1.2 Le capital social comme atout pour une bonne intégration au district

Le capital social constitue un objet de recherche important de la sociologie. Il a été étudié par de nombreux auteurs, dont Pierre Bourdieu, James Coleman et Robert Putnam. Les définitions dans les recherches récemment réalisées se réfèrent souvent à Coleman et Putnam, mais c'est Bourdieu qui a jeté la première base pour l’analyse de cette notion. Selon Bourdieu, le capital social « est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées »445. Cette définition est ensuite complétée par des éléments base de l'organisation sociale comme « la confiance », « les normes » et « es réseaux ». Les sujets se servent de ces éléments pour améliorer leur adaptabilité dans une situation déterminée446. Le rôle du capital social dans le fonctionnement des PME est étudié depuis longtemps. Les actions des agents économiques résident dans les relations sociales, celles qui facilitent et contraignent le bénéfice des agents (Granovetter 1985).

Le capital social a des effets positifs sur la performance des firmes (Baker 1990)447, l'innovation du produit (Tsai et Ghoshal, 1998)448 et la formation du réseau industriel (Walker et al. 1997)449.De même, le capital social apporterait aux individus l’emploi et la carrière professionnelle (Lin et al. 1981 ; Marsden et Hurlbert, 1988)450, la croissance du pouvoir des individus (Krackhardt 1990)451 et l’efficacité de la gestion (Galunic et Moran 1999)452. Dans son étude de 1980, Ouchi conclut que les relations économiques sont sous-entendues dans les relations sociales toutes faites (nationales, familiales) ou acquises (apprentissage, travail et relations de voisinage)453. Powel (1990)454 affirme que l’association des rapports économiques et des rapports sociaux donne naissance à une nouvelle forme d’organisation, de réseau et une nouvelle capacité concurrentielle des PME. Les analyses sur les réseaux personnels des entrepreneurs indiquent qu’ils cherchent constamment de l'information, du conseil et de l'appui social auprès de leurs amis (Aldrich et Zimmer 1986;Birley 1985; Nohria 1992)455, l’accès au capital financier (Shane et Cable 2002;Uzzi 1999)456. Cependant, il existe des évidences empiriques montrant que le capital social a un aspect négatif : les rapports étroitement commandés renforcent les engagements et les espérances sociaux qui limitent la liberté d'agents économiques à identifier et exploiter de nouvelles occasions (Light et Isralowitz 1997;Podolny et Baron 1997 ; etUzzi 1997)457.

Ayant les caractéristiques d'un district industriel, les villages de métier au Vietnam se trouvent cependant pour la plupart dans des zones rurales couvertes de réseaux de relations de famille et de voisinage. La notion de capital social couvre alors également toutes les relations dont se servent des individus dans le cadre de leurs activités, ce qui explique son importance considérable pour les villages de métier. Mutz (2002)458 a procédé à une combinaison des conceptions de Bourdieu et de Putman pour définir trois formes de capital social :

  • Le linking social capital recouvre des réseaux avec des personnes au niveau plus haut dans l’échelle hiérarchique. Ce peut être par exemple de bons contacts au sein de l'administration nationale. Ce type de capital social aide les entrepreneurs qui commencent des affaires. De tels contacts, s'ils résultent de l'ancien emploi dans l'administration d'État ou s'ils ont été établis à l'extérieur en cultivant un rapport spécial, ont une influence substantielle surle lancement des entreprises.Le capital social aide à passer toutes les procédures bureaucratiques difficiles.
  • Le bonding social capital évoque la relation entre amis, entre membres de la famille. Chacun est l’hériter des relations existantes de leur famille. La relation sociale est également influencée par le milieu d’origine des parents. Le réseau social fonctionne comme un des mécanismes d’entraide parmi des individus. Lorsqu’on a des problèmes à résoudre, la mobilisation du réseau social est indispensable.
  • Le bridging social capital évoque la gestion de réseau avec des personnes différentes mais travaillant dans le même domaine. Dans la sphère économique, il peut s’agir des clubs ou des associations.Puisque telles organisations restent limitées – même dans les deux métropoles – ce type de capital social est plutôt récent au Vietnam.

Notes
445.

BOURDIEU P. (1980), Le capital social, Actes de la recherche en science sociale, Numéro 31. p. 3-5.

446.

PUTNAM Robert (1993), Making Democracy Work : civic tradition in modern Italy, Princeton NJ: Princeton University Press.

447.

BAKER, W. (1990), ‘Market networks and corporate behavior’. American Journal of Sociology 96/3: 589–625.

448.

TSAI, W., and GHOSHAL, S. (1998). "Social capital and value creation : The role of intrafirm networks". Academy of Management Journal, vol.41, p. 464-478.

449.

WALKER, G. et al. (1997), ‘Social capital, structural holes, and the formation of an industry network’. Organization Science 8/2: 109–125.

450.

MARSDEN, Peter V. and HURLBERT Jeanne S.. (1988). “Social Resources and Mobility Outcomes: A Replication and Extension.” Social Forces 66: 1038-1059;Lin, N. et al. (1981), ‘Social resources and occupational status attainment’. Social Forces, 59/4: 1163–81.

451.

KRACKHARDT D. (1990), “Assessing the Political Landscape: Structure, Cognition, and Power in Organizations." Administrative Science Quarterly, 35: 342-369.

452.

GALUNIC C., and MORGAN P. (1999), ‘Social capital and productive exchange: Structural and relational embeddedness and managerial performance link’, Proceedings of the Academy of Management Meetings, Chicago.

453.

OUCHI W.G, (1980), “Markets, bureaucraties and clans”, Administrative Sciences Quarterly, 25, 129-141.

454.

POWELL, WALTER W. (1990). “Neither Market Nor Hierarchy: Network Forms of Organization.” Research in Organizational Behavior 12:295-336.

455.

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456.

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457.

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458.

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