3.2 La sous-traitance comme forme relationnelle entre entreprises et familles d’artisans

La sous-traitance est un contrat par lequel une entreprise dite « mutuelle » demande à une autre entreprise dite "assujettie" de réaliser une partie de sa production ou des composants nécessaires à sa production. Les entreprises sous-traitantes sont des entreprises auxquelles sont confiées certaines parties du travail. Le sous-traitant est différent du simple fournisseur car il fabrique un produit conçu par le donneur d'ordres ou, souvent, avec lui. Le produit est fabriqué par le sous-traitant pour le compte exclusif du donneur d'ordre et ne porte pas son nom. Le sous-traitant s'engage exclusivement sur la conformité de son exécution par rapport aux directives du donneur d'ordre.

La sous-traitance à Bát Trangs’est établie dans les années 60 à 70, avant le renouveau. Au début, elle s’est manifestée par l’attribution de la réalisation d’une partie de la production (moulage ou tournage…) par les entreprises étatiques à leurs employés (Luong Van Hy, 1998). Au début de cette période, une centaine de salariés ont participé à ce type de sous-traitance. Ce chiffre s’est élevé à 302 en 1971. En 1977, ce réseau s’est sensiblement développé grâce à l’aide de l’État : l’État fournissait des matériaux pour la production et la construction de fours à des familles d’artisans qui, de leur côté, n’assumaient que le paiement de leurs travailleurs. Ce changement dans les relations économiques entre les entreprises étatiques et les foyers d’artisans a fortement contribué à l’augmentation de la production de céramiques : 200 000 produits semi-finis en 1977, 8,5 millions de produits finis en 1978. Le nombre de fours familiaux a également augmenté (218 en 1978). (Vu Quy Vy, 1980)302.

Cette relation s’est maintenue et elle se développe rapidement aujourd’hui grâce à la participation de nouveaux acteurs économiques. Et, en premier lieu, d’acteurs du secteur privé. Les entreprises étatiques continuent de passer des commandes à des ateliers familiaux et à des entreprises du village. L’actuelle relation de sous-traitance ressemble assez à la précédente : les entreprises étatiques ou privées fournissent des matériaux bruts aux foyers d’artisans qui se chargent de la production.

‘Nous avons signé avec Hamico303 un contrat aux termes duquel Hamico nous vend de l’argile. Si nous avons besoin d’une tonne d’argile, nous allons à son entrepôt et nous signons une fiche, et ça suffit ! Ce mode est bénéfique aux 2 parties. C’est Hamico qui choisit la couleur de l’émail et c’est à nous de nous occuper de la main-d’œuvre et de la fabrication. Après avoir payé une somme pour l’argile, nous recevons tous les bénéfices enregistrés. (Entretien N° 36, Famille).’ ‘Nous signons des fiches pour acquérir de l’argile, on choisit l’émail, autrement dit on nous apporte des capitaux. (Entretien N° 14, Firme).’

La sous-traitance a entraîné des changements dans les relations entre les entreprises. Avant la réforme, ces relations n’incluaient que les entreprises nationales et les foyers. La sous-traitance a une signification humaine (elle crée des emplois et apporte des revenus aux ouvriers), mais elle reflète aussi une spécialité. L’entreprise nationale passait un contrat avec des ateliers privés (des familles des ouvriers) pour leur confier certaines étapes de la production.

À l’heure actuelle, la sous-traitance dépend surtout de la capacité de production des ateliers304. En effet, la plupart des ateliers familiaux sont maintenant autonomes en termes de matières premières ou de combustible… L’entreprise joue donc le rôle d’acheteur de produits finis. Il arrive que de grandes entreprises – publiques ou privées – de Bát Trangreçoivent de gros contrats et qu’elles ne puissent pas assurer à elles seules la production dans les délais impartis. Dans ces cas, elles mobilisent la participation de ses partenaires, ses « satellites », qui sont des ateliers familiaux. La quantité commandée dépend de la capacité de production de chaque atelier.

