2.2.2.2. L’interaction comme source de l’innovation

Il est indéniable que le Doi Moi a offert à Bát Trangde belles opportunités, leur permettant en particulier de renforcer leur interaction avec le monde extérieur. Les producteurs ont maintenant la chance de présenter des produits céramiques dans les foires, expositions nationales et internationales, ce qui était très rare au cours des années d’économie planifiée. Et les bénéficiaires de ces opportunités sont maintenant des entreprises privées et non plus seulement des entreprises publiques. Les associations, comme l'Alliance des coopératives vietnamienne ou la Chambre vietnamienne de l’industrie et du commerce, jouent ici un rôle très important. Elles constituent un point focal reliant les firmes aux organisateurs des expositions. Il faut noter que les entreprises de villages de métiers bénéficient également d’aides pour participer à ces événements.

‘Le Renouveau, si je ne me trompe pas, c'est vers des années 85, 86. Avant cette date, il n'y avait aucun événement appelé l'exposition des produits céramiques ou une foire quelconque. Mais depuis le Renouveau, l'économie de marché offre des conditions pour faire la publicité des produits. Une exposition, une foire n'est en fait qu'un endroit où on peut faire de la publicité, du marketing des produits. Mais on doit aussi aborder la question financière parce que la location des stands coûte cher mais les fabricants n'en sont pas encore vraiment conscients. Comme les gérants de ce marché, ils doivent parfois prendre leur propre argent pour encourager les fabricants à exposer leurs produits, c'est dans l'intérêt commun de tout le village. (Entretien N° 13, Firme)’ ‘Je veux présenter mes produits à une exposition, mettre mes produits en concurrence avec des produits chinois et des pays différents; je veux présenter aux clients les modèles que je crée moi-même, s'ils intéressent les clients, je vais les fabriquer. (Entretien N° 16, Famille)’

Les expositions, les foires sont hautement appréciées par les producteurs car elles leur apportent des intérêts économiques mais également de nouveaux idées sur les produits, les modèles, les stratégies de marketing, l’information sur le marché… Elles constituent par conséquent une source importante d'information permettant aux entreprises de diversifier leurs produits de façon à mieux répondre aux tendances du marché international.

De plus, les entreprises de Bát Trangcherchent aussi à coopérer avec celles des autres villages afin d'absorber desinitiatives externes. Cette coopération forme aussi une autre piste d'échange d’informations entre les villages de métier. Ils peuvent échanger des techniques de fabrication ou de bons procédés.

‘Je connais plusieurs villages de fabrication des produits céramiques comme Chu Dau, Phu Lang, Son La, j'y suis déjà venu pour aider les gens là-bas. Les techniques des villages où je suis allé, j'observe les gens travailler et je sais comment ils font. Ils gens viennent aussi me chercher pour des échanges techniques parce que Bát Trang est connu pour sa longue histoire dans ce métier, il y a des techniques de production que seuls les gens à Bát Trang connaissent. Les gens d'ailleurs veulent aussi apprendre les techniques de Bát Trang. J'ai aidé les gens à Son La à évaluer des matières premières, là-bas, ils veulent aussi développer ce métier mais les matières premières qu'ils ont ne sont pas de bonne qualité, ils utilisent de plus des fours artisanaux. J'ai même fait cuire leurs produits dans mes fours pour leur montrer que la qualité de leurs produits ne peut qu'atteindre ce niveau. Je les aide à la demande du Comité populaire de la province. (Entretien N° 42, Firme)’ ‘Quand les clients ont besoin de produits variés, nous allons les aider parce qu'ils n'achètent pas en grande quantité, par exemple, ils veulent acheter des produits céramiques de Phu Lang et des produits artisanaux en bambou et rotin, mais comme ils ne peuvent pas se déplacer beaucoup, ils peuvent prendre des produits à un seul endroit, ils nous demandent de les aider pour ensuite les envoyer en une seule fois en container... En général, les villages de métier maintiennent entre eux des relations étroites, chacun devient un maillon de la chaîne des échanges. Par exemple, je vends des produits céramiques, vous vendez des produits en rotin, s'il y a un client qui achète les deux types de produits, je vais l'assister, c'est la relation entre des villages de métier. (Entretien N° 10, Firme)’

L'échange des informations et connaissances permettrait Bát Trangd'amplifier son influence dans les localités qui souhaitent développer l'industrie de la céramique. Un tel échange pourrait résulter d’une industrialisation diffuse comme dans d’autres villages de métier. Prenons le cas de Dong Ky : la fabrication de meubles artistiques est si développée qu'elle dépasse actuellement les frontières géographiques de ce village. Les gens peuvent pratiquer ce métier ailleurs en utilisant les compétences acquises dans leur village natal430.

