1. La décentralisation au Vietnam

La décentralisation est une notion de droit administratif, recouvrant le transfert de compétences de l'État à des institutions distinctes de lui, du niveau central au niveau local. La décentralisation est déterminée par les textes normatifs portant sur la gestion centrale, la gestion des secteurs d'activité et la gestion locale. Au Vietnam, les droits et obligations des autorités de chaque niveau sont bien définis, sur la base du principe de démocratie centralisée. La coordination de la gestion des secteurs d'activité et de la gestion territoriale est aussi régulée, pour assurer à la fois une direction unie, la promotion de la démocratie, et la dynamique des localités et des secteurs d'activité.307 Plus l'économie de marché de type capitaliste est avancée, plus la décentralisation est marquée. Le Gouvernement central établit des règles communes applicables sur tout le territoire national et il gère directement des secteurs cruciaux pour le pays comme les affaires extérieures, la sécurité nationale, la défense… La gestion des autres secteurs est déléguée aux autorités locales.

Les autorités locales sont indépendantes dans leurs décisions, dans les conditions fixées par la loi. La décentralisation pose notamment la question de la détermination des critères des postes de fonctionnaire. À chaque niveau, ces postes doivent être définis à partir de la nature du travail, des besoins objectifs de ce niveau… ils ne doivent pas être créés dans le seul but de créer des emplois ou en faveur de relations personnelles. Un fonctionnaire occupant tel poste, à tel niveau ne doit pas pouvoir refuser un travail, une tâche, qui relèvent de sa responsabilité. Les textes relatifs à la décentralisation permettent une répartition précise des tâches, déterminent les critères de sélection et de formation de fonctionnaires nécessaires et compétents.

De nombreux pays accordent une importance considérable à la détermination et à l'amélioration de la gestion au niveau provincial et communal : la gestion territoriale locale est importante car elle est responsable de la mise en œuvre des nouvelles politiques gouvernementales sur tout le territoire : dans les provinces, au niveau des communes (qui assurent la gestion directe auprès des habitants). La commune est en mesure de suivre de près les activités exercées sur son territoire et de résoudre les problèmes de la vie quotidienne des personnes résidant dans sa circonscription.

La gestion administrative des pays capitalistes est caractérisée par la stabilité de leurorganisation structurelle et de leur système juridique et par la compétence professionnelle des administrateurs (bien que chaque pays détermine à sa manière le contenu de leurs tâches). De nombreux pays appliquent le principe de décentralisation territoriale : les unités administratives (de différents niveaux) chargées de la gestion d'un domaine sont responsables de cette gestion. En Suisse, par exemple, la question de la santé est du ressort des cantons qui mettent en place des consultations et des examens médicaux pour leurs administrés. Le gouvernement central (le ministère de la Santé) et les localités n'en sont pas responsables (To Xuan Dan et al. 2003308). D'autres pays procèdent à une décentralisation fonctionnelle. L’administration de l'éducation peut être décentralisée comme suit : les districts assurent la gestion des écoles maternelles aux écoles secondaires, les provinces/municipalités se chargent de l'enseignement supérieur et des lycées professionnels, le gouvernement central est responsable des études postuniversitaires. Les différences nationales (économiques, culturelles, historiques, géographiques...) sont à l'origine de ces diverses approches de la décentralisation. Mais dans tous les pays, la décentralisation tient compte des critères nécessaires pour unegestion efficace. L’effectivité des normes juridiques, lorsqu’elles sont mises en œuvre, doit pouvoir garantir le développement socio-économique. En d'autres termes, ces critères permettent d'adapter la décentralisation – dans un pays donné, dans une situation donnée –tant sur l'aspect formel que sur l'aspect fonctionnel, en fonction des objectifs à atteindre à chaque niveau de gestion.

La gestion de l'État socialiste vietnamien a très longtemps été caractérisée par le centralisme et l’autoritarisme administratifs. Cette caractéristique reflète la situation d’un État qui voulait édifier « son » socialisme dans un pays peu développé sur le plan socio-économique (voire arriéré par rapport aux pays capitalistes) tout en se défendant contre les guerres « chaudes » et « froides » menées des forces « impérialistes et réactionnaires ». Le gouvernement centralisait des tâches multiples, l’obligeant à agrandir sans cesse son appareil, et les tâches se superposaient, ce qui causait lenteur et gaspillage. Le personnel exécutant, peu ou pas qualifié, manquant d'expérience, comptait passivement sur le mécanisme d’une gestion centralisée, déterminée par des discussions et décisions collectives. S’appuyant sur la non transparence de ce mécanisme, et sur l’absence de responsabilité personnelle, les fonctionnaires pouvaient refuser, reporter ou essayer d’éviter un travail relevant pourtant de leur responsabilité. Ce bureaucratisme entraînait une gestion inefficace. L'appareil administratif du Vietnam – comme celui d'un grand nombre de pays socialistes – est devenu encombrant, inerte, durant une longue période, ce qui a empêché son développement socio-économique et entravé le potentiel de ses habitants (or pour Lénine, ce potentiel est le facteur essentiel décidant de la survie d'un État socialiste). S’il a joué un rôle de protecteur (en matière de sécurité sociale par exemple) et un rôle de gardien de la stabilité politique du pays (expression ultime de la fonction administrative), cet appareil bureaucratique a constitué un obstacle au développement de la société. C'est l'une des causes de l’effondrement du système des pays socialistes.

La théorie de la décentralisation n'a pas attiré une attention nécessaire au Vietnam pendant les années de bureaucratie socialiste. Les théories de la décentralisation et les expériences menées dans des pays capitalistes n’étaient pas étudiées et encore moins appliquées. La transition de l'économie vietnamienne de la planification à l'économie de marché a demandé des adaptations de la part des administrations. Après l’ouverture, le mécanisme de gestion centralisée et planifiée été supprimé peu à peu, parallèlement à la reconnaissance croissante de l'autonomie des autorités locales et le transfert progressif de responsabilités vers ces autorités. Les spécialistes de la question distinguenttrois modes principaux de décentralisation (Rondinneli et Nellis 1986 ; Manor 1999 ; Fritzen 2002)309: (i) la décentralisation budgétaire; (ii) la décentralisation administrative; (iii) la décentralisation politique. À ces trois catégories, des chercheurs vietnamiens (Vu Thanh Tu Anh et al. 2007)310 ajoutent la décentralisation du marché ou la décentralisation économique.

Notes
307.

http://dictionary.bachkhoatoanthu.gov.vn (consultation du 6 août 2008)

308.

Tô Xuân Dân, Vũ Trọng Lâm (2003), Cơ chế chính sách đặc thù phát triển thủ đô Hà Nội – Một số định hướng cơ bản [Les politiques spécialisées pour le développement de Hanoï : les grandes orientations], Nxb Khoa học và Kỹ thuật, Hà Nội

309.

FRITZEN Scott (2002), The foundation of public administration? Decentralization and its discontents in transitional Vietnam, Paper presented to Asia Conference on Governance in Asia: Culture, Ethnics, Institutional Reform and Policy Change, City University of Hongkong. MANNOR, J. (1999), The political economy of democratic decentralization. The World Bank, Washington, D.C.. RONDINELLI, D. A. and NELLIS J. R. (1986), “Assessing Decentralization Policies in Developing Countries: The Case for Cautious Optimism.” Development Policy Review4: 3–23.

310.

310 VU Thanh Tu Anh et al. (2007), Provincial Extralegal Investment Incentives in the Context of Decentralisation in Viet Nam: Mutually Beneficial or a Race to the Bottom?Policy Research, UNDP Hanoï..