‘Nous recevons des contrats de sous-traitance. Par exemple, nous produisons des gobelets sur une commande de la compagnie Hamico. Cette entreprise a signé un contrat pour produire 20 000 gobelets en un mois. Alors, Hamico a demandé aux ateliers du village ce que chacun était capable de produire en un mois. Pour notre atelier, par exemple, nous avons affirmé pouvoir en fabriquer 5 000. La quantité dépend de la capacité de production de chaque atelier. (Entretien N° 36, Famille)’ ‘Nous n’avons pas signé directement le contrat avec le client. Alors, nous acceptons de produire une quantité correspondant à notre atelier. Par exemple, nous avons calculé qu’en un mois, nous pouvons produire 3 000 à 4 000 produits, alors, nous confirmons à l’entreprise ce chiffre. On n’ose pas accepter un contrat qui dépasse la capacité de l’atelier. Si la production ne marche pas bien, nous devrons avoir recours à l’aide d’autres ateliers. (Entretien N° 38, Famille)’

Il existe un autre modèle de sous-traitance entre l’entreprise et l’atelier familial, qui implique un lien de parenté entre les propriétaires de l’atelier et de l’entreprise. En un sens, la sous-traitance constitue un canal vers les clients d’un atelier sans passer par des entreprises intermédiaires : si une famille a une capacité financière et de production insuffisante, d’autres foyers, ayant une relation de parenté avec cette famille, se lieront solidairement pour créer une entreprise et signer des contrats avec le client. Et l’accomplissement du contrat sera réalisé par l’ensemble des familles membres de l’entreprise.

‘J’ai 4 frères et sœurs du côté paternel et 5 sœurs du côté maternel. Nous avons décidé de créer une entreprise, c’est ma femme qui s’en occupe. Normalement, chaque famille mène sa propre production, mais essentiellement pour la production vers le marché domestique. Notre atelier est plus grand, autrement dit, mon atelier constitue un espace pour entrer en contact avec les clients. Ici, les clients peuvent trouver des informations sur notre capacité de production. Nous créons aussi sur place des modèles. Par exemple, nous avons reçu une commande pour un lot de cendriers de ce type. Comme la quantité demandée n’est pas trop grande, nous avons passé ce contrat à l’atelier d’un frère ou d’une sœur dans la famille. Ainsi, par la personnalité de l’entreprise commune, nous recevons des contrats au nom de nos frères. (Entretien N° 13, Firme)’

Dans un autre cas de figure, une entreprise joue le rôle de représentant des ateliers des invalides de guerre de la commune. Une fois les contrats enregistrés, la direction de cette entreprise passera la commande à ces ateliers.

‘Par exemple, nous avons une commande d’une valeur de 500 millions alors que nous avons 18 ateliers satellites des invalides de guerre. Ainsi, nous répartissons la production entre ces 18 ateliers. La répartition est fonction de la capacité de chaque atelier, parce que cet atelier peut être fort pour ce modèle, et cet autre est fort pour un autre modèle (Entretien N° 30, Firme)’

La sous-traitance s’avère bénéfique à la fois pour l’atelier et pour l’entreprise. L’entreprise profite du travail, de la créativité des ouvriers artisans. Et grâce à ce mode de coopération, l’entreprise ne dépense pas trop pour les salaires des ouvriers (même en basse saison) en mobilisant la participation des ateliers satellites. Quant aux ateliers, l’écoulement de leurs produits est assuré. En outre, l’investissement en équipements et les frais de stockage diminuent. L’intérêt de cette collaboration pour chaque partie peut être détaillé de la manière suivante.

Pour l’entreprise :

  • elle peut se concentrer sur l’élaboration d’une stratégie de développement ;
  • elle profite de la main-d'œuvre des ateliers familiaux et ne se soucie pas des matières premières ;
  • elle peut provoquer une concurrence entre les ateliers afin d’obtenir une baisse du prix de revient ;
  • son dynamisme est amélioré, et simultanément son organisation est moins encombrée ;
  • elle profite des techniques de production des artisans.

Pour l’atelier :

  • l’écoulement des produits est stable : plus la collaboration entre l’entreprise et l’atelier est solide, plus les deux parties ont confiance l’une envers l’autre et elles deviennent ainsi des partenaires stratégiques ;
  • il ne se préoccupe pas des coûts de la publicité ou des frais pour promouvoir sa marque… ;
  • il n’a pas de souci concernant la création des modèles parce que l’entreprise propose souvent le prototype. La participation de l’atelier à la création se fait rare ;
  • il bénéficie de l’assistance technique et financière de l’entreprise ;
  • il profite des opportunités apportées par des grandes entreprises.
Notes
302.

VU Quy Vi (1980), La fabrique de céramique de Bát Trang, Etudes Vietnamiennes 62: 136–150.

303.

Hamico Ltd est une grosse société privée.

304.

On distingue trois formes de sous-traitance : par spécialité (l’entreprise qui est incapable de fabriquer un produit, le fait réaliser par une autre entreprise) ; par capacité (quand une entreprise ne peut assurer à elle seule un gros volume de commande); et par marché.