métier sont localisées pour la plupart dans des zones rurales, que les jeunes n’apprécient pas à cause des faibles possibilités d’évolution de carrière.

280.

Pour une population totale de 84 155 800. General Statistics Office of Viet Nam [http://www.gso.gov.vn]