2.2.2.3 La spécialisation comme source de l’innovation

Parmi les formes existantes d'innovation à Bát Trang, nous avons beaucoup apprécié les activités de renouvellement des produits dans les ateliers. De nouvelles gammes de produits peuvent avoir des caractéristiques particulières et une forte valeur artistique. Mais ce n’est pas toujours le cas : seuls les ateliers ayant des ressources humaines adéquates (des artistes par exemple) peuvent réaliser cette innovation. Plusieurs ateliers ont entamé des recherches pour restaurer et récréer des produits céramiques anciens. Pour ce faire, les artisans cherchent à identifier des œuvres, des objets, des couleurs d'émail qui existaient à l'époque féodale et à les dupliquer.

‘Dès mon retour au village, j'ai construit un four, et l'idée de créer des produits d'art était déjà dans ma tête. C'est en exerçant le métier d'art que je trouve des choses intéressantes qui datent de temps anciens, créées par nos ancêtres dans le passé. C'est pourquoi, j'ai décidé de me tourner vers la céramique ancienne, la céramique de périodes très anciennes. (Entretien filmé No. 17)’

Cette gamme de produits, qui affichent des traits culturels traditionnels, est particulièrement originale. Pourtant, le marché des produits reste limité et la capacité de production est très restreinte. De plus, l'accès à des produits d'origine n'est pas non plus facile. Aujourd'hui, les artisans de Bát Trangmobilisent principalement leurs relations personnelles avec les musées, les collectionneurs d'objets d'art antiques pour accéder aux objets d'origine.

‘Je dois rencontrer le directeur des musées ou le directeur de l'Ecole des Beaux-Arts, je les connais tous. Je les consulte pour voir si un produit fabriqué est satisfait, si l'émail est de la qualité garantie. Ils me font des remarques grâce auxquelles je continue à faire des efforts, à améliorer le produit. Je dois demander aussi l'avis des experts, des collectionneurs d'objets antiques, ils examinent la qualité du produit. Ou bien j’achète de vrais objets antiques pour comparer, voir si le produit fabriqué ressemble au produit d'origine. Mais tout cela, c'est grâce à mes relations personnelles, je demande à mes connaissances d'évaluer la qualité de mes produits. (Entretien N° 26, Famille)’

Il faut souligner que la fabrication de ce type de produits n'est pas facile. Elle demande à l'artiste une passion énorme et aussi une maîtrise technique. Contrairement aux produits de consommation, les œuvres de céramique « à l’ancienne » ont du mal à trouver leurs clients. Les producteurs reconnaissent que cette production sera mieux réalisée avec la participation des instituts de recherche, des grandes entreprises. Ce que ces producteurs font actuellement reste spontané et dépend majoritairement de leur goût personnel.

‘En fait, le travail que je fais maintenant, il aurait dû être fait par un institut de recherche ou une entreprise qui peut investir. Mais je le fais moi-même, je me nourris et je me dis que je fais tout ça pour moi-même, et non pas comme le travail d'un institut de recherche en Chine. Quand je raconte ce que je fais, les personnes sont surprises et me demandent comment je peux le faire. En effet, toutes ces couleurs d'émaux se trouvent juste devant nos yeux, ce n'est pas quelque chose d'étrange qui est loin de nous. Si nous trouvions la réponse à ce problème, une motte de terre serait certainement un galon d'or. (Entretien filmé No. 17)’

Parallèlement à ces producteurs qui tentent de faire revivre la céramique ancienne, d'autres producteurs développent des gammes de produits en combinant la céramique et une autre branche artistique comme la sculpture, la peinture et même la sculpture de statues. De nombreuses entreprises ont investi leur temps et leur argent dans la transformation de peintures en œuvres de céramique. Pourtant, comme la tendance précédemment mentionnée, les produits de cette gamme trouvent difficilement leurs clients et ils ne peuvent faire l’objet d’une production de masse.

‘Par exemple, personne ne pense que ce tableau soit en céramique. Autrefois le papier était le support unique de la peinture, maintenant nous avons des tableaux gravés sur bois, des tableaux en céramique. On se sert des applications des beaux-arts. Ou bien pour les bijoux, souvent le support est l'or, l'argent, la pierre précieuse, le métal, personne ne pense qu'on puisse fabriquer des bijoux dont le support est en céramique. (Entretien N° 13, Firme)’

Si les artisans de Bát Trang s’inspirent d’autres arts et ilsintensifient également leur coopération avec d'autres villages de métier afin de créer de nouvelles combinaisons (céramique et produits en bambou et rotin). Ce phénomène a donné naissance aux relations inter-villages, interentreprises que nous avons abordées dans la partie précédente. Cette tendance vient de demandes sur le marché des exportations : les distributeurs internationaux font parvenir leur commande aux entreprises vietnamiennes.

‘Il y a une autre tendance, c'est que le marché européen demande des produits dont les parties sont des combinaisons entre céramique et bambou ou rotin, céramique et laque, céramique et métal. Des pots, des vases de cette sorte, nous en fabriquons beaucoup pour en exporter en Europe, aux États-Unis. Les produits fabriqués sont de grande taille, nous ne fabriquons pas des produits sophistiqués comme des produits chinois. Nous fabriquons des pots et des vases dont la taille est très grande et qui sont laqués, c'est-à-dire nous améliorons des produits par combinaison des matières. (Entretien N° 21, Famille)’ ‘Il y a quelque chose qui est déjà saturé sur le marché, [par exemple] la saturation des couleurs de l’émail mais le nombre de produits combinés entre céramique et bambou/rotin, entre céramique et laque s'est accru brusquement. Mais ces types de produits, les ateliers de production ici ne sont pas en mesure de les faire. La céramique passe actuellement à une autre période. (Entretien N° 25, Firme)’ ‘…coopérer avec une ou deux autres entreprises dans des domaines différents, faire des produits finis dans le domaine de fabrication des produits en bambou/rotin, nous fabriquons des produits céramiques, on coopère pour avoir des produits finis. Par exemple, chaque fois qu’on a des produits combinés, on coopère avec elles. (Entretien N° 10, Firme)’

Les témoignages cités ci-dessus confirment que, outre les produits de consommation courante, Bát Trangest tout à fait capable de s'adapter à la nouvelle situation, de gagner sur la concurrence grâce à des produits spécialisés, comblant des niches du marché petites, mais très variés. De plus, les produits spécialisés créent une certaine marge de liberté, ils permettent aux artisans d'exprimer librement leurs idées. Ces facteurs permettent de créer un environnement de travail qui valorise la créativité des artisans. Pourtant, il existe une grande instabilité en termes de marché pour ces produits. Les ateliers, les entreprises et les foyers doivent trouver une stratégie de développement appropriée en fonction de leur capacité (personnel et technique).