Bien que ce soit encore peu clair, nous avons perçu des signes montrant que les entreprises et ateliers de production à Bát Trangcommencent à se concentrer sur les relations avec des universités et centres de recherche. Les activités de R&D jouent un rôle très important dans la diversification et l'amélioration de la qualité des produits. Les activités d'innovation que réalisent actuellement les entreprises ne mènent qu’à des changements graduels, alors que des changements brusques sont parfois nécessaires dans la stratégie de concurrence. À notre avis, une coopération intensive entre les villages de métier et les universités, les centres de R&D, contribuera à esquisser une solution à cette situation.

‘Créer de nouveaux émaux, par l'intermédiaire des universités comme l'Ecole Polytechnique de Hanoï ou l'Université nationale des sciences naturelles, les enseignants, les professeurs à la faculté de silicate peuvent nous aider dans une certaine mesure. Mais les professeurs ne maîtrisent que les connaissances magistrales qu’ils enseignent, ils maîtrisent bien les formules mais de la formule au produit, c'est une autre chose, ce n'est pas si simple. J'en ai déjà l'expérience, un professeur nous a donné la formule, j'ai fait le mélange, calculé la température du four, les conditions climatiques, il faut tout ça pour avoir des produits comme il faut. (Entretien N° 18, Famille)’

Pourtant, cette coopération reste surtout une relation individuelle. Une entreprise, seule, a du mal à établir des contacts avec des universités. D'un point de vue global, si chaque entreprise cherche à réaliser séparément des activités coopératives, il y aura un gaspillage important. Nous pensons que cela mérite d’intervention des associations, qui peuvent faciliter l'accès à l’information de leurs membres.

‘Comme l'université est un établissement, nous ne pouvons pas y aller pour demander une aide, on ne peut le faire que dans le cadre des relations personnelles, avec les professeurs. Certains professeurs de Hanoï sont venus ici, mais c'est par l'intermédiaire des administrations ou de l'association qui organise des formations sur la création des émaux, c'est mieux comme ça parce que nous, les individus, nous ne pouvons pas le faire nous-mêmes. La coopération entre individus reste une coopération isolée, éparpillée, elle ne peut pas favoriser le développement du village. Chacun a sa clef du métier, on a alors besoin de beaucoup d'aide. Les professeurs peuvent renseigner une ou deux personnes, ils ne peuvent pas renseigner tout le monde. (Entretien N° 18, Famille)’

Etant conscient de cette situation, la VNCI (2003) a accordé une attention particulière au renforcement de cette coopération en analysant la compétitivité de Bát Trang. Dans le cadre de son projet, la VNCI a entamé les premiers pas pour contacter des universités – dont l'Université des Beaux-Arts industriels et l'Ecole Polytechnique de Hanoï. Ces deux universités ont accepté de participer au projet. Certaines universités américaines spécialisées font partie de ce projet. Les entreprises de Bát Trangn'ont pourtant pas cité les activités relatives à ce projet lors des entretiens de notre enquête. Et la page web www.vnci.org n'a pas été mise à jour. Il semble que la relation coopérative entre les universités et Bát Trangest tombée dans l'oubli dès son démarrage.

Notes
430.

Le journal électronique Dan Tri (www.dantri.com.vn) a publié le 3 août 2008 un article sur une entreprise de fabrication de meubles d'art à Quang Tri qui a eu beaucoup de succès tant sur le plan économique que social (elle a créé un grand nombre d'emplois pour les personnes handicapées dans la province). L'entrepreneur est un homme originaire de Dong Ky, il a créé un atelier de fabrication dans son village mais sans succès. Lorsqu’il s’est installé à Quang Tri, il a profité des ressources naturelles (des matières premières abondantes) et mis en valeur ses compétences professionnelles, son expérience dans le métier.