1.1 La décentralisation budgétaire

La décentralisation budgétaire est le fait pour l'État de transférer aux gouvernements locaux une part croissante du budget de l’État, qu’ils exécuteront de façon autonome (Fritzen 2002). Durant les premières années de la période de transition, la part budgétaire transférée aux localités (souvent des provinces) représentait environ 40 % du budget de l'État. L’accélération de la décentralisation résulte de la Loi budgétaire de 1996311 qui a élargi le pouvoir des gouvernements locaux, concernant notamment la gestion des infrastructures, la mise en place des plans de développement socio-économique des provinces et la coordination des branches d'activités. Avant cette réforme, les finances publiques n’avaient pas de cadre législatif. Des textes règlementaires (Décrets, instructions, circulaires…) relatifs à la gestion budgétaire avaient créé une certaine flexibilité, le Gouvernement prenant chaque année des mesures de transfert budgétaire adaptées à la situation de chaque province. Les faiblesses de ces textes ont entraîné de nombreuses difficultés (To Xuan Dan et al., 2003).

Premièrement, la détermination des recettes et des dépenses est devenue instable : le Gouvernement devait réajuster tous les ans les recettes et les dépenses, et le pourcentage de répartition entre l'État et les provinces.

Deuxièmement, la gestion des finances publiques est devenue opaque, ce qui a provoqué une intervention excessive des responsables hiérarchiques dans le travail des responsables du niveau inférieur, notamment dans le processus d'élaboration, d'approbation, d'analyse des devis et de distribution des ressources budgétaires. Le rôle des provinces était en conséquence très limité : les décisions budgétaires prises par le Comité populaire provincial étaient souvent formelles car la part budgétaire accordée à chaque province était déjà décidée lors de l'approbation du budget de l’État par l'Assemblée nationale.

Troisièmement, l’équilibre financier était faible car le budget de l’État est caractérisé par l’'insertioni.e. le budget des provinces est intégré dans le budget de l’État. À cela s’ajoutait une gestion non transparente, les provinces ayant tendance à ne pas déclarer leurs recettes réelles : déclarer de faibles recettes et d’importantes dépenses leur permettait de bénéficier d’aides financières prises sur le budget de l’État.

Quatrièmement, ce mécanisme de gestion favorisait des fuites et gaspillages de ressources, et des négligences dans la gestion budgétaire. Les provinces avaient pour mission de réaliser des recettes déterminées par un Gouvernement central qui ne les obligeait pas à contrôler leurs dépenses. La limite des dépenses fixée par l'État n'était donc pas souvent respectée312.

La Loi sur le budget de 1996 constitue une réforme importante qui a régulé les relations financières entre le niveau central et local, et permis de remédier aux lacunes des anciens textes. Le système budgétaire du Vietnam est maintenant organisé en conformité avec le système administratif comprenant trois échelons (État, province/municipalité, commune, district).Cette loi a permis de stabiliser les recettes et les dépenses de tous les échelons. Et elle a déterminé le pourcentage des recettes à répartir entre le Gouvernement et les provinces : si le montant des aides financières accordées par le Gouvernement central aux provinces est maintenu pendant une période de trois à cinq ans, après ce laps de temps, le pourcentage est adapté en fonction des recettes réalisées et des besoins en dépenses de chaque province. D'un point de vue général, le cadre juridique établi par la Loi de 1996 a amélioré la gestion, la coordination entre les niveaux et consolidé l'autonomie des provinces ; les finances publiques, gérées et contrôlées de façon plus stricte, sont mieux employées car affectées à des objectifs déterminés.

