1. Marché et compétition

1.1 Le marché

L’observation de l'évolution du marché permet de constater que le rôle et la position des métiers artisanaux ont fait l’objet de changements significatifs. Auparavant considérés comme des métiers secondaires (par rapport aux activités agricoles), ils constituent actuellement les principales sources de revenu des familles. Pour Nguyen Khac Tung et Bui Xuan Dinh (1993)370 la naissance et le développement des métiers secondaires dans la société traditionnelle vietnamienne se base sur quatre éléments. Premièrement, la plupart des travailleurs participaient à la production agricole en se servant d’outils de travail rudimentaire. En l’absence d’un secteur de production pouvant les fournir, les agriculteurs devaient créer eux-mêmes ces outils et c’est ainsi que cette activité est devenue un métier secondaire. Deuxièmement, la production agricole ne pouvait pas répondre aux divers besoins des Vietnamiens. Si les besoins en nourriture des familles étaient assurés grâce à la production agricole371 ceux en biens de consommation (vêtements, rénovation des maisons, soins médicaux…) dépendaient totalement des revenus complémentaires des familles provenant de métiers secondaires. Troisièmement, les produits agricoles, sous un climat tropical, doivent être consommés très rapidement après la récolte ou subir des procédés de conservation : d’où le développement des métiers secondaires concernant le traitement et la transformation des produits agricoles. Quatrièmement, la période entre deux récoltes laisse du temps libre aux agriculteurs, ouvrant une voie pour le développement des métiers secondaires.

Ces dernières années, surtout après la mise en place de la politique de Doi Moi, de nombreuses activités de production artisanale ont contribué de façon importante à l'amélioration des conditions de vie des habitants : elles deviennent progressivement la source de revenu principale des familles. Selon Tran Minh Yen (2004)372, la production artisanale a vu le jour afin de répondre aux seuls besoins de la production agricole au sein d'un village, mais avec la spécialisation du travail, la productivité et la qualité des produits se sont améliorés, et la production artisanale a permis aux agriculteurs de subvenir à leurs propres besoins mais aussi répondre aux besoins du marché externe (hors du village). Pour de nombreuses localités, dont Bát Trang, la production artisanale a fait peau neuve : elle a pris la première place primordiale et elle est devenue la source de revenus principale des localités. Le revenu des personnes exerçant des activités non agricoles est de trois à quatre fois plus élevé que celui des travailleurs n'ayant que des activités purement agricoles. L'auteur estime que le pourcentage de familles pauvres dans les zones où les métiers non agricoles sont développés n'est que de 3,7 %. Ce chiffre est beaucoup moins important que la moyenne nationale (10,4 %)373.

Les orientations du développement de Bát Trangsont très différentes de celles des autres localités car ses habitants ne disposent que de peu de terres agricoles. Et dans les faits, même les familles ayant des terres agricoles ne pratiquent pas l’agriculture : elles sous-traitent souvent le travail à d'autres familles. Le processus de développement du village de Giang Cao (l'un des deux villages formant la commune de Bát Trang) constitue une démonstration de cette situation. Giang Cao était initialement un village de production agricole mais aujourd’hui la terre destinée à cette activité est rare, la plupart des terres étant destinées à la production et à la commercialisation des produits céramiques, ou à des activités connexes374. Les changements dans la logique de production des artisans et des fabricants des villages de métier apparaissent dans les résultats de la recherche menée par le MARD et le JICA en 2004375. En nous basant sur une base de données de plus de 2 000 villages de métier, nous avons choisi 59 villages ayant des activités de production et de commercialisation des produits céramiques. Les analyses montrent que 94,9 % des villages vendaient leurs produits et que seuls 5,1 % des villages produisaient pour répondre à leurs propres besoins.

Dans leurs conclusions sur le développement du marché et les objectifs de la production artisanale, le JICA et le MARD (2004) exposent un processus en trois étapes. Pendant la première période, jusqu’au début du XXe siècle, la production avait pour but principal de parvenir aux besoins des fabricants eux-mêmes. Pendant la période suivante, les produits artisanaux ont fait l’objet d’une demande importante sur le marché domestique et étranger : ils étaient exportés en ex-Union Soviétique et vers certains pays du bloc socialiste. Dans la dernière période, depuis les années 1990, les produits artisanaux sont destinés à la consommation intérieure mais aussi à l'exportation, notamment les produits artisanaux d'art. Le tableau suivant offre une vue globale de ce développement.

Tableau 5.1 Les étapes du développement de la production artisanale
Etape But majeur de la production agricole Usagers principaux
De la naissance du pays au début du XXe siècle Les produits fabriqués étaient des outils de travail, des objets de la vie quotidienne ; une partie des produits était destinée aux fêtes ou offerte aux personnes au pouvoir. Les fabricants eux-mêmes, la Cour royale et les fêtes (produits spécifiques).
Du début du XXe siècle à la fin du XXe siècle (années 90) Les produits fabriqués étaientdes objets de la vie quotidienne ou destinés à des échanges avec l'ex-Union Soviétique et des pays socialistes. L'ex-Union Soviétique et les pays socialistes.
Une partie des produits est exportée en France et d'autres marchés étrangers.
Depuis la fin du XXe siècle Les produits fabriqués sont des marchandises destinées à l'exportation ou des souvenirs pour les touristes étrangers. Les marchés étrangers (environ 50 pays), le marché domestique.

Source : JICA et MARD (2004)

Aujourd'hui les produits artisanaux sont vendus à la fois sur le marché domestique et les marchés étrangers376. À Bát Trang, outre ces canaux de distribution, le marché de la céramique du village contribue de façon considérable à la vente des produits. La construction du marché de la céramique de Bát Trang est un effort figurant parmi d'autres pour multiplier les possibilités de commercialisation des produits céramiques. Auparavant, les échanges commerciaux se caractérisaient par leur spontanéité : les clients cherchaient à être en contact direct avec les fabricants, ce qui a limitait le nombre de clients et ne permettait pas aux fabricants d'avoir des échanges avec le monde extérieur. La naissance de ce marché local a intensifié les échanges commerciaux et aussi mis en valeur le village vis-à-vis des opérateurs touristiques.

Notes
370.

NGUYEN Khac Tung et BUI Xuan Dinh (1993), « Les métiers d’appoint de la famille du paysanne du Vietnam », in Le village traditionnel au Vietnam, THEGIOI en langues étrangères, Hanoï. pp.396-402.

371.

Une des valeurs importante des familles dans la société traditionnelle était de pouvoir « nourrir tous leurs membres ». Cette valeur était d'autant plus significative que la production agricole est dépendante des conditions climatiques. Avoir suffisamment de nourriture toute l'année se plaçait au premier rang des préoccupations des familles.

372.

Tran Minh Yen (2004), op. cit.

373.

Les estimations ont été réalisées sur la base du seuil de la pauvreté de la période 2001–2005 : revenu mensuel de 80 000 VND/personne pour les régions montagneuses, de 100 000 VND/personne pour les zones rurales et de 150 000 VND/personne pour les zones urbaines.

374.

L'information a été analysée à partir de l'entretien avec le Vice-président de l'Association de la céramique de Bát Trang dans le cadre de notre mission dans cette commune.

375.

Ibid.

376.

Certaines informations relatives aux marchés des produits de Bát Trang ont été abordées dans le chapitre 'Organisation du district'.