La gouvernance locale se caractérisée par la transmission par l’État aux autorités locales du rôle de la gestion, mais aussi par la participation directe d'autres acteurs – dont la société civile – au développement des villages de métier. La gouvernance locale est l'ensemble des institutions qui conduisent des activités et échanges entre des sujets dans un système économique (Crouch C. et al., 2001)348. La gestion se concrétise sous forme de politiques mettant toutes les entreprises sur un pied d'égalité.
Le Bach Duong et Khuat Thu Hong (2008)349 pensent que la société civile vietnamienne prend différentes formes : (i) les organisations de masse, comme l'union des femmes ou l'organisation de la jeunesse, qui sont placées sous la gestion du Front national de la Patrie du Vietnam ; (ii) les associations de métier ; (iii) les groupes d'individus formés au sein de la communauté (groupe de crédit, d'épargne,...) ; (iv) les associations humanitaires et les associations d'aide au développement de la communauté. Parmi toutes ces formes, l'association de métier joue un rôle déterminant dans le développement des activités de production. Il y a actuellement au Vietnam 200 associations de métier dont la fonction essentielle est de représenter les entreprises membres et de protéger leurs intérêts dans leurs relations nationales et internationales (Nguyen Phuong Quynh Trang et al. (2002)350. Ces associations offrent des aides aux entreprises dans divers domaines : la formation, l'assistance technique, l'organisation de foires commerciales, de congrès/conférences, la promotion commerciale... Plusieurs d'entre elles ont réalisé des activités au niveau national pour établir le contact entre les entreprises et le Gouvernement, ce qui permet aux institutions politiques de mieux répondre aux besoins des entreprises. La Chambre de commerce et d'industrie du Vietnam (VCCI) organise une rencontre annuelle entre les cadres de haut rang du Gouvernement (y compris le Premier ministre) et la communauté des entreprises pour discuter avec sincérité des politiques. Quatre à cinq mois avant la rencontre, la VCCI réalise un sondage pour connaître les problèmes qu’affrontent les entreprises. Grâce aux résultats de ce sondage, la VCCI détermine les questions à discuter lors de la rencontre. Les représentants de la VCCI sont aussi autorisés à se présenter aux réunions du Gouvernement portant sur les questions concernant les entreprises, comme la mise en œuvre de la Loi sur les entreprises, ou à participer à l'élaboration des lois sur les relations économiques. Le modèle des rencontres entre les entreprises et des organes exécutifs est repris par les associations lors des rencontres au niveau municipal/provincial. Les associations de métier des grandes villes ont aussi des rencontres périodiques avec les autorités municipales pour discuter des problèmes de leurs entreprises membres.
La formation en 2002 de l'Association de la céramique et de la porcelaine par le Comité populaire municipal de Hanoï marque un pas vers l'avenir pour Bát Trang, pour l’aider à affronter peu à peu les défis qui apparaissent durant le processus du développement industriel. Hoang The Anh (2006)351 décrit comment cette association a aidé les entreprises par l'organisation de conférences, de stages, en se chargeant de la promotion commerciale352 et de leur participation à des foires internationales. Malgré son rôle important dans le développement durable du district industriel de Bát Trang, l'Association n’est pas très efficace dans la réalisation de toutes ses fonctions d'assistance auprès des entreprises. À son actif, les entreprises et les ateliers de production se réunissent maintenant pour se mettre d'accord sur les règles du jeu entre eux afin d'éviter une concurrence imparfaite.
‘Toutes les entreprises ont des avantages depuis la formation de l'Association après la décision du Comité populaire. Premièrement, les entreprises ont souvent l'occasion de se réunir sous la direction de l'Association. Le plus important est qu'elles ne pratiquent plus la concurrence déloyale comme avant. Il y a eu des moments où quand un client se présentait, 3 à 4 entreprises tentaient de lui vendre le même produit, les entreprises devaient alors baisser le prix. Cette situation n'existe plus actuellement. Deuxièmement, les entreprises sont tenues d'échanger des informations via l'Association, elles s'engagent à respecter le principe selon lequel le client d'une entreprise lui est assigné par l'Association. (Entretien N° 30, Firme)’Mais à côté de l'Association, il existe d'autres formes non officielles de coopération, dont le Club du village de métier est un exemple représentatif. Partant de l'idée que l'Association était réservée aux entreprises exportatrices353, plusieurs familles du village ont créé le Club du village de métier et le considèrent comme le pont qui les relie aux administrations locales. C'est ce Club qui a appelé les familles à contribuer à la construction et au développement du marché de la céramique.
