3.1.2 … À une spécialisation renforcée

Des études menées sur place ont montré que la fourniture de matériaux bruts et de services auxiliaires pour la fabrication de la poterie se spécialise de plus en plus. Ce résultat est dû à l’accumulation de capitaux et à l’augmentation du volume de la production. D'après l’étude JICA-MARD 2004299, la plupart des matières premières comme l'argile, l'émail et le charbon sont achetés dans d’autres provinces ou même importés de l’étranger (l’émail est importé de Chine).

‘Les fournisseurs de Bát Trang achètent et traitent des matériaux bruts pour ensuite les vendre aux potiers. On peut acheter du gaz à une entreprise étatique, de l’émail aux artisans locaux et de l’argile à Quang Ninh, Soc Son… En général, les matériaux bruts sont fournis par des entreprises locales car le traitement des matériaux constitue déjà un processus de fabrication des céramiques. Ainsi, les nombreuses entreprises du village qui traitent des matériaux bruts jouent un rôle éminent dans la production d’une large gamme de produits céramiques. (Entretien N° 22, Firme). ’ ‘Par ailleurs, les matériaux premiers (argile, charbon) sont achetés à Hoa Binh, Tuyen Quang et Hai Duong… c’est-à-dire on cherche le meilleur kaolin partout dans le pays. Auparavant, pour filtrer de l’argile ou broyer de l’émail, on devait aller jusqu’à Hai Duong pour chercher un broyeur, maintenant on le trouve sur le marché de Bát Trang. (Entretien N° 22, Firme).’

Le village de Bát Trangest composé de plusieurs acteurs (particuliers ou collectivités) et chaque acteur se charge d’un processus de fabrication ; les fournisseurs jouent un rôle de relais300 pour tout le village en raison de leurs relations étroites avec l’extérieur. Ces fournisseurs du village peuvent être considérés comme des intermédiaires avec les fournisseurs des zones de matières premières. Il est à souligner que l’argile est en principe soigneusement traitée par les fournisseurs avant d’être livrée aux potiers, mais que les maîtres artisans, les grands potiers, peuvent eux-mêmes préparer l’argile.

‘Certains foyers de Bát Trang ne se chargent que de la fourniture d’argile, d’émail ou de moules. Ainsi, on a toute la liberté de choisir le fournisseur et on n’est pas obligé d’être fidèle à un seul fournisseur. Le prix de ces matériaux baisse pour les paiements immédiats et augmente dans les autres cas. (Entretien N°31, Famille).’ ‘Ici, nous avons des entreprises et des foyers qui fournissent des matériaux bruts. Nous avons choisi pour nous une firme prestigieuse. Les paiements sont effectués après chaque transaction, ce qui est devenu notre coutume. Nous avons également des entreprises qui ne se chargent que du moulage. (Entretien N°27, Famille).’

Cette situation n’est bénéfique que pour les petites entreprises et les ateliers familiaux qui peuvent disposer de technologies et de capitaux comparables à ceux des grandes entreprises. L’introduction de nouvelles technologies induit un coût supplémentaire important pour les petits producteurs même si elle permet de développer et de diversifier les produits. De plus, les petites entreprises et les foyers d’artisans ne disposent pas d’une surface de production suffisante pour appliquer de nouvelles technologies.

Malgré tout, le cycle fermé de production du village de Bát Trangcontinue de se perfectionner, depuis la fourniture des matériaux brut jusqu’au lancement des produits sur le marché, dans un contexte marqué par la participation active de nouveaux acteurs économiques. Les transactions relatives à la fourniture des matériaux premiers se professionnalisent de plus en plus.

‘L’argile est extraite dans les gisements appartenant à l’État, puis elle est vendue à des entreprises de traitement ; celles-ci vont broyer l’argile pour obtenir une poudre qui sera vendue aux potiers. Ce processus constitue une chaîne de production efficace. (Entretien N° 18, Famille) ’ ‘En général, les matériaux bruts sont fournis par des entreprises locales, car le traitement des matériaux constitue déjà un processus de fabrication des céramiques. Ainsi, les nombreuses entreprises du village qui traitent des matériaux bruts jouent un rôle éminent dans la production d’une large gamme de produits céramiques. (Entretien N° 27, Firme)’

Tout comme la fourniture des matériaux brut, les services auxiliaires comme le transport, l’approvisionnement en combustible (bois de chauffage, charbon) et en moules, se professionnalisent. Ces services sont assurés par des ateliers familiaux ou par des services particuliers des entreprises.

