Après avoir comparé les entreprises de provinces vietnamiennes développées avec des entreprises situées dans des provinces « en périphérie »325, Malesky (2004)326 conclut lui aussi que les éléments traditionnels (infrastructures, distance avec le marché, dépendance de l'agriculture...) s’ils restent nécessaires au développement des secteurs d'activités, ne sont pas un facteur décisif de réussite : le succès est plutôt déterminé par les stratégies de développement mises en œuvre par les autorités provinciales. Celles-ci pourront attirer les investisseurs en répondant d’abord aux besoins des entreprises. La province de Binh Duong, dans le Sud, est exemplaire concernant la récente mise en place de stratégies de développement appropriées. Les conditions naturelles de cette province n'atteignent pas le niveau de celles d'autres provinces comme Hai Phong et Ha Tay (dans le Nord), mais elle a réussi, grâce à une politique adéquate, à attirer des IDE et elle est aujourd’hui une destination attrayante pour les investisseurs. Malesky (2004) démontre que les investisseurs ont tendance à orienter leurs capitaux dans les provinces « en périphérie » quand les coûts de production s'accroissent dans les provinces développées. Cette tendance a, dans une certaine mesure, dévalorisé les avantages traditionnels.
Un autre exemple atteste que la réussite des provinces du Sud résulte en partie de la résolution des contraintes locales concernant les politiques foncières. Selon les estimations, le prix d'un terrain situé à environ 30 km de Hanoï est de 2000 USD/m², et de 300 USD/m² pour les terrains à 60 km de Hanoï. Mais ce prix n'est que de 500 USD/m² pour les terrains qui se trouvent au sein de Hô Chi Minh Ville (à 4 km du centre-ville) et de 10 USD/m² si le terrain est à 50 km de la ville (dans la provinceméridionale de Dong Nai par exemple). La spéculation est aussi un élément qui fait augmenter le prix des terrains des provinces du Nord et les habitants cherchent aujourd’hui à changer d'affectation des terrains agricoles en vue d'un usage non agricole (ibid. p. 10). Le prix très élevé des terrains a nui au développement des provinces. Les flux de capitaux des habitants vont dans l’immobilier au lieu d'être mis au service de la production, ce qui entraîne de graves difficultés pour les « vrais » investisseurs, ceux qui souhaitent se procurer un terrain d'une superficie suffisante pour implanter leurs usines ou élargir leur production. Le prix très élevé des terrains a également porté atteinte à d’autres facteurs de la compétitivité des entreprises, comme la main d'œuvre qualifiée et bon marché. Les provinces de Binh Duong et de Dong Nai ont pris l'initiative de concilier les intérêts de l'État, des entreprises et des habitants327 : en effet l'évacuation des terrains nécessaires pour la réalisation des projets est très difficile si les indemnités d'expropriation des sols n'atteignent pas les attentes des propriétaires. Dans la province de Binh Duong, les autorités locales ont mis en place des politiques réalistes pour attirer de grands investisseurs – mais aussi de petits investisseurs. La province a divisé les terrains en parcelles de superficies diverses et elle les loue à des conditions flexibles et avantageuses. Cette politique a permis à des entreprises du secteur privé d’obtenir des terrains plus facilement. La province autorise aussi les entreprises qui investissent dans la construction des infrastructures des zones industrielles à construire des logements.
Pour les grandes villes – aux conditions physiques similaires – l’enjeu de politique locale reste le même : renforcer la compétitivité. Il existe une relation linéaire entre la politique locale et la compétitivité, les politiques contribuant effectivement à une forte compétitivité des provinces. En analysant la compétitivité de trois grandes villes (Hanoï, Hai Phong et Hô Chi Minh Ville), Vu Minh Khuong et Haughton (2004)328 ont montré que ce sont les particularités de leurs politiques concrètes qui différencient leur compétitivité, les conditions étant quasi identiques. Ils ont calculé l’indice de la concurrence globale en se basant sur 9 critères329. Hô Chi Minh Ville a obtenu la meilleure note pour 5 critères, dont l'ouverture (7,17), la compétitivité sur le marché domestique (6,78), les technologies (6,70) et les fournisseurs (5,73). Pour certains critères la note de Hô Chi Minh Ville est légèrement supérieure à celle de Hai Phong mais légèrement inférieure à celle de Hanoï (concernant les législations, les technologies et la compétitivité sur le marché domestique). Hanoï a obtenu la meilleure note pour les autres critères : les infrastructures, les politiques locales, les ressources humaines et financières. Hai Phong a obtenu des résultats décourageants sur tous les plans, notamment les politiques locales, l'ouverture et les ressources financières.