‘Au début, pour promouvoir des affaires, Bát Trang a créé l'Association, mais après, comme beaucoup de personnes ont dit que l'Association était disparate et n'était pas pour les gens de Bát Trang, parce que beaucoup d'entreprises dont le propriétaire n'est pas du village sont aussi membres de l'Association. C'est pourquoi la plupart des familles de Bát Trang n'en sont plus membres, elles sont devenues membres du Club du tourisme et des sports du village Bát Trang (appelé le Club de Bát Trang). C'est ce Club qui est le représentant du marché de la céramique du village ancien Bát Trang. ’ ‘Pour le Club de la céramique, 100 % des membres sont originaires de Bát Trang et seuls les gens de Bát Trang ont le droit d'en devenir membres. Quant à l'Association, la plupart des membres sont des entreprises, elles n'ont aucun intérêt pour les habitants. Par exemple, la personne qui est à la tête de l'Association dit qu'elle s'occupe de la gestion de tout le village de métier, mais lorsqu’un contrat est signé, le travail revient aux entreprises et les familles n'ont rien. Mais c'est différent pour le Club, s'il y a des visiteurs qui viennent au marché du village, ils visitent les kiosques du marché et s'ils passent une commande au propriétaire d'un kiosque, c'est la famille qui tient ce kiosque-là qui réalise la commande et pas d'autres familles. Il existe alors une égalité. L'Association n'apporte des contrats qu'aux entreprises bien que sur le plan officiel, elle représente le village. (Entretien N°36, famille)’La création du Club et de l'Association peut en fait s'expliquer par les conflits existant entre les deux villages de Giang Cao et Bát Trang 354. Les personnes originaires de Giang Cao peuvent être membres de l'Association tandis seuls les villageois de Bát Trangpeuvent adhérer au Club. Les habitants pensent que la formation du Club était indispensable : en effet quand l'Association reçoit une commande, elle la passe aux entreprises, et les ateliers familiaux n'en bénéficient pas. Grâce au Club, et au marché de la céramique, chaque famille dispose d’un kiosque au marché, et la clientèle est en contact direct avec les familles.
L'Association n’est pas vraiment efficace dans son rôle, qui laisse à désirer. Comme nous l’avons exposé, les associations de métier jouent un rôle important dans la coordination et la promotion du développement des diverses formes de concentration d'industries, du district au cluster industriel. Dans son étude sur la Vallée de la Silicone, Saxenian (1992)355 a présenté deux formes d'association commerciale : l'une est établie dans le but d'assurer la position du cluster industriel en sollicitant des politiques favorables auprès des administrations de l’État alors que l'autre encourage la flexibilité des entreprises par la prestation de services publics. Porter (1998) affirme que les associations commerciales fonctionnent comme des forums d'échanges d'information et d'expérience entre les entreprises et les administrations. Il s'agit aussi d'une association coordinatrice des actions collectives, qui se charge du développement des relations avec les établissements de recherche et de formation et avec les autorités locales. Dang Thi Lan (2003)356 pense que, pour le Vietnam en général, la formation d’associations dans les villages de métier est particulièrement importante pour garantir une qualité homogène des produits, développer un label commun et trouver de nouveaux marchés. Ce sont des objectifs que les associations n'arrivent pas encore à atteindre, faute de ressources financières et humaines. Dans le cas de Bát Trangen particulier, malgré l’existence d'un plan d'action détaillé qui couvre presque toutes les questions importantes de la promotion commerciale, l'Association n'a pas assumé son rôle de façon efficace. Les entreprises affirment que l'Association n’assure pas la transmission de leurs demandes aux administrations locales, or elles ont du mal à le faire toutes seules.