Cette Loi a été modifiée à deux reprises, en 1998 et en 2002. La loi de 2002, en particulier, a donné aux autorités provinciales plus de pouvoir sur le budget. Ce budget est plus important que celui du Gouvernement central ou celui des autorités du niveau inférieur (communes et district)313. Avant la réforme de 2002, les provinces ne disposaient que de 11 sources de recettes qu’elles pouvaient intégralement (à 100 %) dépenser. La Loi de 2002 a porté ce nombre à 18. Parmi ces nouvelles sources de recettes figurent :

  • (i) les taxes sur l'exploitation des ressources naturelles (les taxes sur l'exploitation du pétrole et du gaz ne sont pas comprises) ;
  • (ii) l’impôt sur la fortune,
  • (iii) les taxes sur le transfert de propriété foncière,
  • (iv) les taxes sur l'exploitation des terrains agricoles,
  • (v) les taxes foncières,
  • (vi) les revenus fonciers,
  • (vii) les revenus provenant des établissements économiques, des fonds de réserves financières des provinces, des sources financières mobilisées dans les provinces.

Aux termes de la Loi sur le budget de 1996, les provinces n'avaient le droit de retenir qu'une partie de ces revenus. La Loi de 2002 a augmenté le nombre de sources de revenus des provinces, et consolidé le budget provincial grâce à d'autres recettes : la part des recettes réparties entre le Gouvernement central et les provinces ; des recettes complémentaires venant du budget d'État ; des ressources mobilisées destinées à la construction des infrastructures (alinéa 3, article 8 de la Loi de 2002314). Les recettes réparties entre le Gouvernement central et les provinces comprennent315 :

  • (i) les taxes à valeur ajoutée (TVA des marchandises importées non comprises),
  • (ii) l’impôt sur les sociétés (non compris les impôts des entreprises dont le bilan est calculé pour toute la branche),
  • (iii) les impôts sur les gros revenus,
  • (iv) les taxes sur les transferts de profits réalisés à l'étranger (profits de l'exploitation du pétrole et du gaz non compris),
  • (v) les taxes spéciales sur les produits de consommation et les services domestiques,
  • (vi) les frais d'essence, de pétrole.

Il est important de noter que ces revenus étaient auparavant retenus à 100 % par le Gouvernement central. La Loi de 2002 a largement contribué à augmenter l’autonomie des autorités provinciales dans leur gestion des revenus et dépenses sur leur territoire. Aujourd’hui les provinces qui remplissent un certain nombre de conditions ont le droit d’effectuer des empruntssans que l’accord du Gouvernement central soit nécessaire (Vu Thanh Tu Anh et al. 2007). Le rôle du Comité populaire provincial est ainsi renforcé.

Notes
311.

La loi sur le budget de l’État n° 01/2002/QH11 a été adoptée le 20 mars 1996 par l'Assemblée Nationale du Vietnam, lors de la 9e session du IX e Congrès.

312.

Par exemple, la commune utilisait ses ressources propres pour régler ses dépenses, mais lorsque ses recettes ne couvraient pas suffisamment ces dépenses, elle bénéficiait de subventions dites « d’écart » inscrites au poste « autres dépenses » du budget local du district ou de la province. Les recettes et dépenses « propres » de la commune faisaient l’objet d’un rapport séparé au Ministère des Finances : les dépenses des communes n'étaient inscrites au budget de l’État que si elles utilisaient les sources de recettes du district ou de la province.

313.

Ces modifications sont insérées dans les articles 30 et 32 de la Loi sur le budget de 1996 du 16 décembre 2002.

314.

L'article 8 de la Loi sur le budget de 2002 dispose que « les provinces et villes relevant de la gestion centrale peuvent mobiliser des capitaux intérieurs si elles manifestent un besoin en investissements dans des infrastructures dont le financement est couvert par le budget provincial et si ces investissements font partie du plan d'investissement quinquennal approuvé par le Comité populaire provincial mais dépassent leur capacité pour l'année prévue. Les provinces et villes en question doivent équilibrer leur budget annuel pour pouvoir rembourser les dettes à l'échéance. Le solde débiteur des capitaux mobilisés ne doit pas dépasser 30 % des investissements annuels dans les infrastructures du budget de chaque province. »

315.

Article 30, Loi sur le budget de 2002.