Introduction

Ce travail de recherche s’inscrit dans le cadre de travaux réalisés dans le domaine de la mémoire humaine et plus particulièrement sur la nature et l’organisation des connaissances en mémoire à long terme. Pour évoquer la nature non abstractive des informations conceptuelles, nous nous sommes intéressés à l’effet de distinctivité sur la récupération en mémoire. Notre objectif principal est de démontrer que l’effet de distinctivité peut se manifester aussi bien en récupération explicite (rappel, reconnaissance) qu’en récupération implicite (e.g. catégorisation) et que, quelle que soit le mode de récupération, cet effet s’expliquerait en termes de mécanismes spécifiques (activation et intégration multimodales) et non pas en termes de systèmes mnésiques sous-jacents. Un autre intérêt de ce postulat est qu’il permet d’étudier l’émergence des connaissances conceptuelles en interaction avec leur contexte d’élaboration et de récupération et non pas d’une manière purement abstractive.

Ainsi, le premier chapitre de la partie théorique présentera les aspects théoriques et les travaux déjà réalisés dans la littérature sur l’effet de distinctivité. L’objectif de ce chapitre sera de définir la notion de distinctivité, de décrire le contexte historique des travaux du début du 20° siècle (von Restorff, 1933 ; Calkins, 1896 ; Koffka, 1935), et enfin de voir le sens de l’évolution des études réalisées dans ce domaine. Nous exposerons, dans un premier temps, les différents axes de recherches proposées pour étudier cette notion, les différents paradigmes qui permettent de l’étudier, ainsi que les rares études en imagerie cérébrale conduites sur ce sujet.

Le deuxième chapitre sera consacré aux théories générales de la mémoire et de la connaissance. Nous présenterons comment la logique commune des modèles abstractifs (Squire, 1992 ; Tulving, 1972, 1985 ; Cohen & Squire 1980 ; Collins & Quillian, 1969 ; Collins & Loftus, 1975) définissent l’unité de sens pour la représentation des concepts. Puis, nous nous intéresserons à une autre distinction de la mémoire à long terme proposée par Graf et Schachter (1985) et Jacoby, (1983) et aux travaux qui ont tenté d’étudier les manifestations de l’effet de distinctivité en mémoire implicite et explicite (Smith & Hunt, 2000 ; Geraci & Rajaram, 2002 ; Rajaram, 1998).

Un dernier chapitre sera consacré aux modèles non abstractifs de la mémoire (Hintzman, 1986 ; Nosofsky, 1988) ainsi que le lien entre la distinctivé et les modèles à traces multiples. Ce chapitre se terminera par la présentation des travaux qui mettent en évidence le caractère situationnel des informations conceptuelles (Barsalou, 1982 ; Wu & Barsalou, 1999 ; Zwaan, Stanfield et Yuxley, 2002) qui définissent la mémoire comme une construction de plusieurs processus émergeants. Les notions d’activation et d’intégration des dimensions sensori-motrices (Labeye, Oker, Badard, & Versace, 2008 ; Versace, Labeye, Badard, & Rose ; 2009) seront également présentées. L’intérêt de ce chapitre est de montrer qu’un contexte d’élaboration (dans cette thèse, la distinctivité) qui n’est pas à priori pertinent à la réalisation d’une tâche de catégorisation peut jouer un rôle important et permettre l’émergence des connaissances en interaction avec les stimuli.

Suite à l’exposé de la problématique et des hypothèses théoriques, une deuxième partie « expérimentale » présentera l’ensemble des travaux réalisés au cours de cette thèse.

Le chapitre 1 présentera une série de trois expériences. L’objectif principal ici sera de démontrer que l’effet de distinctivité peut se manifester avec une tâche implicite de la mémoire. L’objectif sous-jacent sera de rendre compte de cet effet sans manipuler les propriétés physiques de l’item mais en manipulant l’information contextuelle associée à l’item. Les implications de nos résultats seront discutées en faveur d’une approche non abstractive de la connaissance.

Le chapitre 2 présentera une série de deux expériences. L’objectif principal sera de proposer l’hypothèse de distinctivité spatiale (Oker, Versace & Ortiz, in press). En utilisant une analogie avec la perception visuelle (un item isolé est plus saillant perceptivement qu’un item non isolé), nous avons postulé que l'insertion d’un espacement entre des items à encoder répartis dans le champ visuel peut rendre un item plus distinctif spatialement et que cette distinctivité spatiale peut se manifester par de meilleures performances dans une tâche implicite de mémoire. L’objectif sous-jacent sera aussi de montrer que la réinjection du contexte d’apprentissage pendant la phase test n’est pas nécessaire pour l’émergence de l’effet de distinctivité, contrairement à ce qui est rapporté dans la littérature (Smith & Hunt, 2000). Cet effet peut être généré dès l’encodage en permettant un stockage de traces mnésiques plus discriminables.

Le chapitre 3 présentera ensuite une série de trois expériences. L’objectif principal sera de démontrer, qu’en accord avec les notions d’activation et d’intégration multimodales qui sont par ailleurs développées (Labeye et al., 2008; Versace et al., 2009), il est possible de faire un lien entre le niveau de distinctivité d’une trace et son niveau d’accessibilité explicite (recollection). Ainsi la différenciation explicite/implicite serait ici un continuum lié au niveau de distinctivité et non pas une différenciation en termes de systèmes sous-jacents. Ainsi, nous avons mis en évidence des effets de distinctivité variables selon différents niveaux d’intégration des dimensions sensorielles de notre matériel. Deux listes différentes correspondant à ces différents niveaux ont été produites, avec une distinctivité impliquant l’intégration de plusieurs composants sensori-moteurs des items, versus une distinctivité sur un seul des composants sensori-moteurs des items, avec l’hypothèse que l’augmentation du nombre de dimensions définissant un item permet d’augmenter la distinctibilité de la trace de cet item. Ces deux niveaux ont été testés en catégorisation, en rappel libre et en reconnaissance avec une mesure du degré de certitude des réponses.

Finalement, une discussion générale expliquera en quoi l’effet de distinctivité permet d’étudier le format des connaissances et en quoi nos résultats apportent des arguments en faveur d’un modèle non abstractionniste, probabiliste et purement épisodique de la mémoire.