2.3.2 L’accès au banques

Outre le capital disponible, les prêts de la Banque de l’Agriculture et du Développement Rural290 constituent une importante source financière pour les entreprises et ateliers de production de Bát Trang. Il est à noter que les procédures de prêts se sont beaucoup améliorées par rapport aux premières années du Renouveau, le Doi Moi. Pendant cette période, les banques restaient très prudentes à l’égard du secteur privé, qui avait donc beaucoup de mal à accéder aux crédits. De nombreuses opportunités de développement ont été ainsi ratées. L’attitude frileuse des banques – malgré des indices de marché et de main d’œuvre déjà satisfaisants – a été dénoncée comme constituant un frein majeur au développement des entreprises. Le financement par des banques était alors un parcours d’obstacles pour les entreprises.

‘Le manque de vision et la prudence excessive des banques ont freiné le développement économique du pays en général, et de Bát Trang en particulier. Nous n’avons pas été pas épargnés. Si nous avions pu accéder aux prêts bancaires, la production aurait été fortement développée. L’acquisition de terrain pour monter les établissements était facile car le prix du terrain était à cette période très bas. Disposant d’une main d’œuvre qualifiée, favorisé par le mécanisme du marché, notre production aurait connu un grand essor. Les bénéfices auraient été importants, le niveau de vie aurait été considérablement amélioré. Mais l’accès difficile aux crédits nous a empêchés d’agir. (Entretien N° 13, Firme)’

Aujourd’hui, les entreprises de Bát Trangaccèdent plus facilement aux prêts bancaires. Ce changement résulte d’un simple constat : la production de Bát Tranga généré ces dernières années d’importants bénéfices. En outre, le ministère de l’Agriculture et du Développement Rural a lancé des programmes d’encouragement au développement des villages artisanaux, dans le cadre, notamment, de la lutte contre la pauvreté. L’application de technologies respectueuses de l’environnement est également encouragée par les autorités publiques291. La Banque de l’Agriculture et du Développement Rurala donc mis en œuvre des politiques d’incitation financière en faveur des foyers d’artisans qui leur permet de recourir à des technologies propres et modernes. Le recours à de nouvelles technologies est un changement important à Bát Trang. La plupart des ateliers familiaux de Bát Trangutilisaient auparavant des braseros et des fours à bois qui polluaient l’atmosphère (par projection d’un taux important de poussière dans l’air) et augmentaient la température (plus élevée que dans les provinces avoisinantes).

‘50 % des foyers de Bát Trang ont accès aux prêts bancaires. L’octroi des crédits est plus facile qu’avant, notamment lorsque les prêts ont pour but de construire les fours à gaz remplaçant les fours à bois. Les programmes d'incitation financière comme l’octroi des prêts bancaires visent également à protéger l’environnement. La construction d’un four à gaz coûte environ 200 millions de dôngs vietnamiens. La banque accorde un prêt de 100 millions de dôngs vietnamiens. Les foyers prélèvent les intérêts de la production pour payer la dette. Les uns couvrent l’emprunt dans un délai d’un an, les autres en 2 à 3 ans. (Entretien N° 21, Famille)’ ‘La Banque de l’Agriculture et du Développement Rural favorise les prêts dans le cadre du programme d’encouragement de la construction des fours à gaz. On accorde aussi des prêts pour les projets d’élargissement de la production. Par exemple : on produit mais lorsqu’on ne peut pas encore vendre les produits, ou que les entreprises distributrices ne paient pas encore, on doit demander des prêts bancaires pour continuer la production. Quand les produits sont vendus ou quand les entreprises paient, on paye les emprunts bancaires. Je pense à la facture de gaz de 10 millions de dôngs vietnamiens que l’on doit payer à la fin du mois. (Entretien, N°36, Famille)’

Un « dossier garanti » est celui qui atteste, justificatifs à l’appui, que l’entreprise peut rembourser sa dette dans le délai prescrit. Quand elle remplit cette condition, l’entreprise peut facilement emprunter à la banque.