‘Le moule est fait par des villageois. Au début, le bois était vendu par les coupeurs de Cuu Cao mais maintenant, on remplace peu à peu le bois par le gaz. L’argile est transportée de Quang Ninh et fournie par des entreprises ou des foyers. (Entretien N°38, Famille).’

Les analyses effectuées sur les transports (routier, fluvial, aérien) de Bát Trangconfirment encore une fois l’interférence des modes de production modernes et traditionnels : des moyens de transport rudimentaires et modernes sont utilisés parallèlement, les premiers utilisant la force humaine et animale, les seconds des machines (voitures, bateaux avions…). Les villageois transportent sur leurs épaules des palanches chargées de céramiques jusqu’à la route ; les céramiques sont alors placées dans des containers qui partiront dans tout le pays. Les embarcadères de Bát Trang, au bord du fleuve Rouge sont ouverts toute la journée, ils servent au déchargement de l’argile et au chargement des céramiques, mais ils accueillent aussi des embarcations transportant des touristes.

De même, les artisans de Bát Trangutilisent des combustibles traditionnels (le bois et surtout le charbon sont encore utilisés) et modernes (le gaz). Le four à gaz est apparu récemment et pourtant il est aujourd’hui largement utilisé. Le gaz n’est pas polluant et il permet d'améliorer la qualité des céramiques. Cependant, cette technologie est difficilement accessible aux petites entreprises et ateliers familiaux, car la construction d’un four à gaz représente un gros investissement, un coût trop élevé pour leurs finances restreintes. Et l’augmentation croissante du prix du gaz constitue également un obstacle. De nombreux foyers d’artisans s’inquiètent parce qu’ils n’ont pas assez d’argent pour maintenir le fonctionnement de leur four, et parce qu’ils ne sont pas en mesure d’évaluer la clientèle potentielle.

La création des moules a sensiblement contribué à libérer la force humaine et, en permettant la fabrication en série, à donner une certaine uniformité aux céramiques d’un même lot. Pourtant, les moules risquent de faire perdre l’identité des produits artisanaux. À chaque période de son évolution, le village de Bát Tranga créé diverses sortes de moules différents. Aujourd’hui, ce sont les moules en plâtre qui sont les plus utilisés (Nguyen Quy Nghi, 2006301). De nombreux foyers de Bát Trangsont chargés de la fabrication de ces moules en plâtre.

‘Les moules sont également faits par les villageois de Bát Trang. Nous ne les fabriquons pas. En effet, nous passons des commandes à des familles d’artisans. Les machines de ces ateliers de moulage sont fabriquées par des entreprises mécanisées… Les céramiques sont transportées à bicyclette par les travailleurs venant de Hung Yen. (Entretien N° 36, Famille).’

Ces acteurs partagent l’idée qu’on peut faire le moulage de n’importe quel produit. Cela explique la ressemblance des produits sur le marché de Bát Trang. Quand un potier lance un nouveau modèle, les autres peuvent du jour au lendemain fabriquer un produit identique. Le moulage est une technique simple : le client apporte un produit, le mouleur réalise des moules en quelques jours à peine. Dans certains cas, le nombre de moules fabriqués est supérieur au nombre commandé par le client : le mouleur veut s’assurer qu’il peut vendre sans délai les moules surnuméraires à d’autres clients. Comme dans d’autres districts industriels situés ailleurs dans le monde, l’imitation des modèles est très répandue. En l’absence d’une règlementation assurant une protection efficace des droits de propriété intellectuelle, cette pratique réduit la compétitivité des produits céramiques de Bát Trangsur les marchés domestique et mondial.

Notes
299.

Dans le questionnaire de cette étude, on a proposé 3 options pour l’origine des matières premières : (1) dans la commune ou district, (2) dans la province, (3) dans le pays.Et Bát Trang a choisi la 3ème option.

300.

Cf. Crozier et Friedberg (1977) pour les analyses plus détaillées

301.

Nguyen Quy Nghi (2006), op. cit.