Concernant la politique locale, il faut évoquer l’environnement juridique, un facteur qui a un impact important sur la compétitivité des entreprises. Pour créer un environnement favorable aux entreprises il faut (i) un cadre juridique ; (ii) une simplification des formalités administratives ; et (iii) un faible taux de criminalité. Adam Smith souligne que « le commerce et les manufactures ne peuvent guère fleurir longtemps dans un État qui ne jouit pas d'une administration bien réglée de la justice, dans lequel on ne sent pas la possession de ses propriétés parfaitement garantie, dans lequel la foi des conventions n'est pas appuyée par la loi, et dans lequel on ne voit pas l'autorité publique prêter sa force d'une manière constante et réglée pour contraindre au paiement de leurs dettes tous ceux qui sont en état de les acquitter. »330. Des législations de qualité sont synonymes de sécurité pour des entrepreneurs qui peuvent dès lors se concentrer sur la production et sur le déploiement de leur créativité. Au niveau des provinces, le cadre normatif a des points forts, mais selon les études menées par Khuong et Haughton (2004), il comporte aussi de nombreuses lacunes auxquelles il faut remédier. Sur l'aspect positif, la plupart des personnes interrogées ont reconnu la simplification des formalités de création d'entreprises. Ce dernier avantage est particulièrement apprécié par les entrepreneurs de Hô Chi Minh Ville (avec une note moyenne de 5.2), suivis des entreprises de Hai Phong (5,0) et Hanoï (4,8). La communauté des entrepreneurs a aussi hautement apprécié l'efficacité croissante du travail des administrations (5,1 pour Hô Chi Minh Ville, 4,8 pour Hanoï et 3,9 pour Hai Phong).
Un autre aspect de la politique locale est l’ouverture des provinces à l’externe. Cette ouverture est mesurée à partir de ses activités d'exportation ou de ses indices intermédiaires plutôt qu’au regard du nombre de firmes IDE sur son territoire. Quels que soient les critères, l'ouverture de Hô Chi Minh Ville est jugée plus importante que celle de Hanoï et Haiphong. Le taux exportations/PNB de Hô Chi Minh Ville est de 123 % alors qu'il n'est que de 65 % pour Hanoï et de 41 % pour Hai Phong. Concernant les projets d'investissements étrangers, les zones industrielles de Hô Chi Minh Ville enregistraient un taux d'occupation de 71 % en août 2002 (40 % pour Hanoï et 12 % pour Hai Phong). Dans l’étude de Malesky, les provinces dites « développées » ont des résultats d'affaires plus satisfaisants et une ouverture vers les marchés extérieurs plus importante. En revanche, les entreprises situées dans des provinces « en périphérie » ont une faible d'activité d'exportation car elles dépendent beaucoup des entreprises publiques sur le territoire. Il est à noter cependant que l'écart des résultats d'affaires entre les entreprises des provinces « développées » et les entreprises des provinces « en périphérie » s’est récemment réduit considérablement, grâce aux résultats obtenus à Ha Tay et à Hai Phong.
Les provinces développées dans le cadre de cette étude comprennent : Hochiminh-ville, Hanoï, Da Nang, Binh Duong et Dong Nai. Les provinces 'en périphérie' comprennent : Long An, Hai Phong, Thua Thien Huê, Nam Dinh, Ha Tay, Thanh Hoa.
MALESKY Edmund J. (2004), Entrepreneurs on the Periphery: A study of private sector development Beyond the high performing cities and provincies of Vietnam, MPDF Private Sector Discussion Paper No. 18, IFC, The World Bank, Hanoï.
Lors des évacuations de terrains, les indemnités pour les terrains agricoles sont beaucoup moins importantes que pour d'autres types de terrains, ce qui incite les propriétaires à changer d'affectation des terrains agricoles en vue d'un usage non agricole pour en revendre par la suite. Les habitants, paysans dont les sols sont expropriés ne veulent pas recevoir des indemnités correspondant à la valeur des terrains agricoles mais qu'elles avoisinent la valeur réelle sur le marché.
VU Minh Khuong et HAUGHTON J. (2004), The competitiveness of Vietnam’s three largest cities: a survey of firms in Hanoï, Haiphong and Hochiminh city. MPDF Private Sector Discussion Paper No. 17, IFC, The World Bank, Hanoï.
Aux termes de cette étude, la compétitivité de l'environnement d'affaires d'une province dépend: (i) des politiques prises par les autorités provinciales ; (ii) de la législation : un cadre juridique favorable aux entreprises, des formalités simplifiées sont des facteurs importants d'une forte compétitivité ; (iii) de la qualité des infrastructures : elles exercent un impact certain sur la compétitivité des entreprises ; (iv) de ressources humaines qualifiées et à prix raisonnable ; (v) des technologies : l'application de nouvelles technologies dans la production s'avère rentable ; (vi) des sources financières : les entreprises peuvent recourir au financement par des banques ; (vii) de la caractéristique d'ouverture : quand les entreprises s'orientent vers l'extérieur, elles doivent affronter une concurrence plus vive et suivre de nouvelles règles de jeu, ce qui les incite à actualiser leurs technologies de production pour améliorer la qualité des produits ; (viii) de l'assistance venant d'autres domaines : l’existence d’industries complémentaires dans la province contribue à améliorer la compétitivité des entreprises sur le territoire. Développer les industries complémentaires pourrait donner naissance à des groupes d'entreprises qui participent toutes à la production ; (ix) de la concurrence sur le marché domestique : plus les clients sont exigeants plus la compétitivité des entreprises est importante car elles sont obligées d'améliorer la qualité et de réduire le prix de leurs produits pour satisfaire les clients. Cf. VU Minh Khuong et HAUGHTON J. (2004), op. cit pour une discussion plus détaillée.
SMITH Adam (1776, traduction française en 1881, La richesse des nations, Livre 5, p. 200. Collection : Les classiques des sciences sociales.
Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html