‘Il faut tout un groupe, toute une association pour soumettre des demandes, un individu ne peut pas le faire. On ne peut pas non plus se réunir, c'est à la commune d'organiser des réunions. Les administrations le proposent, la commune organise ensuite des réunions avec les autorités communales, et puis des réunions avec les hameaux, elle invite par la suite la participation des entreprises. Ceci nécessite un comité d'organisation, ou bien l'Association organise des réunions, elle propose des demandes à soumettre aux administrations locales auxquelles participent les entreprises. Les entreprises elles-mêmes ne peuvent par proposer des demandes. L'Association existe, elle a des responsables (Entretien N°47, Firme)’ ‘Les demandes, c'est difficile. Etant entreprises depuis longtemps, nous avons beaucoup de demandes mais pour obtenir des réponses, il faut plusieurs personnes. Nous avons beaucoup de demandes mais ce que nous voulons maintenant c'est avoir une réunion des membres de l'Association, des entreprises, pour arriver à des demandes communes (Entretien N°10, Firme)’Un autre problème récurrent est que les entreprises ont besoin d’informations sur le marché et le client. L'offre et le marketing des produits réalisés par l'Association sont peu appréciés. Les informations sur les nouvelles technologies ou sur la tendance du marché, notamment, sont toujours insuffisantes bien que la mission de fournir des informations aux entreprises soit clairement déterminée dans les règlements de l'Association.
‘Avant on était passif, le client nous demandait un modèle, nous réalisions ce modèle-là, mais maintenant nous créons nos nouveaux modèles et les présentons en ligne ou directement aux clients. Les clients nous joignent par ces canaux et une entreprise ne peut le faire toute seule. Il y aurait dû avoir un centre de promotion commerciale où on pourrait réunir des informations venant d'ailleurs et nous mettre au courant et en même temps présenter ce que nous avons pour mettre ensemble, mais tout cela se trouve au niveau macro, qu'une petite entreprise ou des particuliers n'en sont pas en mesure de réaliser (Entretien N°13, Firme)’Pourtant l'Association pourrait guider les entreprises dans l'intégration internationale, une notion qui reste encore vague pour les entreprises. Sur ce point il convient de souligner un élément encourageant : le Gouvernement rendra public ses engagements quand il aura terminé ses tours de négociation bilatérale et multilatérale. Mais pour que les petites et moyennes entreprises puissent avoir des informations sur ces engagements de l’État et puissent les comprendre, nous pensons qu’il faut mettre en place des séances de travail : au cours de ces séances, ces engagements leur seraient expliqués et les questions posées par les entreprises obtiendraient des réponses, ce qui éviterait aux entreprises de « tâter le chemin » car un faux pas coûte cher sur le marché.
‘On est en train de tâter comme un malvoyant tâte le chemin car notre niveau n'atteint pas encore celui des autres pays. De plus, notre dynamique n'est pas la leur, ce qui fait que nous pouvons trouver des marchés pour nos produits mais que nous n'arrivons pas à répondre aux exigences des clients. Et il y a l'adhésion future de notre pays à l’OMC357, même vous qui lisez souvent des journaux, vous ne comprenez pas bien le marché du libre échange. Nous sommes inquiets, mais c'est l'inquiétude de voir notre pays devenir membre de cette organisation, nous devons nous préparer mais nous préparer dans la fumée et ne savons pas quel chemin suivre. Nous savons qu'il y a du feu devant nous mais comment il est, grand ou petit, chaud ou tiède, nous n'en savons rien. (Entretien N°13, Firme)’Or aujourd’hui, les associations ne fonctionnent pas toutes bien, notamment en milieu rural. Leurs activités concernant l'organisation de formations de courte durée et la transmission d’informations sur les politiques concernant les activités des entreprises membres sont efficaces. Cependant, la plupart des associations sont incompétentes en matière d'assistance technique ou pour donner des informations sur les marchés domestique et étranger. Evaluant l'efficacité des associations, les entrepreneurs pensent que le bénéfice majeur est la plate-forme où ils peuvent échanger des informations, mais ils ne voient pas clairement les autres intérêts. C'est un des facteurs qui influence la décision des entreprises – notamment des PME – de participer aux associations358.
En réalité, l’efficacité du fonctionnement de nombreuses associations est affectée par différentes contraintes. D'abord les contraintes financières : les associations ont du mal à développer leurs activités faute d'argent. À l'exception de la VCCI, les associations de métier ne reçoivent pas d'argent du Gouvernement, et la perception des frais engagés pour des prestations de services au bénéfice des entreprises membres est très difficile. La plus grande partie des ressources financières – dont dépend l'existence des associations – sont tirées des cotisations des membres, et le montant de cette cotisation est plus élevé pour les associations de taille importante. La VCCI, par exemple, peut recevoir d'une grande entreprise 20 à 30 millions de VND par an, tandis qu’une petite entreprise ne verse que 200 000 VND. (Nguyen Phuong Quynh Trang et al., 2002)
Les associations peuvent aussi recourir à des aides extérieures (par exemple grâce aux projets financés par les ONG) mais ces ressources ne sont pas toujours régulières et disponibles. Seul un petit nombre de grandes associations y ont accès.