‘Si on manque d’argent pour établir un atelier, on peut emprunter à la banque à taux préférentiel. La banque Vietcombank octroie des crédits à taux préférentiel avec des procédures très simples. Il faut seulement que le projet soit justifié, que l’hypothèque soit suffisante et que le dossier soit garanti. (Entretien N°20, Firme)’ ‘Au commencement, j’ai emprunté à la Banque de l’agriculture et du développement rural environ 1 200 millions au taux d’intérêt de 0,11 % destiné aux entreprises familiales. Je devais présenter à la banque les dossiers de l’hypothèque, la certification de la commune et puis bien sûr la banque a approuvé le dossier. J’ai ensuite emprunté à la banque 30-50 millions, après avoir remboursé selon les procédures de règlement, puis j’ai emprunté une autre somme de 100 millions. Le montant de la somme empruntée pourra augmenter si on travaille bien et si on rembourse le prêt précédent dans les délais. (Entretien N°23, Famille)’ ‘Maintenant, je peux rapidement emprunter à la banque une somme d’environ 100 millions de dong parce que mon hypothèque est plus que suffisante et que les dettes sont payées à terme. Ce matin, je suis allé à la banque pour demander un emprunt, cet après-midi, elle m’a versé le crédit (Entretien N°13, Firme. NB : il y a un carnet de crédit sur la table.)’

Cependant, l’accès au crédit présente encore quelques difficultés. D’une part, le montant des sommes accordées par les banques est parfois insuffisant pour répondre aux besoins des entreprises. D’autre part, le crédit à très court terme oblige les entreprises à rembourser alors qu’elles n’ont pas encore exploité tous les avantages du crédit. Ces insuffisances résultent de la rigidité des règles de la banque et de l'incompréhension des caractéristiques des professions artisanales par les cadres bancaires. D’où le paradoxe, évident pour les producteurs : les entreprises manquent de capitaux alors même que les banques en possèdent en abondance.

‘L’an dernier, j’avais l’intention d’importer une ligne de production de terre propre au prix de plus de 300 millions de dôngs. Manquant d’argent, j’ai demandé un emprunt à la banque, avec un délai de remboursement à moyen terme de 3 ans ou à plus long terme de 5 ans. Les experts bancaires connaissent parfaitement leur métier mais pas le notre, ils ont conclu que mon projet n’est pas réalisable et ne m’ont pas accordé le crédit. Je devais donc l’abandonner. (Entretien N°13, Firme)’ ‘Au Vietnam, on ne peut pas donner des critères pour un emprunt parce qu’il n’y a aucun critère exact. Les entreprises ne savent pas à quel type elles appartiennent et les banques, quant à elles, les considèrent comme toutes semblables. La situation où l’entreprise manque de capital et la banque en a en abondance est fréquente au Vietnam. Elles ne peuvent pas se rencontrer bien qu’elles aient besoin l’une de l’autre. En tout cas, les entreprises sont obligées d’emprunter de l’argent à la banque publique ou, si ce n’est pas possible, au secteur bancaire privé.’

Il faut souligner à nouveau le fait que, comme dans d’autres villages traditionnels en voie d’industrialisation, seul un petit nombre d’entreprises de Bát Tranga la possibilité emprunter de l’argent à la banque. Les autres rencontrent beaucoup de difficultés, notamment à cause de l’absence de possibilité d’hypothèque.

‘Maintenant, il est très difficile d’emprunter de l’argent à la banque, c’est pourquoi je ne veux pas le faire. C’est plus facile si on possède un four à gaz mais la transformation du four en briques en four à gaz coûte cher, environ 100 millions de dôngs. On n’ose pas emprunter la totalité des 100 millions de dôngs à la banque, seuls les gens qui possèdent un capital disponible d’environ 40–50 millions pensent à emprunter un supplément de quelques dizaines de millions de dôngs. Le taux d’intérêt bancaire pour un crédit de 100 millions de dôngs est élevé tandis que le profit est modeste, il faut donc longtemps pour éponger la dette. Si on manque de capital, on emprunte aux membres de la famille car la production de ce type de marchandise ne demande pas beaucoup de capital, seulement quelques millions de dôngs. (Entretien N°28, Famille)’

Les entreprises familiales qui ne remplissent pas les conditions d’un crédit bancaire empruntent souvent le capital auprès d’un autre type d’organisme : les montants des crédits obtenus par ce moyen sont peu élevés, mais ils sont plus facilement accordés et les conditions de remboursement sont moins sévères. Ces emprunts sont faits sur les fonds publics pour la réduction de pauvreté ou pour la création d’emploi qui sont gérés par les autorités locales. Les entreprises familiales ne peuvent cependant pas renforcer leur compétitivité avec ce petit capital.