Les activités des associations sont enfin limitées par l’insuffisance de ressources humaines compétentes et qualifiées. Si la VCCI dispose d'un personnel complet et fonctionnel (déterminé par le Gouvernement) pour son service financier, les petites associations au niveau inférieur ont un pouvoir d'action limité. Elles ont rarement un personnel travaillant à plein-temps : le plus souvent elles recourent à des personnes employées ailleurs qui cumulent les tâches professionnelles et associatives. Ces personnes ne sont donc pas vraiment dévouées au travail dans les associations, et elles manquent des compétences nécessaires pour gérer et développer ces associations.
Bref, à l'exception de quelques grandes associations qui ont pu créer de véritables terrains de jeu pour les entreprises membres et entretenir des relations efficaces avec les administrations, les autres (y compris l'Association de la céramique de Bát Trang) manifestent encore les faiblesses dans leurs activités et ne peuvent pas valoriser leur rôle. Ces associations ne sont pas, à l’évidence, en mesure d'améliorer leurs compétences par elles-mêmes, alors qu'il est important qu’elles le fassent. Le Gouvernement devra construire un cadre juridique pour que les associations participent davantage à la détermination des politiques et apportent de meilleurs services aux entreprises.
Crouch C. et al. (2001), op. cit.
LE Bach Duong and KHUAT Thu Hong (2008), “The third governance in Vietnam”, in HASAN S., Comparative Third Sector Governance in Asia: Structure, Process, and Political Economy , Springer Sciences + Business Media LLC. p. 309-323
Nguyen Phuong Quynh Trang, Jonathan S., et. al. (2002). Business Associations in Vietnam: Status, Roles and Performance, MPDFPrivate Sector Discussions No.13. MPDF and The Asia Foundation. Hanoï:
HOANG The Anh (2006), “Vai trò tổ chức xã hội trong phát triển kinh tế: Hiệp hội gốm sứ Phong Khê (Trung Quốc) và Hội gốm sứ Bát Tràng (Việt Nam)” [Le rôle de l’association dans le développement économique: Association de la céramique de Fengxi (Chine) et Association de la céramique de Bát Trang (Vietnam)],Nghiên cứu Trung Quốc, Số 3(67).
En 2004, la MPDF (Mekong Private Development Facility) a financé le projet de création de l'Association de la céramique et porcelaine ; le montant des capitaux pour les 3 premières années était de 150.000 USD. Ce financement a permis à Bát Trang de construire le Centre pour la promotion de l'exportation des produits en céramique et porcelaine : ce Centre, qui a commencé ses activités en juin 2004, a aidé les entreprises et les ateliers familiaux à présenter et à vendre leurs produits en ligne. La gestion de ce Centre relevait de l'Association de la céramique et porcelaine de Bát Trang. Durant les 3 premières années, la MPDF a apporté son assistance technique pour la réalisation et la publicité en ligne. Puis le Centre est a été transféré à l'Association de la céramique et porcelaine de Bát Trang.
Les statuts de l'Association prévoient que les entreprises, les coopératives et les familles peuvent adhérer. Mais en réalité, peu de familles en sont membres, notamment celles qui n’ont pas de produits destinés à l'exportation.
Rappelons que les deux villages de Giang Cao et Bát Trang forment la commune de Bát Trang. Nous reviendrons sur ce conflit dans un autre chapitre.
SAXENIAN Anna Lee (1992), "Divergent Patterns of Business Organization in Silicon Valley" in A. Scott and M. Storper (eds). Pathways to Industrialization and Regional Development in the 1990s.New York: Allen & Unwin.
Dang Thi Lan (2003), “Vai trò của hiệp hội đối với doanh nghiệp chế biến nông sản thực phẩm nhỏ và vừa ở Việt Nam” [Rôles des association pour les PME de transformation alimentaire au Vietnam], Revue Questions de l’économie internationale, No. 11 (91).
Au moment de cet entretien, le Vietnam n’avait pas encore adhéré à l'OMC. En effet, le Vietnam est devenu le 150e membre de cette organisation le 11 janvier 2007.
Les entreprises participant aux associations ont un profil : de taille relativement importante (en capital et en effectif), ce sont des entreprises de production ayant des activités d'exportation et créées depuis au moins 10 ans (cf. Nguyen Phuong Quynh Trang et Stromseth J. R. op. cit. p. 29–31).