‘Il me semble que c’est très difficile parce qu’outre la condition de posséder le carnet rouge, l’emprunteur doit établir une bonne relation avec la banque. Je n’ai pas encore de carnet rouge, les crédits bancaires sont donc mon rêve. Cependant, les femmes peuvent emprunter une somme d’argent qui malgré tout n’est pas très grosse, 5 millions par exemple, au Fonds de réduction de pauvreté. (Entretien N°15, Famille)’

En résumé, les ateliers familiaux de Bát Trangdisposent de trois moyens de mobilisation des capitaux : des capitaux propres (i.e. l’épargne, mais aussi les économies de la famille ou d’amis), des emprunts auprès des banques et d’autres ressources. Les entreprises performantes entretiennent des relations privilégiées avec les banques commerciales. Mais les entreprises nouvellement créées obtiennent difficilement des prêts bancaires et les entrepreneurs doivent donc faire appel à leur famille292. Dans ce contexte, les fonds de soutien locaux contribuent à la diversification des sources de capitaux mais encore aident les nouvelles firmes à y avoir accès. Le tableau ci-dessous représente la mobilisation des capitaux par les entreprises et foyers d’artisans de Bát Trangde 2000 à 2005.

Tableau 3.6 Accès aux capitaux des entreprises et ateliers de Bát Trang
(Unité : 1000 VND)
Année Banque de l’Agriculture et du Développement rural Banque de la Politique Sociale Fonds National pour la création des emplois
2000 100 000 108 000  
2001 4 178 000 44 000  
2002 7 565 000 150 000  
2003 17 829 000 112 000 200 000
2004 23 104 000   200 000
2005 21 284 000    
Total 74 060 000 414 000 400 000
Taux 98,9% 0,6% 0,5%

Source : Comité populaire de Bát Trang (2006)

La Banque de l’Agriculture et du Développement rural occupe la première place pour l’octroi des capitaux. La Banque de la Politique Sociale et le Fonds National pour la création des emplois représentent chacun moins de 1 % des capitaux, mais l’accès au crédit est plus facile. Cependant, pour obtenir des crédits de ces deux banques, d’un ménage d’artisans doit recueillir le soutien des autres familles de l’îlot294 : la Banque de la Politique Sociale et le Fonds National pour la création des emplois ont pour but l’aide aux foyers les plus défavorisés. On peut comprendre pourquoi les grandes entreprises de Bát Trangne sont pas intéressées par ces deux ressources.

Notes
290.

La Banque de l’Agriculture et du Développement Rural dépend administrativement du ministère de l’Agriculture et du Développement Rural et professionnellement de la Banque Centrale duVietnam.

291.

Pour les informations plus détaillées, cf. le projet « Un village, un métier », publié par le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural en 2005

292.

La télévision du Vietnam (chaîne VTV1) a diffusé à 18 heures le 28 janvier 2008 un reportage sur l’environnement du commerce au Vietnam. Selon ce reportage, les petites entreprises rencontrent encore beaucoup de difficultés dans l’accès au crédit auprès des banques publiques. Ces difficultés ne sont levées que lorsque ces entreprises ont acquis une position stable sur le marché. Leur situation s’améliore alors grandement par rapport à l’époque du lancement de l’affaire.

293.

Notons que ce tableau ne comprend que les emprunts officiels par le biais de banques ou de fonds gérés par la localité et non les emprunts via d’autres canaux de mobilisation (capitaux propres, prêts familiaux…).

294.

La commune est divisée en quartiers, ou îlots.